Prise en charge de l’ICA : au congrès Urgences, des progrès mais encore beaucoup de questions

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Publié le 25/06/2024
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Au congrès Urgences, le Dr Omide Taheri (CHU Besançon) est revenu sur les enjeux de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) au sein des services d’urgence.

Crédit photo : BURGER / PHANIE

Bien que le taux de patients admis aux urgences diffère selon les hôpitaux, l’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) représente un enjeu de taille pour les médecins urgentistes, en particulier chez le sujet âgé. Elle peut concerner jusqu’à 45 % des patients de plus de 75 ans admis aux urgences pour dyspnée aiguë. Rencontré au congrès Urgences 2024, le Dr Omide Taheri (CHU Besançon) nous éclaire sur la prise en charge complexe de cette pathologie en service d’urgences.

LE QUOTIDIEN : Quels sont les enjeux diagnostiques liés à l’ICA, au sein du milieu très particulier que sont les urgences ?

Dr TAHERI : Aux urgences, chez des patients âgés admis pour dyspnée aiguë indifférenciée, l’ICA est la première cause d’hospitalisation, mais d’autres pathologies coexistent et peuvent être surajoutées, comme la pneumopathie, la bronchite ou l’exacerbation de BPCO, la pleurésie (1). Une majorité des patients de plus de 75 ans pris en charge aux urgences pour ICA sont étiquetés insuffisants cardiaques chroniques (ICC). Pour le reste, il se peut que l’ICC n’ait tout simplement pas encore été diagnostiquée. En effet, ces patients âgés sont rarement hospitalisés en service de cardiologie, et échappent encore trop souvent à une prise en charge et un suivi spécialisé.

Les patients échappent encore trop souvent à une prise en charge et un suivi spécialisé

Par ailleurs, selon les séries, jusqu’à 80 % de ces patients âgés ont une ICC à fraction d’éjection conservée, où les symptômes cliniques en particulier les signes congestifs sont moins bruyants, ces patients pouvant être normo voir hypovolémiques. La radiographie pulmonaire est également moins contributive et les biomarqueurs sanguins, en particulier les peptides natriurétiques (BNP, NT-proBNP), ont de moins bonnes performances diagnostiques.

Quelles sont les dernières avancées en termes d’outils diagnostiques ?

Pour le diagnostic d’ICA aux urgences, à l’examen clinique et la radiographie pulmonaire s’ajoutent les peptides natriurétiques (BNP, NT-proBNP) et l’échographie thoracique.

Chez le sujet âgé, BNP et NT-proBNP ont des performances diagnostiques diminuées (70-75 %, contre > 85 % chez le sujet jeune) avec de nombreux faux positifs et faux négatifs. Dans l’étude Read-MA (2), les performances diagnostiques de plusieurs biomarqueurs (NT-proBNP, Troponine-I US, ST2, Galectine-3, CD146), ont été évaluées, seuls et en association, pour le diagnostic d’ICA chez le sujet âgé admis aux urgences pour dyspnée aiguë. Aucun de ces biomarqueurs, que ce soit seuls ou en association, n’est supérieur au NT-proBNP. Malgré ses limites, il reste donc le seul biomarqueur à doser pour le diagnostic d’ICA chez le sujet âgé admis aux urgences pour dyspnée aiguë.

En ce qui concerne l’échographie cardiaque spécialisée réalisée par le cardiologue, il s’agit d’un examen recommandé par l’ESC, très sensible et spécifique pour le diagnostic d’ICA, mais de disponibilité limitée chez le patient « tout-venant » admis aux urgences pour dyspnée aiguë.

Pourra-t-on dépasser le NT-proBNP ?

Les médecins urgentistes sont maintenant formés à l’échographie clinique. Une échographie simplifiée, intégrant la part pulmonaire, réalisée dès l’arrivée aux urgences par les urgentistes permettrait de trier les patients et identifier une part cardiaque, pour initier un traitement précocement (démontré comme étant un facteur pronostique). L’équipe de recherche des Prs Thibault Desmettre (Hôpitaux Universitaires de Genève) et Frédéric Mauny (CHU Besançon), dont je fais partie, réalise une étude intitulée Read, dont le but est d’évaluer les performances diagnostiques d’une échographie cardiothoracique simplifiée réalisée à l’arrivée aux urgences chez le sujet âgé admis pour dyspnée aiguë. Associant échographie pulmonaire et mesure du flux transmitral ou du doppler tissulaire à l’anneau mitral, cet examen rapide pourrait permettre un diagnostic d’ICA chez le sujet âgé dès l’arrivée aux urgences, et avec des performances supérieures au NT-proBNP. Les résultats seront publiés cet automne.

Une fois le diagnostic posé, comment évaluez-vous le pronostic des patients âgés avec ICA ?

