Dr Raphaël Porret (immunologiste) : « Le système immunitaire peut réapprendre à tolérer ce qu'il perçoit à tort comme une menace »

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Publié le 25/04/2025
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Les médecins du département d’immunologie de l’hôpital universitaire de Lausanne ont démontré chez l’animal la faisabilité d’une thérapie cellulaire pour guérir la maladie cœliaque. Ces données sont les dernières en date d’un pan de la recherche clinique en pleine explosion, celui de la thérapie cellulaire des maladies immunitaires. Le premier auteur de l’étude, le Dr Raphaël Porret, immunologiste à l’hôpital universitaire de Lausanne, nous en donne les grandes lignes.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Pourquoi la maladie cœliaque constitue-t-elle un bon candidat pour la thérapie cellulaire ?

Dr RAPHAËL PORRET : Nous connaissons très bien la maladie cœliaque au niveau moléculaire. Sa physiopathologie ressemble beaucoup à celle d’une maladie auto-immune. La seule différence réside dans le fait que cette maladie n’est pas dirigée contre une protéine du soi, mais contre des protéines dérivées du gluten.

Sachant cela, il est rationnel de penser développer une thérapie cellulaire qui vise à supprimer spécifiquement la réponse au gluten, comme cela est en développement contre d’autres maladies auto-immunes. Si on y parvient, cela permettrait d’offrir une alternative au régime strict sans gluten qui reste extrêmement contraignant pour les patients.

Quelles sont les stratégies de thérapie cellulaire développées aujourd’hui contre les maladies immunitaires ? Et quelle est celle que vous employez dans la maladie cœliaque ?

Deux approches sont principalement explorées aujourd’hui. La première consiste à mettre au point des cellules CAR-T, conçues pour détruire spécifiquement les lymphocytes B qui sécrètent les anticorps à l’origine des maladies auto-immunes. Des résultats prometteurs ont été obtenus notamment contre le lupus, avec un véritable « reset » immunitaire et une guérison obtenue chez plusieurs patients.

Nous avons modifié des lymphocytes T régulateurs autologues pour qu'ils reconnaissent une des protéines dérivées du gluten

La deuxième approche se base sur l'utilisation des cellules T régulatrices, dont le rôle naturel est de contrôler l'activation excessive du système immunitaire. Dotées d'une multitude de mécanismes immunomodulateurs, elles permettent de garantir une tolérance envers les molécules du soi et celles inoffensives de l'environnement. Plusieurs essais cliniques ont été conduits, notamment dans le diabète de type 1. Ces essais ont souligné la faisabilité et la sécurité de cette approche. Cependant, l'impact clinique était modeste, probablement au vu du manque de spécificité des cellules T régulatrices transfusées. Certains marqueurs de la maladie ont pu être améliorés, mais le pancréas n'était pas protégé.

Dans notre étude, nous avons procédé différemment. En partant de cellules autologues, nous avons modifié des lymphocytes T régulateurs (Treg) pour qu'ils reconnaissent spécifiquement une des protéines dérivées du gluten. Ces cellules sont alors capables d'inhiber les lymphocytes T effecteurs qui réagissent au gluten, restaurant ainsi une tolérance immunitaire.

Nous sommes véritablement dans une période stimulante et excitante : nous sommes capables d’entraîner le système immunitaire pour lui réapprendre à tolérer, de manière très ciblée, ce qu'il perçoit à tort comme une menace.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Dans un modèle animal de maladie cœliaque, l’injection de lymphocytes Treg modifiés a significativement réduit la réponse immunitaire au gluten et l’inflammation associée. Autre bonne nouvelle, même si nous avons introduit des cellules Treg activées par une seule protéine particulière dérivée du gluten, elles inhibaient la réaction contre différentes protéines issues de la dégradation du gluten.

Cette stratégie nécessite-t-elle une myéloablation comme c’est le cas avec les CAR-T cells ?

Non, on a juste besoin de les injecter. Cela n’en fait pas une procédure légère pour autant. Le plus long, c’est la manufacture de lymphocytes Treg modifiés, puis leur culture, à partir de cellules autologues naïves. Cela prend entre une et deux semaines.

Combien de temps dure cette inhibition ? Faudra-t-il renouveler le traitement ?

Ça, c’est vraiment la question à laquelle nous aimerions avoir une réponse ! Si l’on regarde les résultats des essais cliniques qui ont été faits dans le diabète de type 1 ou la transplantation d’organe, des lymphocytes Treg modifiés étaient toujours présents un an après. Mais cette activité est-elle suffisante pour une immunosuppression vis-à-vis du gluten ?

On sait aussi que l’activité des lymphocytes Treg est entretenue par une exposition régulière aux peptides contre lesquels est dirigée l’immunité qu’ils sont censés réprimer. On espère donc que les personnes qui bénéficieront d’une thérapie cellulaire de la maladie cœliaque pourront consommer à nouveau du gluten, et ainsi entretenir leur immunotolérance.

Quelles sont les prochaines étapes de développement ?

Les résultats que nous avons publiés sont assez solides pour nous permettre d’aller de l’avant, mais il va nous falloir quelques années pour mettre en place un essai clinique. Il faudra notamment réussir à développer une méthode de production de cellules qui satisfasse les critères des bonnes pratiques de fabrication.


Source : Le Quotidien du Médecin