La mesure continue du glucose (MCG) concerne principalement des diabétiques de type 1 (DT1). Néanmoins, les patients DT2 sous multi-injections d’insuline (au moins trois injections) sont aussi concernés.
Le Quotidien du Médecin : Quels sont les dispositifs de MCG existants ?
Pr YVES REZNIK : Deux technologies sont disponibles : l’une mesure le glucose interstitiel toutes les cinq minutes et délivre une valeur de glycémie en temps réel, sans que le patient n’ait rien à faire. La courbe de sa glycémie s’affiche automatiquement (systèmes Enlite Medtronic couplé à une pompe à insuline, et Dexcom G6 couplé à une pompe ou à un récepteur spécifique). Avec le système Medtronic actuel, pour que les mesures soient correctes, il faut entrer la mesure d’une bandelette glycémique deux fois par jour (calibration), ce qui représente une contrainte (ce ne sera plus nécessaire avec la prochaine génération de capteurs Medtronic). Le système Dexcom G6 ne nécessite pas de calibration. L’autre système de mesure — le FreeStyle Libre — est un capteur qui ne donne pas de mesure du glucose interstitiel en temps réel : lorsque le patient scanne le capteur avec son lecteur FreeStyle Libre, il obtient la valeur de glycémie instantanée et la courbe glycémique des huit dernières heures. Les capteurs ont une durée de vie de 10 à 14 jours. Seul le FreeStyle Libre est pris en charge pour les patients DT2 avec au moins trois injections d’insuline par jour ou pour les patients DT2 sous pompe à insuline.
Quelle est la différence entre MCG professionnelle et MCG personnelle ?
Lorsque la mesure continue du glucose se fait en aveugle et que le patient n’a pas accès aux données, c’est ce qu’on appelle la MCG professionnelle : le médecin récupère le capteur, télécharge les données et regarde les courbes avec son patient pour lui proposer des adaptations thérapeutiques. Ce système permet une analyse rétrospective des données glycémiques chez un patient qui porte le dispositif durant 10 à 14 jours. On peut éventuellement répéter cette mesure plusieurs fois par an si c’est nécessaire. Pour les patients DT2, la littérature porte surtout sur ce type d’analyse intermittente : la MCG professionnelle.
Que nous apporte la MCG professionnelle ?
Son intérêt vient du fait que les profils glycémiques des DT2 sont assez reproductibles d’un jour à l’autre. On peut donc analyser 10 ou 14 jours de tracés glycémiques, qui donnent un bon reflet de l’équilibre glycémique à moyen terme. Il n’y a pas de remboursement du dispositif pour cette utilisation en France, mais il est parfois utilisé dans les centres hospitaliers. Dans une étude de 2021 réalisée avec le FreeStyle Libre pro, chez 42 patients DT2 vivant en Ehpad, il a été détecté des hypoglycémies qui n’ont rien d’anodin : elles représentaient 10 à 20 % de temps en dessous de 70 mg/dl avec 2 à 4 heures d’hypoglycémies la nuit chez des personnes de 87 ans en moyenne, ce qui constitue un danger pour elles ! Dans une autre étude plus ancienne de 2007, la MCG professionnelle identifiait des hypoglycémies chez plus d’un patient sur deux, contre seulement un patient sur quatre avec les contrôles glycémiques traditionnels au doigt par bandelette, soit deux fois plus de dépistage avec la MCG professionnelle.
La MCG professionnelle a-t-elle d’autres utilités que celle de repérer les hypo et les hyperglycémies ?
Elle est effectivement utile pour lutter contre l’inertie thérapeutique. Dans un article du Lancet Diabetes endocrinology de 2020, les auteurs ont analysé 300 patients DT2 pris en charge en médecine générale dont la moitié avaient une prise en charge conventionnelle et l’autre moitié, un FreeStyle Libre pro tous les 3 mois. Parmi ces derniers, 9 % ont bénéficié d’une initiation de l’insulinothérapie, qui a permis une augmentation de 8 % de temps dans la cible, cependant sans différence du niveau de l’HbA1c à 12 mois. Dans une autre étude (J Diabetes sci. Technol., 2021) réalisée dans un centre de diabétologie et portant sur 68 patients DT2, on a aussi noté une amélioration du temps dans la cible et moins d’hyperglycémies avec la MCG professionnelle. Cependant, l’intensification du traitement et/ou un changement du comportement des patients (régime alimentaire, activité physique) ont conduit à un excès d’hypoglycémie (65 % des participants).
