Des experts internationaux, européens et américains — essentiellement nutritionnistes et chirurgiens de l’obésité — se sont réunis à 58 (avec également deux patients) pour redéfinir l’obésité, en partant du principe que l’on restreignait beaucoup trop sa définition à l’IMC (IMC > 30 kg/m2 ou 27,5 kg/m2 dans les populations Asiatiques), alors qu’il y a des exceptions : un excès de masse grasse en dépit d’un IMC normal ou un IMC élevé en lien avec un excès de masse maigre (chez les athlètes en particulier). Pour parvenir à leur proposition, ces experts ont utilisé la méthode Delphi, qui n’est pas une revue de la littérature, mais un recueil d’opinions pour atteindre un consensus.
LE QUOTIDIEN : quelle nouvelle définition de l’obésité proposent les experts ?
PR FABRIZIO ANDREELLI : Considérant que l’obésité est une pathologie en lien avec un excès de masse grasse, ils proposent une nouvelle définition qui va bien au-delà de l’IMC seul. Estimant qu’il fallait avancer dans la définition de l’obésité comme pathologie, les experts proposent les critères de deux entités nouvelles : l’obésité préclinique (excès de masse grasse en l’absence d’atteintes d’organes, cliniques ou biologiques, et sans retentissement sur la vie quotidienne) et l’obésité clinique, qui en est le miroir opposé.
Ils estiment que reconnaître chez les patients avec une obésité clinique, que l’obésité est bien une maladie, pourra contribuer à réduire leur stigmatisation et leur permettre de mieux accéder à des thérapies coûteuses (comme les agonistes du récepteur du GLP1 [arGLP1] ou la chirurgie bariatrique).
Toujours selon ces experts, ne considérer que l’IMC de façon isolée pourrait conduire à un surdiagnostic d’obésité en tant qu’entité pathologique, nécessitant d’office une prise en charge. Cela veut dire que les patients présentant une obésité préclinique ne pourront accéder à ces prises en charge, considérées comme coûteuses.
Quel est le message sous-jacent de ce type de prise de position ?
Les experts proposent de définir l’obésité en tant qu’entité pathologique, avec l’idée que, pour traiter pharmacologiquement ou chirurgicalement, il faut prouver qu’un excès de masse grasse altère bien la santé du patient, sans autre interférence. Il y a ainsi dans cet article, une liste d’atteintes d’organes dont la survenue est considérée par les experts comme directement la conséquence de l’excès de masse grasse, définissant ainsi l’entité obésité clinique.
Cela sous-entend donc qu’il peut y avoir des excès de masse grasse sans aucune conséquence sur la santé (cela est clairement écrit dans l’article), ou éventuellement associées à des atteintes d’organes dont la physiopathologie est indépendante de l’obésité (il s’agira alors d’obésité préclinique).
Or, on sait que l’excès de masse grasse peut favoriser ou aggraver de nombreuses pathologies associées, même si leur physiopathologie n’est pas directement liée à l’excès pondéral.
Que préconisent donc ces experts ?
Tout d’abord, ils demandent de prouver, au-delà de l’IMC, qu’il y a bien un excès de masse grasse par au moins une mesure anthropométrique : soit le tour de taille, soit le tour de taille sur le tour de hanche, soit une analyse quantitative de la masse grasse par impédancemétrie ou scan Dexa. C’est, dans un certain sens, le grand retour du syndrome métabolique !
L’obésité clinique est alors définie par un excès de masse grasse associé à des manifestations cliniques et/ou biologiques directement provoquées par cet excès. Peuvent aussi entrer dans cette définition, les personnes gênées pour accomplir certains actes de la vie quotidienne, en comparaison avec celles de corpulence normale et du même âge. L’imputabilité à une augmentation de la masse grasse, et seulement à celle-ci, n’est cependant pas toujours facile à prouver.
Et si l’obésité n’est pas associée à la défaillance d’un organe ?
Dans l’obésité préclinique, l’excès de masse grasse ne s’accompagne d’aucun retentissement sur les tissus ou les organes, ni d’altérations des capacités de la vie quotidienne. Les experts préconisent de ne pas considérer ce stade comme annonciateur de l’obésité clinique (au sens de prédiabète pour le diabète) car un certain nombre de patients peut rester indéfiniment à ce stade.
De fait, l’obésité préclinique ne justifierait pas un traitement pharmacologique ou chirurgical. Mais si, un jour, des marqueurs biologiques du risque élevé d’évolution vers une obésité clinique sont trouvés, à ce moment-là, il faudra mettre en place des modalités thérapeutiques de prévention pour éviter le passage au stade clinique. En attendant de disposer de tels marqueurs, ces patients doivent être revus régulièrement, pour savoir s’il y a une évolutivité de leur état ; le recours aux traitements de l’obésité clinique devient possible dans certaines circonstances (celles listées, dont une greffe d’organe ou une chirurgie orthopédique).
