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Dossier

Congrès de la société française de cardiologie (JESFC)

La cardio se met au sur-mesure

Publié le 07/02/2020
La cardio se met au sur-mesure

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SPL/PHANIE

Remise en cause du traitement Basic systématique en post-infarctus, prise en compte de nouveaux paramètres pour l’évaluation du risque cardiovasculaire : comme de nombreuses spécialités, la cardiologie se met aux traitements personnalisés. Avec, à la clé, une approche plus fine mais des décisions thérapeutiques plus complexes, détaillées lors du dernier congrès français de cardiologie.

Post-infarctus, la fin du traitement Basic pour tous ?

Depuis plus de quinze ans, la prise en charge du post-infarctus repose sur le quintet b-bloquant, antiagrégant plaquettaire, statine, IEC et contrôle des facteurs de risque. Résumée sous l’acronyme Basic, cette approche systématique semble avoir fait long feu, comme l’ont souligné plusieurs experts lors du congrès de la société française de cardiologie (JESFC, Paris, 15-18 janvier).

Les β-bloquants au long cours remis en question

Pour les b-bloquants, la réflexion porte surtout sur les durées de traitement. Plusieurs études ont montré que ces médicaments au long cours réduisent significativement la mortalité après un infarctus du myocarde (IDM), mais ces données datent de l’ère précédant la reperfusion. Et si les essais plus récents mettent en évidence leur intérêt pour prévenir la récidive dans le mois qui suit un IDM sans dysfonction ventriculaire, on n’a aucune donnée sur la prévention de la récidive, la mort subite ou la mortalité cardiovasculaire (CV) au-delà. Après avoir recommandé les b-bloquants au long cours après un infarctus du myocarde sans élévation du segment ST et les avoir « envisagés » dans l’infarctus du myocarde avec élévation du segment ST non compliqué d’insuffisance cardiaque, la Société européenne de cardiologie (ESC) a revu sa copie, remettant en question leur maintien après la phase initiale de l’IDM. En France, un travail de recherche va évaluer l’impact sur les complications CV de l’arrêt des b-bloquants 6 mois après un IDM non compliqué (étude Abyss). D’autres essais de ce type sont menés dans d’autres pays mais portent sur un arrêt plus précoce dès la sortie de l’hôpital. En attendant ces résultats, « il n’y a actuellement pas d’arguments en faveur des b-bloquants après un IDM non compliqué avec FEVG préservée et revascularisé avec succès », insiste le Pr Johanne Silvain (Paris).

La question du maintien des inhibiteurs du système rénine-angiotensine est moins débattue, quoiqu’ils ne soient très probablement pas à poursuivre pour tous les patients et pour toujours. Du fait de leur effet sur le remodelage et la plaque, mais aussi sur la récidive d’IDM et la mort subite, ils sont recommandés en cas de dysfonction ventriculaire gauche (VG), de diabète, d’infarctus antérieur. Une méta-analyse récente montre que dans la maladie coronaire stable et en l’absence de dysfonction VG, ils sont bénéfiques uniquement chez les personnes à haut risque CV, leur intérêt disparaissant en cas de traitement associé par inhibiteurs calciques ou diurétiques thiazidiques. « Le niveau de preuve n’est pas probant en l’absence de dysfonction VG, et lorsqu’il existe une altération de la FEVG, d’autres alternatives pourraient les remplacer » commente le Pr Jean-Sébastien Hulot (Paris). Un essai (Paradise) est en cours pour comparer IEC vs sacubitril/valsartan après un IDM avec FEVG < 40. « Les IEC ne sont pas à prescrire à tous les patients, et en particulier pas si la FEVG est normale, s’ils sont à bas risque CV ou bien équilibrés avec les autres traitements. » Par contre, en attendant les résultats de l’étude Paradise, en cas de dysfonction VG, il est préférable de les maintenir s’ils sont bien tolérés.

Réévaluer régulièrement les antiagrégants plaquettaires

Les antiagrégants plaquettaires (AAP) restent incontournables, mais la stratégie varie selon le recul par rapport à l’infarctus, le risque ischémique et hémorragique.

De la sortie de l’hôpital à un an, le traitement optimal repose sur une bithérapie aspirine et prasugrel ou ticagrelor. Si le risque de saignement est important, plusieurs options sont possibles, comme remplacer prasugrel ou ticagrelor par le clopidogrel, moins puissant, ou raccourcir la durée de la bithérapie par AAP pour passer à une monothérapie par prasugrel ou ticagrelor, voire aspirine. « Les choix ne sont pas faits une fois pour toutes, mais doivent toujours être réévalués en fonction des évènements et de la tolérance », insiste le Pr Thomas Cuisset (Marseille). Après un an, le traitement repose sur la monothérapie par aspirine pour tous. Si le risque d’évènement ischémique est élevé, il y a un bénéfice à associer à l’aspirine soit le ticagrelor, soit une faible dose de rivaroxaban. Mais ces deux options thérapeutiques n’ont pas l’AMM dans cette situation en France.

Quant aux statines, elles sont plus que jamais d’actualité mais devraient s’associer de plus en plus souvent à l’ézétimibe (voire aux anti-PCSK9) afin d’arriver à la cible de LDL-c de 0,50g/l (voir ci-dessous).

