Tout revasculariser après un infarctus du myocarde (IDM) vaut-il mieux que se limiter aux lésions responsables ? Plusieurs grands essais ont répondu par l’affirmative. Une nouvelle étude au suivi long de presque cinq ans vient jeter le trouble en contredisant les recommandations internationales établies.
L’essai randomisé Full Revasc mené par des Suédois (Karolinska Institutet) dans sept pays montre qu’il n’y a pas davantage de décès toutes causes, d’IDM ou de revascularisation en urgence (critère primaire composite) dans le groupe revascularisation ciblée par rapport au groupe revascularisation complète après angioplastie guidée par la mesure de la réserve coronaire avec la FFR (pour Fractional Flow Reserve). L’étude a inclus un peu plus de 1 500 patients multitronculaires ayant un IDM avec sus-décalage du segment ST (Stemi) ou non-Stemi à très haut risque (changements dynamiques ST-T, douleur thoracique persistante, insuffisance cardiaque aiguë, instabilité hémodynamique indépendante des changements ECG ou arythmies ventriculaires menaçant le pronostic vital).
À 4,8 ans de suivi médian, le taux d’événements était de 20,4 % (revascularisation ciblée) et de 19,0 % (complète). Aucune différence statistique entre les deux groupes n’est ressortie isolément pour chacun des trois types d’événements ; aucune non plus pour la tolérance et la survenue d’événements indésirables.
Des limites statistiques
La revascularisation complète a été guidée par la mesure FFR, qui mesure la réserve coronaire. L’intervention coronarienne percutanée pour revascularisation complète a été réalisée lors de la coronarographie initiale (17,1 %), ou en différé (78,8 %) lors de l’hospitalisation, deux jours plus tard en médiane, soit un suivi de l’assignement stratégique de 95,9 % (99,6 % dans l’autre groupe). Le seuil pour que la FFR soit considérée comme cliniquement significative d’ischémie était défini par une valeur inférieure ou égale à 0,80 ; dans ce cas de figure, une angioplastie était alors recommandée.
« Ces résultats ont surpris tout le monde », explique au Quotidien le Dr Jean-Luc Banos, cardiologue à Bayonne. Y compris les investigateurs, comme le reconnaît dans un communiqué le Dr Felix Böhm, premier auteur de l’étude. Quatre études précédentes avaient toutes conclu aux bénéfices de la revascularisation complète, dont l’étude Complete menée chez plus de 4 000 patients suivis pendant trois ans avec une baisse de 26 % du critère principal de jugement.
« Mais il faut avoir en tête que Full Revasc pêche du point de vue statistique avec un manque de puissance, souligne le cardiologue. L’étude était prévue initialement pour inclure 4 000 patients mais elle a été arrêtée prématurément au moment où les résultats de Complete établissant le bénéfice de l’angioplastie préventive ont été publiés en 2019, ce n’était plus éthique de la poursuivre. Il reste que le suivi est long dans Full Revasc, c’est son point fort ».
La FFR n’est pas capable de déceler les plaques d’athérome non serrées mais vulnérables
Dr Jean-Luc Banos, cardiologue à Bayonne
Minorité de patients non Stemi
De plus, il y avait beaucoup moins de patients ayant un syndrome coronaire non Stemi (9 %) que de patients avec Stemi (91 %), « ce qui a pu influer sur les résultats », les patients non-Stemi pouvant être par ailleurs ceux tirant le plus de bénéfice d’une revascularisation complète. Par ailleurs, la procédure habituelle est différente en pratique pour ces patients coronariens, un test d’ischémie étant réalisé avant une seconde intervention percutanée et une éventuelle revascularisation. À noter que 40 % des patients du groupe revascularisation complète ne l’ont pas eue en raison d’une FFR à 0,81 ou plus.
Il reste que la FFR n’est pas une méthode fonctionnelle parfaite, « elle n’est pas capable de déceler les plaques d’athérome non serrées mais vulnérables », indique le Dr Banos, rappelant que son utilisation en France reste modeste, sans compter un contexte supplémentaire de déremboursement en 2023. D’autres techniques sont en cours d’investigation, comme la tomographie par cohérence optique dite OCT (lumière infrarouge pour analyser la composition de la plaque) testée dans l’étude Complete 2, ou l’échographie endocoronaire.
« Cette étude a le mérite de poser des questions, mais elle n’est pas à même de changer les pratiques », estime le Dr Banos. Un avis partagé aussi par le premier auteur, qui suggère néanmoins : « Mais pour ces patients pour lesquels une circonstance fait qu’une revascularisation complète d’emblée est complexe, d’aucuns peuvent choisir d’attendre, puisqu’il n’y a pas de différence dans les complications les plus sérieuses ». Le cardiologue suédois se félicite aussi que les traitements médicamenteux actuels soient très performants en prévention : « Il devient plus difficile de montrer que d’autres interventions apportent une réduction du risque supplémentaire significative ».
Böhm F. et al. N Engl J Med 2024;390:1481-92.
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