Les intervenants associations réunis ce 12 décembre par l'université du changement en médecine (UC2M) sont unanimes : la fin de l'aide médicale d’État (AME) serait une catastrophe pour la lutte contre l'épidémie de VIH en France.
La suppression de l'AME et son remplacement par une aide médicale d'urgence étaient inscrits dans le texte de la loi immigration proposé par le Sénat, qui a été retoqué par l'Assemblée nationale. Cette mesure radicale pourrait revenir sur la table à la suite du renvoi de la loi immigration par le gouvernement en commission mixte paritaire le lundi 18 décembre. Invité à s'exprimer, le Dr Bernard Jomier, sénateur de Paris, s'est montré pessimiste sur le sujet. « La commission mixte paritaire comprend une majorité de représentants de la droite. Il est donc probable que le texte de consensus qui en ressortira sera aux dépens de l'AME » , explique-t-il.
Pour Michel Bourrelly, président de Marseille sans sida et responsable d'un programme de prophylaxie pré-exposition (Prep), « on découvre au quotidien des migrants infectés par le VIH avec des parcours compliqués. Ces gens sont dans une souffrance majeure, et il n'est pas éthique de les laisser sans soins ». Ce docteur en pharmacie engagé dans la lutte contre le sida poursuit : « La suppression de l'AME est un non-sens économique, un non-sens politique, qui va conduire des gens aux urgences. L'AME est une chose importante qu'il faut améliorer, pas supprimer. Sinon, nous allons créer des poches épidémiques qui vont nous exploser à la figure. »
À plusieurs reprises, les intervenants ont insisté sur les conclusions du rapport corédigé par l'ancien ministre de la Santé Claude Evin et Patrick Stefanini, spécialiste des questions d'immigration et ex-directeur de campagne de François Fillon et de Valérie Pécresse. Selon ce travail remis au ministre de la Santé Aurélien Rousseau le 4 décembre, l'AME n'est pas trop coûteuse pour l’État et ne génère un appel d'air migratoire.
Une épidémie qui progresse chez les migrants
« La réalité de l'épidémie de VIH aujourd'hui, c'est qu'elle régresse chez les hommes ayant des rapports avec d'autres hommes (HSH) nés en France et qu'elle progresse chez les migrants », explique Giovanna Rincon, directrice de l'association Acceptess-T. En 2022, son organisme a reçu 3 392 personnes, dont 81 % de femmes trans et 12 % de personnes vivant avec le VIH. « La grande majorité ne sont pas de nationalité française, et un tiers n'avaient pas de papier, poursuit-elle. Dans 65 % des cas, ces personnes vivent du travail du sexe. »
Lors des dépistages organisés par l'association, les Trod VIH sont positifs dans 45 cas pour 1000, soit plus de cinq fois plus que la moyenne des Trod communautaires, et 30 fois plus que les dépistages réalisés en population générale. Il s'agit donc d'une population très exposée, mais aussi de plus en plus éloignées des soins.
Un éloignement croissant des soins
Un exemple concret du problème d'accès aux soins : l'association a un programme de Prep adossé au service des maladies infectieuses de Bichat. Au cours de 2022, 13 séroconversions ont été observées au sein des participantes au programme, faute d'observance suffisante. « Dans la pratique, les premiers bénéficiaires de la Prep sont les HSH nés en France, explique Giovanna Rincon. Pour casser la dynamique du VIH, il faut que l'on permette davantage aux migrants d'y accéder. Aujourd'hui les personnes étrangères doivent attendre six mois pour accéder à l'AME, c'est contradictoire avec la volonté politique affichée de mettre fin à l'épidémie ».
L'hôpital Bichat (AP-HP) a une file active de 400 personnes trans féminine vivant avec le VIH, la plus importante en France. Les médecins rapportent par ailleurs s'alarmer des ruptures de soins dans cette population. « Nous avons régulièrement des personnes que nous perdons de vue pendant six mois ou un an et qui interrompent leur traitement », rapporte Giovanna Rincon.
Selon la directrice de l'association, la principale explication est l'intensification de la répression et les conséquences de la loi de 2016, qui criminalise les clients des travailleurs et travailleuses du sexe. « Depuis 2019, on observe une multiplication des notifications d'obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour des contrôles d'identité simples, précise-t-elle. C'est pourquoi les travailleurs du sexe trans étrangers ont tendance à se cacher et à sortir du système de soins. Elles s'exposent par ailleurs à davantage de violence : plus de 50 d'entre elles ont été tuées depuis 2016. »
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