Le CHU de Lille et l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) viennent de rendre disponible un outil de prévision de l'évolution du poids des patients après une intervention de chirurgie bariatrique. Une première mondiale présentée ce 5 septembre.
Sur l'écran de l'espace de démonstration de l'Inria, le Pr François Pattou, chef du service de chirurgie bariatrique du CHU, saisit l'âge, le poids, la taille d'un patient fictif, indique s'il est fumeur, s'il est diabétique et quel type d'intervention il envisage de subir (ou a subie). La courbe de poids à laquelle le patient peut s'attendre (ou se référer) à un, trois, 12, 24 et 60 mois s'affiche alors sur l'écran, calculée grâce à l'intelligence artificielle (IA).
Prévision sur 5 ans, à partir de 7 données cliniques
Les résultats des travaux interdisciplinaires menant à cet outil viennent d'être publiés dans le « Lancet Digital Health » par Patrick Saux, doctorant en mathématiques à l'Inria. Ils ont associé la médecine (l'équipe de chirurgie bariatrique du CHU), l'informatique (l'équipe-projet Inria Scool avec Philippe Preux) et les mathématiques.
Les chirurgiens lillois disposaient de 500 données individuelles pour 1 800 patients opérés et suivis depuis 15 ans. « On s'est dit qu'il devait y avoir un moyen de les utiliser pour avoir des prédictions », raconte le Pr Pattou. Mais ne sachant pas vraiment quelle utilisation pertinente en faire ni comment les traiter, ils se rapprochent de l'Inria. Pour Philippe Preux, chercheur en informatique qui utilise l'intelligence artificielle pour traiter des milliards de données, l'échantillon paraît maigre. « Il y avait une prise de risque de notre côté », se rappelle-t-il. Mais il choisit de tenter « l'aventure » : concevoir, en se basant sur des modèles d'analyses de données déjà utilisés par l'équipe de l'Inria, un outil d'aide à la décision, utilisable pour conseiller et suivre les patients.
Sur les 500 données individuelles disponibles, sept données cliniques simples ont été retenues comme utiles et significatives pour être intégrées dans l'algorithme (taille, poids, âge, tabagie, diabète et type de chirurgie), explique François Pattou. À partir de ces données, l'IA calcule l'évolution prévisionnelle du poids du patient à plusieurs échéances-clé. Elle se présente sous la forme d'une courbe mais aussi d'une zone, au-dessus et au-dessous de cette courbe, « où le poids est considéré comme normal », et ce pour chaque individu, précise Patrick Saux. Les prédictions du modèle lillois ont été comparées avec celles d'un ensemble de cohortes mises à disposition par des équipes de Lyon, Montpellier, Valenciennes et Boulogne mais aussi des Pays-Bas, de Suède, de Suisse, de Singapour, du Mexique et du Brésil, soit 10 000 patients au total. « Il fallait qu'il soit validé le plus loin possible de nous, résume le Pr Pattou. Et on a vu qu'il fonctionnait. »
Aide à la décision et au suivi
Médecins et patients disposent donc désormais d'un outil de prédiction fiable et sur une durée longue au regard des données disponibles. « En pré-opératoire, c'est un outil d'aide à la décision qui permet au patient de se dire si cela vaut le coup » car il lui permet de savoir comment évoluera son poids après une opération, souligne Guillaume Veret, patient expert au CHU de Lille. En post-opératoire, poursuit-il, « la courbe permet de savoir si on se tient au poids prévu ou pas ». Un patient qui voit son poids s'écarter fortement, au-dessus de la courbe (signe de difficultés avec les modalités de suivi) ou au-dessous (signe potentiel de complications) peut ainsi rappeler l'équipe hospitalière pour demander de l'aide. L'outil peut aussi alerter son médecin traitant.
« Notre ambition, insiste François Pattou, c'est que l'outil soit utilisé dans les soins primaires. On opère 1 % de la population et nous ne pouvons pas tous les suivre toute leur vie. Le suivi doit être délégué. » L'ergonomie de l'outil a été pensée pour favoriser la facilité et la rapidité de son utilisation, y compris par les généralistes. Encore faut-il qu'ils sachent que leur patient a été opéré, ce qui n'est pas toujours le cas, observe le Pr Pattou, car les patients ne leur disent pas systématiquement. À terme, l'outil pourrait être intégré aux logiciels métier des médecins. « Nous avons l'ambition qu'il devienne un dispositif médical numérique qui pourrait être remboursé », ajoute le chirurgien. D'autres développements pourraient être imaginés, comme la connexion de l'outil avec des balances connectées.
L'outil est accessible sur le site du projet.
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