POUR ILLUSTRER son propos, le Dr Thierry Harvey cite le cas d’une femme récemment reçue en consultation, qui réclamait une césarienne. « Cette dame avait déjà accouché deux fois. Son bébé était en présentation céphalique, de poids et de taille normale. Le bassin de cette patiente était normal et les conditions obstétricales parfaites pour un accouchement par voie basse. Je lui ai d’abord expliqué que toutes les conditions de sécurité étaient réunies, qu’un obstétricien serait sur place, qu’on pourrait lui faire une péridurale et même une césarienne si cela se révélait nécessaire sur un plan médical. Au final, elle a accouché par voie basse et m’a remercié de ma décision ».
Pour le Dr Harvey, ces demandes de césariennes sans indication médicale sont d’abord liées à une « peur souvent irraisonnée » de l’accouchement par voie basse et d’éventuelles complications. « On voit régulièrement des femmes qui vous racontent un accouchement « épouvantable » qui s’est produit dans la famille et mille fois raconté, explique-t-il. Certaines femmes vous parlent de la souffrance et de la rancœur de leur mère, devenue incontinente après un accouchement vécu comme « une boucherie ». Il faut écouter ces récits puis tout remettre à plat, en se faisant expliquer l’histoire et les circonstances de l’accouchement. Et, dans l’immense majorité des cas, on sera en mesure de démontrer que l’époque n’était pas la même, que cet accouchement difficile s’est déroulé dans des conditions de sécurité qui n’ont plus rien à voir avec celles qui existent aujourd’hui. Ce travail d’écoute et d’explication est indispensable pour que la femme comprenne le bien-fondé de votre refus de pratiquer cette césarienne sans indication médicale ».
Le Dr Harvey est aussi confronté, dans certains cas, à des demandes de patientes qui « ont une sorte d’investissement sacré sur leur périnée » ou plus simplement, refusent un accouchement long et avec une certaine souffrance. « On a l’impression que certaines veulent une « dépose moteur » sur rendez-vous où tout serait réglé en un quart d’heure », constate-t-il.
Des arguments médicaux.
Mais pour convaincre ces femmes, quelles que soient leurs motivations, le Dr Harvey met surtout en avant des arguments médicaux, en posant d’abord une première question : est-ce qu’une césarienne systématique permet de prévenir les complications périnéales, en particulier une incontinence anale ou urinaire ? « À court terme peut-être, mais pas à moyen ou long terme. On ne voit pas de différence, sur cette question de l’incontinence, entre les différentes formes d’accouchement », répond le Dr Harvey, en ajoutant qu’une césarienne systématique n’est pas non plus un facteur d’amélioration de l’état des nouveau-nés. « Plusieurs études ont montré que les enfants, nés par césarienne, notamment avant huit mois et demi, sont moins matures ou ont une maturité digestive qui se fait différemment », indique le Dr Thierry Harvey.
Ce dernier insiste surtout sur le fait que de faire une césarienne, « même à froid », augmente le risque de mortalité maternelle. « Cela a été montré de manière claire ces dernières années dans différentes études épidémiologiques. Il est donc temps que cette information soit donnée de manière explicite aux femmes qui réclament des césariennes sans indication médicale », souligne-t-il.
Pour appuyer sa démonstration, le Dr Harvey cite l’évolution des positions de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC). « À un moment, sous la « pression » du voisin américain, nos confrères canadiens s’étaient laissés entraîner vers une pratique plus importante des césariennes sans indication médicale. Mais aujourd’hui, la SOGC dit clairement que cela n’est pas recommandé ».
En France, la position des autorités sanitaires est pour l’instant moins tranchée.
Les recommandations de la HAS.
Dans ses recommandations sur les césariennes programmées à terme (1), récemment publiées, la Haute Autorité de santé (HAS) souligne que la demande maternelle n’est pas en soi une indication à la césarienne. « Il est recommandé de rechercher les raisons spécifiques à cette demande, de les discuter et de les mentionner dans le dossier médical », souligne la HAS. « Lorsqu’une femme demande une césarienne par peur de l’accouchement par voie basse, il est recommandé de lui proposer un accompagnement personnalisé. Une information sur la prise en charge de la douleur peut constituer une réponse efficace à cette peur. L’information et la discussion doivent intervenir le plus tôt possible, en particulier lors de l’entretien prénatal précoce, en accord avec les recommandations de la HAS sur la préparation à la naissance et à la parentalité. Les bénéfices attendus pour la patiente doivent être mis en regard des risques associés à la césarienne et lui être expliqués (en particulier, le risque accru de placenta praevia et accreta pour les grossesses futures). Après recueil des raisons de la demande initiale, suivi d’une information sur les différents modes d’accouchement, l’acceptation d’une césarienne sur demande nécessite une analyse concertée avec la patiente de ses motivations », souligne la HAS.
Pour la HAS, un médecin peut décliner la réalisation d’une césarienne sur demande, mais « il doit alors orienter la patiente vers un de ses confrères ».
D’après un entretien avec le Dr Thierry Harvey, chef de service de gynécologie-obstétrique, hôpital des Diaconesses, Paris.
(1) Indications de la césarienne programmée à terme. Haute Autorité de santé, janvier 2012.
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