« L’initiation du traitement est subordonnée à la tenue, dans les pôles de référence hépatites, d’une réunion de concertation pluridisciplinaire. »
Cette simple phrase écrite tout en bas de l’arrêté du 30 octobre dernier qui inscrit le Sovaldi (sofosbuvir, distribué par Gilead) sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités, soulève l’inquiétude chez certains professionnels.
Le conseil national professionnel d’Hépatogastroentérologie (CNPHGE) craint que, si cet arrêté s’appliquait effectivement, les réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) tenues dans le cadre de 31 pôles de référence hépatite C se retrouveraient complètement débordées. Dans un courrier adressé aux hépatologues de la région Bretagne, les responsables du pôle de référence du CHRU de Rennes ont d’ailleurs indiqué qu’ils ne seraient pas en mesure de traiter plus de 30 dossiers par mois. Selon le président du CNPHGE, le Dr Franck Devulder, « le recours systématique aux RCP réduirait de facto le nombre de patients traités. Doit-on restreindre la prescription de sofosbuvir pour faire des économies ? C’est une question politique qu’il ne faut pas reporter sur les RCP ».
15 000 patients à 41 000 euros par an
Après une longue négociation au sein du comité économique des produits de santé (CESP), le prix du Sovaldi a été fixé à 41 000 euros pour 12 semaines. Un prix qui reste très élevé, compte tenu des 15 000 patients à traiter chaque année, prévus par les calculs de l’association française d’étude du foie (AFEF). « Les hépatologues sont sensibles aux problèmes économiques mais il appartient au ministère d’encadrer la dépense, pas aux RCP », réaffirme le Dr Franck Devulder. Dans les recommandations sur la prise en charge des personnes infectées par le VHB et par le VHC rédigées par le Pr Daniel Dhumeaux du CHU Henri Mondor, à Créteil, le recours aux RCP est uniquement préconisé pour les cas complexes. Dans ses propres recommandations, l’Agence française de l’étude du foie (AFEF) n’avait pas non plus demandé que l’ensemble des patients passent par les fourches caudines des RCP.
L’AFEF calme le jeu
L’inquiétude portée par le CNPHGE est toutefois relativisée par le Pr Victor De Lédinghen, responsable du service d’Hépatogastroentérologie et d’oncologie digestive du CHU de Bordeaux, et président de l’AFEF. « L’envoi des dossiers devant les RCP est certes inscrit dans l’arrêté du 30 octobre, mais ne sera pas appliqué tant que les conditions de prescription n’auront pas été fixées par une lettre ministérielle que nous attendons encore », explique-t-il. Cette lettre, cosignée par la Direction générale de la santé, la Direction générale de l’offre de soin et la Direction de la sécurité sociale, précisera dans quelle mesure les RCP seront sollicitées, et élargira peut-être le nombre de RCP au-delà de ceux présents au sein des pôles d’excellence. Dans l’état actuel des choses, « n’importe quel hépatologue peut prescrire le sofosbuvir sans solliciter une RCP, du moment qu’il respecte les indications et qu’il travaille en lien avec une pharmacie hospitalière », explique le Pr De Lédinghen. Le sofosbuvir figure en effet sur la liste des rétrocessions hospitalières.
L’AFEF et les associations craignent le monopole du sofosbuvir
Si le risque de goulot d’étranglement au niveau des RCP semble encore hypothétique aux yeux des hépatologues de l’AFEF, celui d’un monopole des traitements en faveur de Gilead leur paraît plus consistant. Dans un communiqué, l’association SOS hépatites s’étonne que bien que la demande d’ATU déposée par Gilead pour Harvoni (association fixe de sofosbuvir et de ledipasvir) ait été demandée en même temps que celle d’AbbVie pour les médicaments Exviera (dasabuvir) et Viekirax (ombitavir/paritaprevir/ritonavir), la première ait été accordée tandis que la seconde serait inexplicablement retardée.
Selon le Pr De Lédinghen, le comité scientifique spécialisé temporaire réuni par l’agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) aurait même déjà pris la décision de refuser d’accorder les deux ATU à AbbVie la semaine dernière. Des propos qui semblent cependant démentis par l’ANSM qui a confirmé auprès du « Quotidien » que « l’ATU de cohorte pour Exviera et Viekirax d’AbbVie est en cours d’instruction ».
Deux poids deux mesures
« Il y a deux poids, deux mesures, s’insurge le Pr De Lédinghen, les efficacités de Exviera et de Viekirax sont très bonnes dans les études. Le président d’Abbvie m’a même affirmé qu’ils avaient proposé de rendre le traitement gratuit le temps de l’ATU ». Selon le spécialiste, si les deux médicaments d’AbbVie n’obtiennent pas d’ATU avant leurs AMM européennes prévues pour le 13 janvier, « ils ne pourront pas être distribués en France tant que le prix n’aura pas été fixé par le CESP, ce qui peut prendre près d’un an ». L’AFEF enverra un courrier avant la fin de la semaine au directeur de l’ANSM le Dr Dominique Martin, lui enjoignant de ne pas tenir compte des conclusions du comité scientifique spécialisé temporaire et d’accorder malgré tout une ATU aux deux nouveaux médicaments d’AbbVie.
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