L’analyse des courbes s’avère également intéressante chez des patients DT2 difficiles à équilibrer, comme c’est le cas des hémodialysés ou encore, en cas de diabète gestationnel. Enfin, la MCG professionnelle peut motiver des patients : dans l’étude Allen (2008) portant sur l’intérêt des conseils individualisés grâce à l’analyse des courbes, il y a bien eu une augmentation de l’activité physique, preuve que cette approche est pertinente pour inciter les patients à améliorer leur hygiène de vie.
La MGC en temps réel peut-elle aussi induire des changements de comportements vis-à-vis du diabète ?
Cela concerne les patients DT2 ayant au moins trois injections d’insuline par jour. L’utilisation peut être permanente ou intermittente. Une étude chinoise (Yoo, 2008) montre que le recours à la MGC en temps réel pendant trois mois permet une amélioration de l’HbA1c sans changement de traitement du patient, cela grâce à l’amélioration de l’hygiène de vie. Une étude américaine (Vigersky 2012) avec utilisation deux semaines sur trois de la MCG en temps réel, retrouve également une amélioration modeste de l’HbA1c, grâce à une modification du mode de vie et non des médications. Enfin, l’étude Cox J Endocr. Soc. 2020, chez des patients naïfs d’insuline, bénéficiant de changements concernant leur traitement antidiabétique oral et leur mode de vie, a permis une baisse de 1,2 % de l’HbA1c (comparativement à la glycémie capillaire au doigt), renforçant l’idée que la MCG peut réellement contribuer à améliorer l’équilibre glycémique.
Les résultats sont-ils aussi encourageants chez les patients DT2 sous insuline ?
On a davantage de données pour les patients sous insuline (ou en instance de l’être) et qui sont suivis avec le FreeStyle Libre. L’étude de Blackberry 2014 portant sur l’accompagnement de l’initiation de l’insulinothérapie basale avec ou sans MCG, montre qu’il y a trois fois plus d’initiations d’insuline et deux fois plus d’atteinte de l’objectif (HbA1c sous le seuil des 7 %) avec la MCG comparée à la glycémie capillaire. Dans l’étude américaine Diamond de 2017, 158 patients DT2 sous multi-injections ont été randomisés (soit MCG, soit glycémie capillaire au doigt) : on note une baisse significative de l’HbA1c de 0,3 % avec la MCG et une très bonne adhésion au dispositif.
Dans une autre étude multinationale (Haak, 2017), les patients DT2 sous pompe à insuline, multi-injections, ou bolus prandiaux exclusifs, ont obtenu avec la MCG une baisse des hypoglycémies de 50 % (incluant les hypoglycémies nocturnes) et une baisse de 0,33 de l’HbA1c chez les moins de 65 ans. Enfin, deux métaanalyses effectuées chez des patients utilisant la MCG personnelle, ont montré une amélioration de l’HbA1c de 0,25 % et de 0,42 % respectivement, avec la MCG en comparaison à la glycémie capillaire. La MCG personnelle peut donc induire des changements de comportement, accompagner la mise sous insuline ou le suivi d’une insulinothérapie et enfin, réduire les hypoglycémies.
Quelles sont les recommandations américaines et françaises ?
Aux États-Unis, on peut utiliser la MCG à court terme chez le DT2 avec multi-injections si l’HbA1c est supérieure à 7 % avec une éducation spécifique dispensée mais, en France, on ne peut utiliser le FreeStyle Libre que chez les DT2 recevant au moins trois injections d’insuline par jour.
Comment cela se passe-t-il en pratique ?
La gestion est réalisée par le diabétologue libéral ou le centre de diabétologie à l’occasion du passage à trois injections par jour. On peut aussi utiliser la MCG professionnelle chez les patients DT2 sous antidiabétiques oraux ou insuline basale pendant 14 jours pour adapter le traitement et prodiguer des conseils pratiques. Même si le généraliste n’est pas directement concerné par l’indication de mise en place du dispositif, il peut demander un avis au spécialiste si son patient sous insuline basale garde une HbA1c trop élevée ou s’il soupçonne des hypoglycémies. Il sera informé par le diabétologue de l’évolution des paramètres de la MCG (temps dans la cible, temps en hypoglycémie et en hyperglycémie). En termes de ratio coût/efficacité, quelques études tendent à montrer que ces systèmes pourraient aider à réduire l’incidence des complications du diabète.
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