Qu’apporte cette définition en pratique ?
Bonne question ! Prouver que les manifestations observées (insuffisance cardiaque, fibrillation auriculaire, insuffisance rénale, dysfonction métabolique hépatique, etc.) sont directement la conséquence d’un excès de masse grasse et pas d’une autre pathologie, fait déjà partie des soins courants que l’on propose : c’est une recherche d’étiologie classique.
Quel problème soulève-t-elle ?
Les experts considérant qu’étant donné que le diabète de type 2 (DT2) est une maladie hétérogène, ils proposent que le DT2 ne puisse pas être inclus dans les manifestations directement causées par l’excès de masse grasse. Ainsi, ils ont préféré définir un cluster métabolique (intégré à la définition de l’obésité clinique) comportant une hyperglycémie (il est écrit « non un DT2 »), une hypertriglycéridémie et un HDL bas.
Que pensez-vous de cette exclusion du DT2 dans la définition de l’obésité-maladie telle qu’elle est présentée par le consensus d’experts ?
À mon sens, il y a confusion. Effectivement, le DT2 représente un groupe hétérogène : certains patients sont très résistants à l’insuline. D’autres progressent vite dans l’évolutivité de cette pathologie, quand d’autres encore connaissent une évolution très modérée, etc. Il est clairement écrit que les experts ont refusé d’inclure le DT2 (pathologie hétérogène) afin de ne pas complexifier leur définition de l’obésité clinique. Mais les articles traitant de l’hétérogénéité du DT2 avaient surtout pour vocation de justement préciser ce qu’est un DT2 (à défaut de marqueur spécifique) car celui-ci relève actuellement d’un diagnostic d’exclusion (ni diabète génétique, ni diabète secondaire à une pancréatite chronique, etc.). Or, mieux identifier les groupes ci-dessus permet de mieux comprendre leur origine (certaines de ces entités sont très inflammatoires, d’autres carencées en insuline…), afin de proposer des prises en charge spécifiques, et donc de les retirer du groupe DT2 commun.
Soutenir que seul le cluster métabolique peut faire partie de l’obésité clinique est très restrictif, alors que l’on sait très bien que tout diabète, quelle que soit son étiologie, est aggravé par sa coexistence avec l’excès de masse grasse. D’autre part, il est important de rappeler que toute hyperglycémie est dangereuse et doit être prise en charge. Notre travail, en soins courants, est d’ailleurs d’analyser l’origine de cette hyperglycémie et le traitement dont elle relève.
Quelle est la situation actuelle en France ?
Nous avons déjà des recommandations de parcours de soins issus du travail remarquable des groupes d’experts sur la prise en charge de l’obésité avec la HAS. La notion d’analyser le retentissement de ce surpoids existe déjà.
Alors que l’obésité progresse dans le monde, les patients ont surtout besoin d’accéder à des parcours de soins bien fléchés, et animés par des professionnels, pour bénéficier d’une recherche des comorbidités, de conseils diététiques, de l’activité physique adaptée, si besoin d’un soutien psychologique, etc. Or, certaines régions en France en sont encore dépourvues, rendant difficile la prise en charge des patients.
En fragmentant l’excès pondéral en différentes entités, on risque donc d’exclure de certains parcours de soins et/ou de la possibilité de prise en charge pharmacologique ou chirurgicale, un certain nombre de patients déjà en grande difficulté (ce qui peut d’ailleurs mécontenter les associations de patients).
Les experts eux-mêmes disent qu’il y a encore des recherches à mener pour connaître la proportion de patients avec une obésité préclinique qui vont évoluer vers une obésité clinique (selon la génétique, l’environnement, l’accès aux soins, etc.), par rapport à ceux qui resteront au stade préclinique.
Je trouve inquiétant que soit écrit « qu’un excès d’adiposité puisse coexister avec une santé préservée ». Comment doit-on interpréter cette phrase très générale ?
Quel est le risque, finalement ?
Devoir prouver la causalité entre la manifestation de l’organe et l’excès de masse grasse afin d’établir le diagnostic d’obésité clinique n’est pas facile en soins courants. Il y a un risque de perdre les soignants dans des algorithmes complexes et de retarder l’accès aux soins des patients. Alors que la prescription de thérapeutiques coûteuses (médicaments ou chirurgie) est déjà de la responsabilité des soignants.
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