L’insuffisance cardiaque aiguë du sujet âgé est un problème de santé publique. La mortalité précoce (à 3 mois) est de 10 à 15 %. Le taux de réhospitalisation précoce (à 3 mois) est de l’ordre de 20 à 25 %. L’enjeu est d’identifier et de distinguer les patients qui doivent être hospitalisés, de ceux qui peuvent être pris en charge en ambulatoire. En l’absence de critères de gravité, ces patients âgés, souvent en Ehpad, pourraient bénéficier d’une prise en charge ambulatoire.

Plusieurs outils existent. Nos collègues urgentistes (Dr Mathieu Oberlin [CH Sélestat] et Dr Pierrick Le Borgne [CHU Strasbourg]) ont évalué l’efficacité du score Meessi (3), un score pronostique qui permet de stratifier le risque d’aggravation chez le sujet ICA aux urgences. Ce score combine des données cliniques et paracliniques. L’utilisation de biomarqueurs, seuls ou associés, est également possible. L’étude Read-MA-Prono, en cours, nous permettra d’évaluer les performances pronostiques d’une association de biomarqueurs chez les patients âgés pris en charge aux urgences pour ICA.

Comment le traitement des patients ICA a-t-il évolué récemment ?

Le traitement a peu évolué ces dernières années, les patients sont toujours traités par oxygénothérapie, diurétiques et dérivés nitrés (4). En revanche, les gliflozines (iSGLT2) sont à présent recommandées comme traitement de l’insuffisance cardiaque chronique (qu’elle soit à fraction d’éjection conservée ou abaissée), en décompensation et stabilisés. Elles n’ont pas été évaluées à la phase aiguë de la décompensation, aux urgences, mais en service de cardiologie. L’étude GlifloFastER, que nous allons mener, permettra d’évaluer, dès les urgences, la faisabilité de leur administration, ainsi que l’intégration de ces patients dans une filière de suivi spécialisée, à laquelle ils échappent souvent. D’autres équipes (Pr Tahar Chouihed, CHU Nancy) étudient spécifiquement sur les données thérapeutiques (efficacité et tolérance) de l’introduction des gliflozines dès les urgences.

Comment se passe aujourd’hui l’orientation des patients en sortie des urgences ?

Le taux d’hospitalisation est variable dans les services d’urgences, en fonction de leur recrutement, ce qui est lié à leur dimensionnement (contexte rural ou urbain, CH ou CHU). La plupart des sujets âgés en ICA ne sont pas hospitalisés en cardiologie mais en gériatrie, médecine polyvalente, médecine interne ou en pneumologie.

On se pose donc deux questions. Le patient doit-il être hospitalisé, ou peut-il recevoir une prise en charge ambulatoire ? Dans ce cas, quel service d’hospitalisation est le plus adapté ? La décision d’hospitalisation ou non repose sur la stratification du risque. Mais nous n’avons pas de données robustes sur les modalités du service d’hospitalisation. La question d’une orientation privilégiée en cardiologie, ou bien en pneumologie, d’un patient présentant une ICA et une exacerbation de BPCO se pose.

L’étude AHF-OS, présentée au congrès Urgences, examinait les conséquences de l’orientation et du service d’hospitalisation sur la mortalité précoce. Nous avons inclus 380 patients, parmi lesquels 48 sont décédés à un mois (12,6 %) et montré que les patients hospitalisés en services spécialisés (cardiologie conventionnelle ou unité de soins intensifs cardiologiques), ont une mortalité précoce inférieure (7 %) à ceux hospitalisés en services non spécialisés (pneumologie, médecine polyvalente, gériatrie ; 15 % de décès).

Comment envisagez-vous l’avenir de la prise en charge de l’ICA aux urgences ?

L’avenir réside dans une approche plus intégrée, personnalisée et pluridisciplinaire. En amont comme en aval des urgences, cela pourrait reposer sur des outils tels que l’échographie de poche, accessible et miniaturisée, dès le préhospitalier. Ce qui permettrait de détecter les décompensations cardiaques précocement et les prendre en charge en ambulatoire dans le cadre d’un réseau de soins intégrant infirmiers, médecins généralistes et cardiologues. Avec, aux urgences, la mise en place de filières de soins communes au détour d’une hospitalisation. On peut penser aux protocoles de coopération et l’intégration des infirmiers de pratique avancée par exemple.

(1) Ray P, et al. Acute respiratory failure in the elderly- etiology, emergency diagnosis and prognosis. Crit Care. 2006;10:R82
(2) Taheri O, et al. Acute heart failure in elderly patients admitted to the emergency department with acute dyspnea: a multimarker approach diagnostic study. Eur J Emerg Med. 2023 Oct 1;30(5):347-55
(3) Oberlin M, et al. MEESSI-AHF score to estimate short-term prognosis of acute heart failure patients in the Emergency Department: a prospective and multicenter study. Eur J Emerg Med. 2023 Dec 1;30(6):424-31
(4) Freund Y, et al. Effect of an Emergency Department Care Bundle on 30-Day Hospital Discharge and Survival Among Elderly Patients With Acute Heart Failure: The ELISABETH Randomized Clinical Trial. JAMA. 2020 Nov 17;324(19):1948-56

Propos recueillis par Alexandre Morales

Source : lequotidiendumedecin.fr