Le traitement au long cours par hormone de croissance recombinante est à la fois coûteux (209 millions d’euros en France en 2010) (1) et contraignant. L’injection quotidienne d’hormone en sous-cutanée est un traitement au long cours. Le plus souvent initié vers l’âge de 8-10 ans pour une durée moyenne de 5 ans, il est parfois instauré dès la naissance ou la petite enfance et continué jusqu’à la fin de l’adolescence. En 2010, d’après les données de l’assurance-maladie, environ 10 000 enfants étaient traités par hormone de croissance (GH), la moitié pour déficience en hormone de croissance -dont une petite proportion de déficits sévères- ,l’autre moitié pour l’une des 5 causes de petite taille sans déficit pour lesquelles un traitement par GH est validé : enfant né petit pour l’âge gestationnel n’ayant pas rattrapé son retard de croissance à l’âge de 4 ans, syndrome de Turner, de Prader Willi, insuffisance rénale chronique et anomalie du gène SHOX.
Un gradient de bénéfices très important
Dans les déficits en hormone de croissance congénitaux ou secondaires à une chirurgie ou à une atteinte organique de la région hypophysaire, les bénéfices à attendre du traitement par hormone de croissance sont majeurs. Traiter évite les hypoglycémies, préserve le développement cérébral et assure à l’âge adulte une restitutio ad integrum de la taille. Le gain de taille, -environ 30 centimètres dans les déficits sévères congénitaux-, allonge la fille de 1,30 m à 1,60 m et le garçon de 1,40 m à 1,70 m. Faire le diagnostic et instaurer un traitement précoce est primordial. Le diagnostic est suspecté sur des hypoglycémies néonatales ou de la petite enfance, une cryptorchidie, un ictère prolongé du nouveau-né, ou plus tard, une cassure de la courbe de croissance. Or, selon Gascoin-Lachambre et al (2), le diagnostic est souvent tardif, vers 3-4 ans, malgré des signes rétrospectivement présents un an auparavant. D’où l’importance de suivre la courbe de croissance et de sensibiliser médecins et parents aux reports de tailles et poids sur les courbes du carnet de santé (signalons un site gratuit dédié aux parents : www. courbedecroissance.com). En cas de suspicion de déficit en GH, les tests de stimulation de l’hormone de croissance, peu contributifs (reproductibilité médiocre, seuils mal établis), ont fait place au dosage de l’IGFI et à l’IRM cérébrale à la recherche d’anomalie hypophysaire (tumeur, hypophyse ectopique).
« Mais, souligne le Pr Jean-Claude Carel, ces situations de déficit sévère en hormone de croissance pour lesquels les bénéfices thérapeutiques attendus sont majeurs représentent une minorité de cas, un arbre qui cache la forêt. De nombreuses pressions (industrie, parents, société…) ont contribué à élargir de façon excessive les indications de traitement à des cas pour lesquels les bénéfices attendus sont très inférieurs. Dans les situations de carence modérée (hormone de croissance basse sans déficit certain, en absence de seuil) ou de petites tailles sans déficit, le traitement laisse espérer un gain de taille inférieur 5 cm à l’âge adulte. Ces piètres résultats sont à mettre en balance avec la contrainte du traitement, son coût et ses risques ». Or, sans traitement, la taille attendue à l’âge adulte de ces enfants est d’environ 1,50 m pour les femmes et 1, 60 m pour les hommes. Leur laisser espérer gagner 5 cm est-il si important ? La taille est un sujet sensible. Les débats sur la légitimité du traitement font rage. Si Coluche lançait avec humour et sagesse « La bonne taille pour les jambes, c’est quand les pieds touchent par terre », les partisans du « heightisme » objectent la ségrégation liée à la petite taille. Et effectivement, Coste J. et al. (3) ont montré que la petite taille impacte de façon négative et significative la qualité de vie … mais pour des tailles adultes inférieures à 1,36 m chez la femme et 1,49 m chez l’homme ! On n’est pas dans ce cadre-là pour la très grande majorité des enfants actuellement traités par hormone de croissance…
Incertitudes sur les risques à long terme du traitement
À court terme les risques principaux sont l’hypertension intracrânienne bénigne en début de traitement et qui en impose l’arrêt, les pathologies squelettiques liées à une croissance rapide (scolioses), l’intolérance au glucose et d’exceptionnelles pancréatites aiguës. Si l’on excepte quelques effets indésirables non majeurs, la tolérance du traitement est plutôt bonne avec cependant des inquiétudes sur l’association entre traitement par hormone de croissance chez les enfants présentant un syndrome de Prader-Willi et surrisque de mort subite, mais aucun lien de causalité n’a pu être démontré.
À long terme, les risques demandent à être mieux évalués. L’étude rétrospective SAGhE (Santé Adulte GH Enfant) (4) a analysé en 2009 l’état vital de 7 000 enfants traités en France par hormone de croissance recombinante entre 1985 et 1996. La sous-population traitée dans l’enfance pour retard de croissance lié à un déficit isolé en GH ou pour une petite taille de cause inconnue présente, par rapport à une population de mêmes âge et sexe, un risque de cancer identique mais une surmortalité ratio standardisé de mortalité de 1,33 (IC95 1,08 – 1,64) par hémorragie intracérébrale, tumeur osseuse ou mort subite inexpliquée, en particulier pour des doses supérieures à 50 µg/kg/j. Association ne signifie pas causalité. Si l’alerte lancée par l’ANSM en décembre 2010 suite aux résultats de l’étude SAGhE, a fait chuter de 18,1 % en 2 011 les dépenses d’hormone de croissance, des études en cours (5) cherchent à étendre le recueil de données au niveau européen pour mieux préciser la morbidité à long terme associée au traitement.
Pour conclure, le Pr Carel souligne que « le ratio bénéfices/risques est très largement en faveur du traitement dans les déficits en sévères en hormone de croissance ». Mais son discours est bien différent concernant un déficit plus discret ou une petite taille sans déficit : « lorsque la taille adulte prévisible bien que petite paraît suffisamment élevée pour ne pas altérer la qualité de vie, et que le traitement ne laisse espérer que quelques centimètres supplémentaires, l’amélioration de la qualité de vie attendue grâce à ces quelques centimètres n’est-elle pas chimérique ? Les incertitudes sur les risques à long terme du traitement devraient inciter à la prudence ».
D’après un entretien avec le Pr Jean Claude Carel, Chef de Service Endocrinologie-Diabétologie pédiatrique, Hôpital Robert Debré, Paris. Centre de Référence Maladies Endocriniennes Rares de la Croissance.
(1) http://www.securite-sociale.fr/Une-stabilité-des-dépenses-du-médicament…
(2) Gascoin-Lachambre G et al. PlosONE 2 011 ; 6 (1) : e16367
(3) Coste J et al. J Clin Endocrinol Metab 2 012 ; 97 (9) : 3 231-9
(4) Carel JC et al. Clin Endocrinol Metab 2 012 ; 97 (2) : 416-25
(5) Sävendahl l et al. J Clin Endocrinol Metab 2 012 ; 97 (2) : E213-7
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024