Greffe : conservé hors de l’organisme et « réparé » par une machine de perfusion, un foie a été transplanté avec succès

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Publié le 01/06/2022
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Crédit photo : Wyss Zurich project

Un foie humain de qualité jugée insuffisante pour une greffe classique a été « réparé » par une machine de perfusion innovante (normothermique ex situ) avant d’être transplanté trois jours après, en mai 2021, chez un patient atteint de cancer. « Un an plus tard, le patient est en très bonne santé », a indiqué lors d’un point presse le Pr Pierre-Alain Clavien, chef du département de chirurgie et de transplantation de l'hôpital universitaire de Zurich et premier auteur de l'étude de « Nature Biotechnology » qui rapporte les résultats de cette intervention « historique ».

La prouesse réalisée par l’équipe multidisciplinaire « Liver4Life » ouvre une perspective prometteuse pour lutter contre la pénurie de greffons, en permettant d’augmenter le nombre de donneurs potentiels. En janvier 2020, l’équipe suisse avait déjà décrit dans « Nature Biotechnology » la technique utilisée pour à la fois restaurer un foie endommagé et le préserver hors du corps pendant une semaine.

Une machine qui imite l’organisme

Les dispositifs actuellement disponibles permettent de conserver les organes entre 2 et 5 °C (conservation statique) seulement quelques heures (jusqu'à 24 heures avec les systèmes de perfusion normothermique). Le dispositif élaboré par l’équipe « Liver4Life » permet quant à lui de prolonger la durée de vie du greffon hors de l’organisme en imitant le corps humain. « La machine fait croire au foie qu’il est dans un organisme », explique le Pr Clavien.

Une pompe remplace ainsi le cœur, un oxygénateur les poumons et une unité de dialyse assure les fonctions rénales. Les fonctions de l’intestin et du pancréas sont reproduites par un apport d'hormones et de nutriments. Enfin, pour imiter le diaphragme, la machine déplace le foie, placé sur un coussinet en silicone, au rythme de la respiration humaine.

Cette technique de perfusion mécanique de l’organe permet notamment des thérapies antibiotiques ou hormonales ou encore l'optimisation du métabolisme hépatique. Dans le cas présent, le donneur souffrait d’une infection et le foie a pu être traité par « un traitement antibiotique agressif, sans provoquer d’effets secondaires », souligne le Pr Clavien. La technique offre également la possibilité de mener des tests sur l’organe sans contrainte de temps.

Après plusieurs jours dans la machine, le foie, pourtant jugé initialement non viable pour la greffe, en est ressorti dans un état « absolument parfait », « comme celui d’un donneur vivant », témoigne le Pr Clavien qui a réalisé la transplantation. Le receveur était inscrit sur la liste d'attente de « Swisstransplant ». « En raison de l'évolution rapide de ma tumeur, j'avais peu de chances d'obtenir un foie sur liste d'attente dans un délai raisonnable », explique dans un communiqué celui qui avait pu quitter l'hôpital quelques jours après la transplantation.

D’une intervention d’urgence à une « procédure élective »

Le foie transplanté présentait une fonction normale, avec des lésions de reperfusion minimales, rapporte l’étude. L’organe apparaît également « immunogénique », relève le Pr Clavien. « Le patient a pu rapidement arrêter la prise de stéroïdes et n’a reçu que de très faibles doses d’immunosuppresseurs », poursuit-il. Après un an de suivi, aucun signe d'atteinte hépatique, de rejet ou de lésion des voies biliaires n’a été détecté.

Ce succès pourrait changer la donne en allongeant la durée pendant laquelle une évaluation de la viabilité des organes du donneur peut être menée. En termes de logistique, « c’est un confort, car on a du temps pour organiser la transplantation », insiste le Pr Clavien. Actuellement, une transplantation reste une intervention d’urgence. Cette nouvelle technique pourrait la transformer en une « procédure élective ».

D’autres transplantations sont déjà en vue. Dans le cadre d’une étude multicentrique dans des établissements suisses, 24 foies devraient être prochainement « traités » par la machine et transplantés. Des expérimentations devraient également être lancées « dans les deux ans » avec des reins.

En parallèle, une procédure a été lancée pour obtenir un marquage CE pour la machine de perfusion. Mais, « c’est un processus complexe », souligne le Pr Clavien, précisant que les expérimentations sont pour l'heure réalisées sous le régime des autorisations d’accès compassionnel. In fine, la machine pourrait être disponible « d’ici à deux ans », espère le chirurgien, indiquant que des collaborations devraient se nouer prochainement, et notamment « probablement » avec l’équipe de l’hôpital Paul Brousse (AP-HP).


Source : lequotidiendumedecin.fr