LE QUOTIDIEN : Pourquoi n'avait-on pas jusqu'ici de recommandations dans les formes métastatiques ?
Pr ANDRE : Des consensus d'experts se sont toujours penchés sur la prise en charge des cancers du sein métastatiques. Mais jusqu'à présent, aucune recommandation n'avait jamais été éditée en dehors d’une recommandation des centres anticancéreux américains. Ceci pour une bonne et simple raison. En absence d'essais randomisés, on manquait sérieusement d'évidences. Ces dernières années plusieurs études de stratégie thérapeutique sont venues combler ce vide. Ce qui constitue un saut considérable. Il était donc temps de se poser pour examiner ces données et proposer une stratégie structurée et cohérente en clinique. Le but est atteint. Ces recommandations tracent une ligne directrice claire et aisément utilisable en pratique clinique, qui devrait mettre toutes les femmes sur un pied d'égalité, sous réserve de la disponibilité des traitements dans les divers systèmes de santé ...
Quelles évolutions ont permis aujourd'hui de les éditer ?
Pendant longtemps, les seules thérapeutiques disponibles étaient l'hormonothérapie et la chimiothérapie traditionnelle, auxquelles sont venus s'ajouter les anticorps anti-HER2 dans les cancers HER2+, avec l'irruption de l'Herceptin dans les années 2000 suivie de ses apparentés. Mais durant presque 15 ans, aucune thérapeutique réellement novatrice n'était venue modifier la donne, en termes de pronostic. Mais depuis l'arrivée en 2015 des premiers inhibiteurs de tyrosine kinases, en l'occurrence un anti-CDK4 (2), le paysage a profondément changé. Plusieurs nouvelles thérapies ont été développées et les essais de stratégie thérapeutique dans les formes métastatiques naïves de tout traitement (en première ligne) ont permis de préciser leur intérêt. Ainsi, l'éventail thérapeutique s'est élargi ces dernières années, avec une amélioration très intéressante du pronostic de ces formes métastatiques.
Quelles stratégies privilégier en première ligne dans les formes hormonosensibles (HR+) et HER2 négatives (HER2-) ?
Il y a peu la survie médiane des cancers du sein métastatiques était franchement limitée. Mais le décryptage des mécanismes impliqués dans la résistance à l’hormonothérapie a permis le développement de nouveaux traitements. Et ces inhibiteurs spécifiques de kinases dépendantes des cyclines D ont modifié les perspectives.
Mieux tolérée et disponible par voie orale, la dernière génération des anti-CDK4/6 a en effet montré, en association à l’hormonothérapie, des résultats très intéressants dans les études de phase III randomisées (versus placebo). Quelle que soit l'association testée, l’addition d’un anti-CDK4/6 à l’hormonothérapie a doublé la survie sans progression indépendamment du statut hormonal de la tumeur, avec un bénéfice net en survie globale quand le recul est suffisant. Ainsi, les bénéfices en survie tournent désormais autour de 12 mois. C'est pourquoi le traitement de première ligne des formes métastatiques HR+/HER2- repose dorénavant sur une association anti-CDK4/6 et hormonothérapie. En 2022, trois produits sont agréés dans cette indication : le palbociclib (Ibrance), le ribociclib (Kisqali) et l'abémaciclib (Verzenios). Ce bénéfice est retrouvé quel que soit l'âge, avant ou après la ménopause. La survie des femmes ménopausées dépasse même les cinq ans dans l'analyse de l'essai MONALEESA-2 (ESMO 2021), associant fluvestrant et ribociclib en seconde ligne.
Le traitement des formes métastatiques à récepteurs HER2 a-t-il aussi évolué ?
Dans les formes métastatiques HER2 positives (HER2+), l’administration d'un anticorps conjugué à la chimiothérapie ciblant HER2, de troisième génération (trastuzumab deruxtecan), modifie aussi largement le pronostic. Dans l'essai présenté au dernier congrès de l’ESMO, la survie sans progression était de plus de 24 mois (médiane non atteinte) sous trastuzumab déruxtécan versus six mois sous trastuzumab emtansine (T-DM1). De même, le trastuzumab duocarmazine, un autre anticorps conjugué, était associé à sept mois versus quatre mois de survie sans progression sous traitement standard au choix de l’investigateur. On attend impatiemment les données de survie globale des études évaluant le trastuzumab deruxtecan.
Les cancers du sein triple négatifs ont-ils de leur côté bénéficié d'avancées importantes ?
Dans les cancers métastatiques triple négatifs exprimant PDL1, l'immunothérapie anti-PDL1, associée à la chimiothérapie, améliore nettement la survie sans progression (5). Dans l'essai comparant pembrolizumab-chimiothérapie à placebo-chimiothérapie (nab-paclitaxel, paclitaxel ou gemcitabine-carboplatine), la survie sans progression atteint, après deux ans de suivi, 9,7 mois versus 5,6 mois (patients PDL1 CPS ≥ 10) . L’ajout de l’immunothérapie à la chimiothérapie augmente aussi la survie globale (23 versus 16 mois). C'est pourquoi ces recommandations prônent le dosage systématique de l'expression de PDL1 dans cette situation. Néanmoins, en matière d'immunothérapie, c'est le pourcentage de longs répondeurs qu'il faut scruter. Malheureusement, comme bien souvent avec l'immunothérapie, on stagne autour de 10 à 15 % de longs répondeurs additionnels par rapport à la chimiothérapie, selon les dernières données présentées à l'ESMO 2021 (6).
D'après un entretien avec le Pr Fabrice André
(1) Gennari A et al. ESMO Clinical Practice Guideline for the diagnosis, staging and treatment of patients with metastatic breast cancer. Annals of Oncology 2021;32:1475-95. doi.org/10.1016/j.annonc.2021.09.019
(2) Tripathy D et al. Ribociclib plus endocrine therapy for premenopausal women with hormone-receptor-positive, advanced breast cancer (MONALEESA-7): a randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 2018;19: 904-15.
(3) Turner N et al. Overall Survival with Palbociclib and Fulvestrant in Advanced Breast Cancer. NEJM 2018;379:1926-36.
(4) Sledge GW et al. The Effect of Abemaciclib Plus Fulvestrant on Overall Survival in Hormone Receptor–Positive, ERBB2-Negative Breast Cancer That Progressed on Endocrine Therapy—MONARCH A Randomized Clinical Trial. JAMA Oncology 2019-20;6:116-24
(5) Cortes J et al. Pembrolizumab plus chemotherapy versus placebo plus chemotherapy for previously untreated locally recurrent inoperable or metastatic triple-negative breast cancer (KEYNOTE-355): a randomised, placebo-controlled, double-blind, phase 3 clinical trial. Lancet 2020;396:1817-28
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