Malgré plus de 50 000 greffes de moelle osseuse chaque année dans le monde pour traiter de nombreuses pathologies, dont certains cancers et maladies du cerveau, cette approche répandue n'a pourtant pas livré tous ses secrets. Dans « Nature Medicine », des chercheurs de l’Institut du cerveau (Inserm/CNRS/Sorbonne Université) et du laboratoire « Gènes, synapses et cognition » (CNRS/Institut Pasteur) ont découvert comment la chimiothérapie agit sur le cerveau en permettant aux macrophages du greffon de prendre la place de la microglie d'origine, ces cellules immunitaires innées cérébrales.
« Avant une greffe, on élimine les cellules du patient qui peuplent la moelle osseuse et ses cellules périphériques en effectuant un conditionnement, c'est-à-dire que l'on utilise des molécules de chimiothérapie, généralement le busulfan, pour les détruire afin de faire de la place pour les cellules du donneur ou celles du receveur en cas d'autogreffe », explique Nathalie Cartier-Lacave, co-autrice de l'étude.
« Nous nous intéressons depuis longtemps à ce principe de la greffe de moelle osseuse pour traiter des maladies neurodégénératives et génétiques par thérapie génique », poursuit-elle. Dans le cadre de la thérapie génique, les cellules sont prélevées chez le patient, mises en présence d'un vecteur viral qui porte le gène thérapeutique d'intérêt, avant d'être réinjectées chez le patient, ainsi génétiquement modifiées, explique la chercheuse.
Une thérapie génique fondée sur cette approche et développée par Bluebird Bio a par ailleurs reçu une autorisation de mise sur le marché en 2021 dans l'adrénoleucodystrophie chez l'enfant. « C'est dans cette pathologie que l'on a montré l'intérêt de l'autogreffe de moelle osseuse chez l'enfant, en utilisant pour la première fois comme vecteur le virus du Sida », précise la chercheuse.
Sénescence de la microglie
En parallèle de ces travaux sur la thérapie génique, les chercheurs se sont intéressés au devenir des cellules greffées. « La greffe de moelle osseuse est efficace, mais nous ne savons pas encore très bien pourquoi ni comment l'améliorer », pointe Nathalie Cartier-
Lacave. Du fait de la difficulté à étudier le phénomène chez l'homme, un modèle de souris a été utilisé. « Nous avons eu recours à la microscopie in vivo, qui nous a permis de visualiser la boîte crânienne de la souris pendant huit mois et ainsi de suivre le déplacement et le devenir des cellules injectées », raconte la chercheuse.
Les auteurs ont d'abord constaté que le conditionnement entraînait la destruction de la microglie d'origine dans le cerveau, qui devient alors incapable de se régénérer comme à son habitude, laissant le champ libre aux nouvelles cellules. « Avec le busulfan, la microglie du cerveau est perturbée et devient sénescente, avant d'être remplacée par les cellules périphériques du donneur, précise la chercheuse. Ce phénomène n'était pas connu auparavant, la perte de la microglie n'était pas un effet attendu de la chimiothérapie. C'est une découverte importante, car il est essentiel de mieux comprendre l'effet d'un traitement comme le busulfan qui est utilisé de façon très répandue en préalable de la greffe de moelle osseuse. » Et de préciser qu'aucun effet délétère de la chimiothérapie n'a été observé sur les neurones.
Différenciation en macrophages
Enfin, une lignée cellulaire de la moelle osseuse implantée a particulièrement attiré l'attention des chercheurs : celle des monocytes-macrophages. « Au sein de cette lignée, nous avons identifié des cellules capables de passer la barrière hémato-encéphalique avant de se différencier en macrophages cérébraux pour effectuer localement le travail de la microglie endogène, comme la phagocytose des débris et la production de molécules qui soutiennent le fonctionnement des neurones », détaille Nathalie Cartier-Lacave. Ces observations soulignent l'intérêt de la greffe dans le traitement des maladies du cerveau, où la microglie est souvent déficiente, comme dans l'adrénoleucodystrophie.
« Kurt Sailor, qui a mené l'étude, va prolonger ce travail pour comprendre par quels mécanismes cellulaires et moléculaires les macrophages de la périphérie du donneur colonisent le cerveau en passant la barrière hémato-encéphalique. On pensait qu'elle était très étanche mais finalement, elle peut s'avérer poreuse dans certains contextes particuliers comme la chimiothérapie », complète Pierre-Marie Lledo, co-auteur de l'étude, ajoutant qu'il reste à étudier quelles fonctions ces macrophages vont précisément assurer. « Cette meilleure compréhension est essentielle pour développer de nouvelles stratégies de thérapie génique et cellulaire appliquée aux maladies du système nerveux central », estime-t-il.
K. A. Sailor et al., Nat Med, 2022. doi: 10.1038/s41591-022-01691-9
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