Consommer du paracétamol peut s'avérer mauvais pour la santé cardiovasculaire, en raison de la teneur importante en sel (NaCl) contenue dans certaines formulations. C'est ce que vient de montrer une étude originale basée sur une cohorte nationale de séniors au Royaume Uni, rassemblant des sujets hypertendus ou non. Ses résultats sont sans appel…
Près de 300 000 sujets inclus
Deux cohortes nationales ont été constituées à partir du « The Health Improvement Network » (THIN) : une de 151 398 patients hypertendus et une de 147 299 sujets sans HTA. Elles rassemblaient les données collectées auprès de 800 médecins généralistes au Royaume Uni, soit 17 millions de sujets représentatifs de l'ensemble de la population. La recherche a été menée par une collaboration rassemblant des chercheurs américains (Université d'Harvard, Boston) et chinois (Université de Changsa). Ils ont sélectionné dans THIN les sujets de 60 à 90 ans, entrés dans ce registre en 2000-2017. Sur un suivi d’un an, ils ont comparé les patients sous paracétamol contenant du sodium (paracétamol/Na), à ceux prenant du paracétamol sans sodium.
C'est pour minimiser l'impact potentiel du paracétamol en vente libre que l'analyse a été limitée aux plus de 60 ans. Les sujets ayant un antécédent de cancer et/ou de maladie cardiovasculaire (IDM, AVC ou IC) ont été exclus. L'analyse porte donc sur une population de séniors (60-90 ans), a priori en assez bonne santé sur le plan cardiovasculaire (CV) et oncologique.
Un surrisque d’évènements cardiovasculaires
Dans la cohorte de patients hypertendus, 4 532 étaient sous paracétamol/Na et 146 866 traités par paracétamol sans sodium. Concernant la cohorte sans HTA, ils étaient respectivement 5 351 et 141 948. Indépendamment de la présence d'une HTA, les sujets sous paracétamol/Na souffrent d'un excès d'évènements CV (AVC, IDM, IC) et de mortalité totale. Globalement, à un an, les d'évènements CV sont augmentés chez les patients hypertendus (5,6 % versus 4,6 %, HR = 1,59) ou sans HTA (4,4 % versus 3,7 %, HR = 1,45). Le risque est significativement plus élevé en termes d'IDM (HR = 1,41 avec HTA et 1,27 sans HTA), d'AVC (HR = 1,59 et 1,43 respectivement) et d'IC (HR = 1,44 et 1,30). Ce surrisque résiste aux analyses de sensibilité, y compris chez les patients sous antivitamines K.
De plus, on retrouve une forte hausse des décès chez les sujets sous paracétamol/Na, hypertendus ou pas. À un an, la mortalité est de 7,6 % sous paracétamol/Na versus 6,1 % (HR = 2,05) chez les hypertendus (7,3 % versus 5,9 % sans HTA, HR = 1,87). L'impact du paracétamol/Na est donc majeur, même après ajustements. Ceci laisse présager l'influence additionnelle de divers facteurs confondants, parmi lesquels probablement l'hépatotoxicité propre au principe actif.
Un surrisque d'évènements CV a aussi été observé chez les sujets sous ibuprofène et/ou ranitidine, à nouveau indépendamment d'une HTA.
Un effet dose réponse significatif
Par ailleurs, ce travail met en évidence un effet dose réponse entre la posologie de paracétamol/Na (1, 2-4 ou ≥ 5 comprimés par jour) et le surrisque d'évènements CV et/ou de mortalité totale, indépendamment de l'HTA. Les évènements CV sont respectivement majorés : OR = 1,26 pour un comprimé par jour, OR = 1,33 pour deux à quatre et OR = 1,45 à partir de cinq. Le risque de mortalité est lui aussi accru : OR = 2,77 pour un comprimé, OR = 3,02 pour deux à quatre, et OR = 3,64 dès cinq par jour. On observe en outre une augmentation des nouveaux cas d'HTA dans l'année sous paracétamol/Na (4,4 % versus 3,6 % ; RR = 1,37 ; 1,2-1,5).
Attention aux formulations effervescentes riches en sodium
« L'effet de la consommation en sodium chez les hypertendus a déjà été largement documenté. En revanche son impact chez les non hypertendus restait sujet à controverse », rappellent les auteurs. Aujourd'hui, cette étude vient clore le débat. « L'excès d'évènements CV est patent, aussi bien chez les hypertendus que chez les non hypertendus, et en dépit du moindre nombre de sujets concernés. Cette augmentation est retrouvée chez les consommateurs d'ibuprofène et/ou de ranitidine », résument les auteurs.
Bien qu’on ne puisse pas totalement exclure les facteurs confondants potentiels inhérents à toute étude observationnelle, Aletta E Schutte (Ecole de Santé Publique, Sydney, Australie) et Bruce Neal (Biostatistiques et Epidémiologie, Impérial Collège, Londres) s'enthousiasment dans leur éditorial de ces résultats. « D'autant que la démonstration est assortie d'un effet dose-réponse et d'une augmentation des HTA incidentes », précisent-ils.
« L'OMS, se basant sur de multiples travaux scientifiques, recommande de ne pas dépasser deux grammes par jour de sel (une cuillère à café). Il n’est donc pas très étonnant que la consommation de comprimés effervescents de paracétamol (0,39-0,44 g de Na par comprimé) ne soit pas anodine, vu qu’ils apportent trois grammes de sodium quotidien à dose pleine, notent-ils.Certains antiacides contiennent même 0,85 gramme de sodium par prise, et des vitamines en sachet 0,28 g ».
« Des millions de personnes dans le Monde ont recours au paracétamol effervescent. Rien qu'en France, 10 000 tonnes sont vendues chaque année. Et nombreux sont les médicaments contenant de grandes quantités de sodium, en particulier les formulations effervescentes, et/ou à action rapide, généralement vendues sans ordonnance (vitamines, aspirine et citrate de bétaine), soulignent-ils. Il est donc grand temps d'éviter ce type de formulations ».
(1) Zeng C et al. Sodium-containing acetaminophen and cardiovascular outcomes in individuals with and without hypertension. Eur Heart Journal 2022; 0,1-14. doi.org/10.1093/eurheartj/ehac059
(2) Schutte AE et al. The sodium hidden in medication: a tough pill to swallow. Eur Heart Journal 2022; 0,1-3. doi.org/10.1093/eurheartj/ehab888
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