Les infections nécrosantes de la peau et des parties molles sont des infections bactériennes sévères de la peau. Pas assez reconnues par les médecins, elles sont souvent sous-diagnostiquées et donc traitées trop tardivement. Une revue générale parue dans le « Lancet Infectious Diseases » offre un état des lieux à la fois diagnostique, physiopathologique et thérapeutique de ces infections (1). L'objectif : aider à mieux les repérer pour réduire le délai avant la chirurgie et ainsi améliorer le pronostic vital et fonctionnel.
L'incidence des infections nécrosantes des tissus mous est estimée entre 0,2 et 6,9 pour 100 000 personnes-années selon les pays, et l'incidence des infections invasives à streptocoques du groupe A est de 3 à 4 pour 100 000 personnes-années selon les études. « Une incidence accrue des infections nécrosantes des tissus mous, associées ou non au streptocoque du groupe A, a été signalée au cours des dernières décennies dans le monde entier », indiquent les auteurs, précisant qu'il est probable que les médecins soient confrontés à ces infections graves au moins une fois au cours de leur carrière.
Ce vaste travail est le fruit d'une collaboration entre les services de dermatologie et de médecine intensive-réanimation de l'hôpital Henri-Mondor (AP-HP) et du groupe « Fasciites nécrosantes » de l’hôpital, en lien avec l’Imperial College de Londres.
« Le meilleur traitement de ces infections est la chirurgie, avec le débridement des tissus nécrosés. Tout retard dans la prise en charge peut entraîner une aggravation avec des séquelles fonctionnelles importantes, voire une mise en jeu du pronostic vital dans 20 à 30 % des cas », rappelle au « Quotidien » le Pr Olivier Chosidow, ancien chef du service de dermatologie d'Henri-Mondor.
Des signes cliniques à reconnaître
Le Pr Chosidow est l'un des coordinateurs du groupe « Fasciites nécrosantes » qui s'est mis en place à Henri-Mondor en 2014. Ce groupe de travail réunit divers spécialistes autour de ces pathologies : chirurgiens-plasticiens, réanimateurs médicaux et chirurgicaux, anesthésistes, radiologues, rééducateurs fonctionnels, chirurgiens digestifs et urologues. « Cette revue pédagogique, qui associe les données de la littérature et notre expérience, est le résultat de cinq ans de travail », souligne le dermatologue. Deux précédentes revues de ce type avaient déjà été publiées, l'une en 2005 dans le « BMJ » (2), la seconde en 2017 dans le « New England Journal of Medicine » (3).
Classification, diagnostic, traitement, soins postopératoires… La revue est divisée en plusieurs chapitres. « Tout tableau avec beaucoup de douleurs, des signes locaux, des bulles sur un érysipèle qui traîne ou encore une évolution non favorable avec les antibiotiques doit y faire penser et inciter les médecins à orienter vers des experts », résume le Pr Chosidow, qui appelle les médecins généralistes à ne pas donner d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) aux patients en cas de doute. « Les AINS peuvent être un facteur favorisant ou aggravant », précise-t-il.
La prise en charge en urgence des infections nécrosantes repose sur un traitement antibiotique large spectre, le débridement des tissus nécrosés et une admission en réanimation dans 50 % des cas lorsqu'il y a des défaillances d’organes associées. Le dermatologue appelle à la vigilance quant à la transmission nosocomiale tout au long du parcours de soins.
L'objectif de la prise en charge vise à réduire le délai avant l'intervention de débridement des tissus nécrosés. C'est pourquoi il est essentiel que les médecins reconnaissent les signes cliniques pour orienter vers une prise en charge adaptée, et ce alors que l'infection est polymorphe : dans certains cas, elle sera rapidement visible, et à l'inverse, elle peut être très lente à se manifester. L'accès à un bloc opératoire, à un chirurgien et à un plateau technique de réanimation doit aussi être pris en compte pour réduire ce délai.
Une filière de soins à organiser
« Actuellement, tous les grands hôpitaux ont des médecins qui connaissent bien ces pathologies, mais il est essentiel de regrouper nos forces en centres experts », plaide le Pr Chosidow. Plusieurs études ont en effet montré que plus les médecins ont l'habitude de prendre en charge des patients atteints d'infections nécrosantes, mieux ils les prennent en charge.
L'hôpital Henri-Mondor a ainsi mis en place une filière de soins dédiée à ces infections nécrosantes. « Nous sommes en train de travailler avec l'AP-HP et l'agence régionale de santé pour l'élargir à toute l'Île-de-France et ainsi créer un vaste réseau francilien », avance le dermatologue. Du côté de la recherche, « un travail mondial est mené, notamment dans le Pacifique, pour mettre au point une vaccination antistreptococcique », ajoute le Pr Chosidow.
(1) C. Hua et al, Lancet Infect Dis, 2022. doi: 10.1016/S1473-3099(22)00583-7
(2) S. Hasham et al, BMJ, 2005. doi: 10.1136/bmj.330.7495.830
(3) D. L. Stevens et al, N Engl J Med, 2017. doi: 10.1056/NEJMra1600673
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