L’évaluation du risque CV s’affine

En modifiant les objectifs thérapeutiques et le calcul du risque par la prise en compte de nouveaux paramètres, les dernières recommandations européennes sur la prise en charge des dyslipidémies ont changé la donne. Classiquement en France, on évalue le risque CV grâce à l’outil Score, adapté aux pays à bas risque. Mais ce dernier a tendance à surestimer le danger chez les sujets âgés, pénalisés par leur âge, même si leurs autres facteurs de risque sont bas. Cela pourrait amener à prescrire des traitements à plus forte dose avec les effets secondaires inhérents. A contrario, le risque est sous-évalué dans certaines situations cliniques à haut risque (prévention secondaire, insuffisance rénale, hypercholestérolémie familiale ou diabète). Dans ce contexte, « l’ESC préconise désormais de moduler ce risque en recherchant d’autres éléments péjoratifs, comme un environnement socio-économique stressant ou défavorable, l’obésité surtout viscérale, la sédentarité, la FA, les apnées du sommeil, la stéatose hépatique mais aussi les maladies inflammatoires chroniques, les pathologies psychiatriques, les patients infectés par le VIH », insiste le Pr Bruno Feve (Paris). « Pour la première fois, on prend aussi en compte des lésions asymptomatiques comme la présence de plaques carotidiennes ou fémorales – même si elles ne sont pas hémodynamiquement significatives – et un score calcique supérieur à 100 qui font changer le patient de catégorie de risque », se félicite le Dr Serge Kownator (Thionville).

Les cibles thérapeutiques se sont elles aussi affinées. Désormais, les objectifs de LDL-cholestérol sont < 0,55 g/l en prévention secondaire ou chez les patients à très haut risque, < 0,7 g/l chez les patients à haut risque, < 1 g/l chez les patients à risque modéré et < 1,16 g/l chez les patients à bas risque. Mais l’ESC ajoute aussi la nécessité d’obtenir une réduction d’au moins 50 % du LDL-c pour les hauts ou très hauts risques en prévention primaire ou secondaire, et propose en cas d’évènement CV survenant moins de deux ans après le premier de viser 0,4 g/l. Pour la majorité des patients à haut risque ou en prévention secondaire, on va donc devoir amplifier le traitement hypolipémiant avec une statine en première ligne puis l’association à l’ézétimibe. Dans certains pays, on voit arriver massivement les anticorps anti-PCSK9, qui ne sont pas disponibles en France en dehors des hypercholestérolémies familiales. « Ces molécules sont effectivement onéreuses, admet le Dr Sophie Beliard (Marseille), de 580 à 660 euros par mois, mais le coût d’un évènement CV est de 5 900 euros pour la phase aiguë hospitalière, puis de 13 000 par an ! »

Mais où s’arrêtera le TAVI ?

Initialement réservé aux patients inopérables atteints de rétrécissements aortiques (RA), le remplacement valvulaire aortique par cathétérisme cardiaque ou TAVI a ensuite été proposé à ceux à haut risque chirurgical, puis à ceux à risque intermédiaire. Depuis, la tentation est parfois grande d’en faire profiter les patients à bas risque chirurgical. Des études sont par ailleurs en cours pour évaluer son intérêt dans les rétrécissements aortiques moins sévères, voire dans les RA asymptomatiques mais serrés.

En faveur du TAVI, les progrès considérables réalisés depuis les premiers essais, avec une diminution constante de la mortalité à 30 jours, des complications vasculaires majeures, des saignements et des AVC invalidants. « On se dirige vers une approche de plus en plus minimaliste, que ce soit pour l’anesthésie, le geste technique ou l’environnement post-procédural pour permettre une sortie plus précoce », déclare le Dr Nicolas Dumonteil (Toulouse).

Selon une méta-analyse de 2019, le TAVI est supérieur à la chirurgie à deux ans sur la mortalité toutes causes et les AVC, quel que soit le type de valve implanté, y compris chez les sujets à bas risque chirurgical. « Finalement, la question devient : à qui ne faut-il pas proposer de TAVI, résume le Dr Dominique Himbert (Paris), sachant que dès que le risque chirurgical est faible, toutes les contre-indications relatives deviennent des contre-indications formelles. » L’obstacle est dans bien des cas anatomique. Par exemple, le passage transfémoral (avec lequel les complications sont bien moindres qu’avec les autre voies d’accès) peut être impossible. Classiquement contre-indiquée, la bicuspidie pourrait bénéficier du TAVI, mais avec un taux de complications bien plus élevé – AVC, ablation de valve, conversion chirurgicale. Le point crucial reste aussi l’âge, tant qu’on manque de données sur la durabilité de la valve. « On peut envisager, certes, une "valve in valve", mais pas une "valve in valve in valve !", avertit le Pr Eric Durand (Rouen). Et si la chirurgie après TAVI est possible, elle devient très difficile après un an. Actuellement, le consensus se fait sur un âge pivot de 75 ans, et le TAVI n’a aucune place avant 65 ans, sauf en cas d’espérance de vie réduite.

Dr Maia Bovard-Gouffrant

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