Un entretien avec le Pr François-Xavier Caroli-Bosc *
LE QUOTIDIEN DU MEDECIN – Pourquoi le cancer du pancréas est-il si difficile à traiter ?
Pr FRANCOIS-XAVIER CAROLI-BOSC – Cela tient à plusieurs raisons. Tout d’abord son diagnostic est fait le plus souvent tardivement devant une maladie évoluée. Même si une meilleure connaissance de certains facteurs de risque comme les TIPMP (1) ou l’existence de formes familiales permet d’envisager un dépistage précoce, cela n’est malheureusement pas le cas de la plupart des patients. Ce diagnostic tardif, corrélé à un envahissement vasculaire fréquent en raison de la proximité des vaisseaux mésentériques, contre-indique souvent un geste chirurgical. De fait, moins de 20 % des patients pourront bénéficier d’une chirurgie à visée curative qui reste la meilleure chance de survie, encore s’agit-il d’une chirurgie difficile dont la morbidité n’est pas négligeable. L’autre difficulté vient de la tumeur elle-même. En effet, l’adénocarcinome pancréatique est une tumeur dont la biologie la rend très résistante aux traitements médicaux actuels. Sa croissance est rapide. Les nombreuses voies intervenant dans la transmission du signal tumoral et les altérations génétiques dont la plus connue est la mutation KRAS présente dans plus de 70 % des cas, permettent de mieux comprendre la chimiorésistance de ce cancer. De plus, la vascularisation tumorale est peu importante, ce qui explique en grande partie l’échec des traitements anti-angiogéniques actuels.
Quels ont été les faits marquants dans le traitement du cancer du pancréas ces dernières années ?
Plusieurs notions se sont progressivement dégagées depuis 1997, date à laquelle Burris avait démontré une relative efficacité de la gemcitabine dans le traitement des tumeurs localement évoluées et/ou métastatiques. La première est qu’un traitement adjuvant est nécessaire lorsqu’une chirurgie à visée curative est réalisée. À ce jour, le traitement de référence est la gemcitabine, moins toxique que le 5FU, qui permet de doubler la survie sans progression par rapport à la chirurgie seule (14 mois versus 7 mois), avec une survie globale à 5 ans en faveur de la gemcitabine. La deuxième est que lorsqu’un malade est inopérable, il est indispensable de différentier les tumeurs localement évoluées des tumeurs métastatiques car leur survie est différente ce qui a une implication directe dans les essais thérapeutiques. La troisième est le recul de la radiothérapie dont l’effet semble délétère lorsqu’elle est utilisée en première intention comme l’a clairement démontré l’essai SFRO/FFCD dans les tumeurs localement évoluées (8,6 mois versus 13 mois pour la gemcitabine seule), mais qui pourrait peut-être apporter un bénéfice après une chimiothérapie première dont le but serait de sélectionner les meilleurs candidats à une radiothérapie (30 % des patients progressent dans les trois premiers mois). L’essai LAP 007 actuellement en cours apportera sans doute une réponse à cette question. La quatrième est l’échec des thérapies ciblées (même si l’erlotinib a ouvert une toute petite porte, aucun facteur prédictif de réponse n’est à ce jour identifié). Enfin, oui on peut faire mieux que la gemcitabine, au moins en situation métastatique comme l’a rapporté Thierry Conroy à l’ASCO 2010 où la combinaison acide folinique, 5FU, oxaliplatine, irinotécan (FOLFIRINOX) a prouvé sa supériorité dans cette situation avec une survie médiane doublée (11,1 mois versus 6,8 mois). Le bémol est que seulement 15 à 20 % des patients peuvent bénéficier de ce traitement dont la toxicité, notamment hématologique, n’est pas à négliger. Il faut donc rester rigoureux sur les critères de sélection des malades : bon état général (OMS 0 ou 1 et absence de cholestase). Tout cela implique que nous devons aussi rester rigoureux dans le choix des traitements standards dans les futurs essais thérapeutiques. Enfin, une question reste en suspens, quelle est la place exacte des traitements néoadjuvants ?
Comment peut-on envisager les traitements du futur ?
On peut imaginer plusieurs approches thérapeutiques. Tout d’abord, définir le rôle du FOLFIRINOX en situation adjuvante chez les malades susceptibles de le recevoir (un essai PRODIGE doit débuter prochainement) et en situation néoadjuvante pour les tumeurs borderline en termes de résection. Ces deux hypothèses méritent d’être vérifiées, on peut espérer que les taux de réponses du FOLFIRINOX, nettement plus élevés que ceux de la gemcitabine (31 % versus 9,4 % dans l’essai PRODIGE 4/ACCORD 11) se traduiront en bénéfice de survie et/ou en taux de résécabilité plus élevés. Sans doute, essayer d’optimiser le schéma FOLFIRINOX en situation métastatique afin d’en améliorer la tolérance, par exemple en introduisant un traitement d’entretien a minima après six cycles, suivi d’une reprise du FOLFIRINOX à progression (un projet est en élaboration au sein du groupe PRODIGE pancréas). Ensuite, ne pas perdre de vue que de nombreux patients continueront, au moins pour l’instant, à être traités par la gemcitabine et qu’il est possible aujourd’hui de mieux prédire son efficacité. La pénétration de la gemcitabine dans la cellule est sous le contrôle de transporteurs membranaires dont le défaut d’expression en immunohistochimie induit une moindre activité de la molécule. On peur citer par exemple le transporteur Hent 1 (human Equilibrative Nucleoside Transporter 1). Il est possible aujourd’hui de mesurer de façon assez précise le niveau d’expression de ce récepteur qui est élevé pour environ un tiers des malades chez lesquels le traitement aura une meilleure efficacité. Parallèlement, la gemcitabine est catabolisée dans la cellule par une enzyme, la cytidine désaminase (CDA) dont le déficit, présent chez 7 % des patients, peut entraîner des toxicités sévères. On peut donc tout à fait imaginer des traitements à la carte qui permettront de sélectionner les patients dont le bénéfice thérapeutique sera attendu. En quelque sorte, nous avons la possibilité de transformer la gemcitabine en une forme de thérapie ciblée ! Il ne faut pas non plus désespérer sur de nouvelles formulations de la gemcitabine voire des taxanes qui permettront peut-être d’augmenter l’efficacité de la chimiothérapie dans cette maladie. Enfin, la meilleure connaissance des voies de signalisation et la possibilité de disposer de molécules susceptibles de les inhiber de façon simultanée restent une hypothèse très séduisante. Les travaux que nous sommes en train de développer au CHU d’Angers vont dans ce sens.
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU, Angers.
(1) Tumeurs intracanalaires papillaires mucineuses du pancréas.
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