LE QUOTIDIEN : Dans les cancers bronchiques non à petites cellules, quels sont les stades qui ont bénéficié des dernières avancées ?
Pr JULIEN MAZIERES : Ce sont tous les stades qui sont concernés. Au stade précoce, le traitement de référence reste la chirurgie. On a cependant de plus en plus d’arguments qui montrent que rajouter de l’immunothérapie à la chimiothérapie, avant ou après l’intervention, augmente les chances de guérison, comparativement à la chirurgie seule. Les essais venant de se terminer, il n’y a pas encore d’AMM et donc de possibilité de le proposer à tous les patients concernés, mais ce sera envisageable dans un proche avenir. Des questions sont encore en suspens. On ne sait pas encore si la meilleure stratégie est de le faire avant ou après la chirurgie. On ne sait pas non plus combien de temps doit être donné le traitement en complément : pour l’instant, immunothérapie et chimiothérapie sont proposées le plus souvent pendant un an.
Retrouver une anomalie moléculaire à ce stade précoce, change-t-il la donne ?
Oui, il y a d’ailleurs une nouveauté concernant les patients porteurs d’une anomalie moléculaire habituellement rencontrée aux stades métastatiques (EGFR). Il a été montré, chez ces patients, que si l’on associait à la chimiothérapie (lorsqu’elle est indiquée), une thérapie ciblée anti-EGFR pendant trois ans (osimertinib) après la chirurgie (mais pas d’immunothérapie), on diminuait le risque de récidive et, de manière très importante, le risque de métastase cérébrale. Il est aujourd’hui possible de proposer cette molécule en ATU, en attendant l’AMM. Cela implique de faire une analyse moléculaire à un stade précoce pour pouvoir donner cette thérapie ciblée si l’anomalie EGFR est identifiée : c’est le cas chez environ 10 % des patients, et même 40 % dans le sous-groupe des femmes non fumeuses.
Qu’en est-il aux stades localement avancés ?
Aux stades trop avancés pour être opérés, mais sans être métastatiques, le traitement de référence repose sur l’association d’une chimiothérapie et d’une radiothérapie. On sait depuis deux ans que l’on peut rajouter de l’immunothérapie à la fin de cette séquence (pendant une année), avec un bénéfice statistiquement significatif pour les patients. C’est donc devenu un standard. De nouvelles études sont en cours pour voir s’il serait utile, ou non, d’associer des combinaisons d’immunothérapie : cela semble prometteur, mais c’est encore à l’état de recherche.
Et aux stades avancés ?
Aux stades avancés ou métastatiques (où la chirurgie n’est guère possible), le traitement repose sur la chimiothérapie, l’immunothérapie ou les thérapies ciblées. Les patients bénéficient donc d’un portrait moléculaire de leurs cellules cancéreuses. Soit il n’y a pas d’anomalie moléculaire retrouvée au sein de ces cellules, et la prise en charge repose sur des traitements par chimiothérapie et immunothérapie. Si un marqueur (PDL1) est retrouvé à un taux supérieur à 50 % à la surface des cellules, on peut donner de l’immunothérapie seule, sans chimiothérapie : environ 20 % des patients sont concernés.
Et si une anomalie génétique responsable du processus de cancérisation est trouvée ?
Dans ce cas, on va donner des thérapies ciblées avec, là encore, de réels progrès à la clé. Le nombre d’anomalies identifiées augmente et le nombre de thérapies ciblées aussi. On avait déjà des molécules très efficaces pour cibler EGFR, ALK, ROS1 et Braf. Depuis l’an dernier, on peut également bloquer, de manière très efficace, d’autres anomalies et notamment RET, pour laquelle on a désormais au moins deux molécules (selpercatinib et pralsetinib), avec une très bonne diffusion cérébrale. Des molécules ont été également développées pour bloquer MET (tepotinib et capmatinib). Toutes ces molécules sont disponibles en ATU. D’autres ont été développées pour bloquer les mutations de HER2 (trastuzumab déruxtécan), avec d’excellents taux de réponses et de survie sans progression chez ces patients, essentiellement non-fumeurs.
Quid de la mutation Kras ?
Bloquer les patients porteurs de la mutation Kras a été l’un des plus gros défis, avec de nombreux échecs jusqu’à présent mais, en 2021, un essai clinique avec le sotorasib a montré une efficacité sur le taux et la durée de réponse chez certains patients porteurs d’une mutation de Kras un peu particulière : Kras G12C (soit 10 à 15 % des patients concernés, ce qui est loin d’être négligeable). Cette molécule est d’ores et déjà disponible sur ATU et, on l’espère, sera bientôt commercialisée. D’autres molécules de cette même famille sont en cours d’investigation.
Qu’en est-il de la compréhension des mécanismes de résistance aux thérapies ciblées ?
La recherche avance bien aussi de ce côté avec, pour objectif, de contrer ces résistances. Des inhibiteurs spécifiques des mécanismes de résistance sont d’ailleurs en voie de développement, avec en particulier des anticorps conjugués (soit, une chimio ciblée, guidée par un anticorps). Outre l’anticorps conjugué anti-Trop2, des anticorps conjugués anti-HER3, très prometteurs, sont apparus. Les nouveautés de ces dernières années témoignent de la meilleure compréhension de la biologie du cancer du poumon. Selon leur profil moléculaire et leur environnement immunitaire, chacun de nos patients avec un cancer du poumon reçoit désormais des traitements spécifiques très personnalisés. Cela demande de regarder régulièrement si le portrait moléculaire de leur tumeur évolue sous traitement.
Qu’en est-il aujourd’hui du pronostic de ces cancers à mauvaise réputation ?
Pour la première fois, grâce à ces progrès, la mortalité du cancer du poumon commence à diminuer… mais on part de très loin ! On obtient de plus en plus de guérisons à des stades précoces et des survies prolongées à des stades avancés.
Les cancers du poumon à petites cellules ont-ils aussi bénéficié de nouveautés ?
Ce cancer du poumon, qui concerne environ 15 % des patients n’a bénéficié que d’un seul progrès : celui d’avoir enfin la preuve que, lorsque l’on associe, à des stades avancés, l’immunothérapie à la chimiothérapie, on augmente la survie sans progression et la survie globale. Si le bénéficie est moindre que dans les cancers non à petites cellules, cela n’en reste pas moins l’un des premiers progrès retrouvés dans ce cancer depuis des années. C’est donc à souligner.
Quid du dépistage du cancer du poumon ?
Il y a des preuves dans la littérature que le dépistage précoce du cancer du poumon par scanner du thorax permet de guérir plus de patients, mais il n’y a pas de recommandation nationale pour faire un dépistage systématique chez tous les fumeurs. Le dépistage reste donc individuel, en fonction des facteurs de risque de nos patients. Les principales sociétés savantes recommandent de le proposer.
Le cancer bronchique présente-t-il des spécificités chez les femmes ?
Effectivement, l’incidence du cancer du poumon se stabilise chez les hommes, mais est en très grande augmentation chez les femmes, et pas seulement chez les fumeuses. Chez les non-fumeuses justement, des anomalies moléculaires de type EGFR, HER2, ALK, etc. sont volontiers retrouvées (peut-être en lien avec des facteurs hormonaux, mais ce n’est encore qu’une hypothèse), ce qui leur permet de bénéficier des thérapies ciblées : elles sont alors aussi efficaces que chez les hommes. Il est important que les médecins soient alertés sur le fait que le cancer du poumon n’est pas seulement un cancer de l’homme âgé fumeur, mais peut être trouvé chez des femmes jeunes non fumeuses, car cela implique des stratégies thérapeutiques souvent différentes.
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