LE QUOTIDIEN : Quels enseignements peut-on tirer de cette quatrième vague épidémique qui s'infléchit ?
Pr YAZDAN YAZDANPANAH : Du point de vue du Conseil scientifique, il est encore un peu trop tôt pour tirer des enseignements, mais on peut déjà constater un certain nombre de faits. Début juillet, nous avions déjà émis un avis sur l'arrivée du variant Delta, plus transmissible, et même probablement plus sévère.
On prévoyait alors une augmentation importante du nombre de cas, puis dans les jours suivants, il y a eu les annonces autour du pass sanitaire qui ont provoqué une prise de conscience collective et un sursaut de vaccination. Cela a permis de contenir un peu le nombre de cas.
Par ailleurs, je pense qu'il faut rester prudent avant de décréter que cette vague a pris fin. La rentrée a eu lieu il y a deux semaines avec des températures adoucies. Il peut y avoir un rebond.
Avec le recul, quel bilan tirez-vous de l’application et de l’impact du pass sanitaire ? Une obligation vaccinale pure et simple n'aurait-elle pas été plus compréhensible ?
Il faudra faire une évaluation a posteriori de cette mesure. Personnellement, je ne pense pas qu'il y aurait eu les 12 millions de nouveaux vaccinés dans les semaines qui ont suivi l'annonce du président sans la mise en place du pass. On n'en parle pas beaucoup, mais il y a eu aussi une prise de conscience renouvelée autour des gestes barrières.
En ce qui concerne l'obligation vaccinale, elle s'entend pour les personnels soignants qui ont une responsabilité vis-à-vis des personnes fragiles, mais pour la population générale, c'est plus compliqué. Je ne pense pas que ce soit une ineptie de dire que, si une personne ne souhaite pas se faire vacciner, le pass sanitaire a l'avantage de lui laisser la possibilité de faire un test et de s'assurer qu'elle ne transmettra pas le virus.
Quant à sa reconduction au-delà du mois de novembre, le Conseil scientifique n'en a pas encore discuté. Cette décision dépendra de la circulation virale au mois de novembre et de la proportion de Français vaccinés.
On assiste à une décorrélation entre le nombre total de cas d'une part et le nombre d'hospitalisations et de décès d'autre part. Analysez-vous cela comme une preuve de l'efficacité des vaccins en France ?
Ce qui est certain, c'est qu'on a désormais la confirmation de son extrême efficacité sur les formes sévères, y compris quand le variant Delta est impliqué. En revanche, il est un peu moins efficace sur les infections qu'il réduit d'environ 50 %.
La société française est tiraillée sur la question du vaccin. On assiste à l’émergence d’une parole vaccino-sceptique entremêlée à l’opposition au pass sanitaire. Sommes-nous en train d’assister à l’émergence d’une « post-vérité » scientifique fondée sur les convictions ? Faut-il s’intéresser aux ressorts sociologiques de cette opposition systématique à la parole des experts ?
C'est un phénomène qui déborde du champ sanitaire. Des travaux de sociologie sont en cours, ils avaient même commencé avant la crise. Car ce n'est pas un phénomène nouveau : nous étions déjà confrontés dans le passé à des gens opposés aux vaccins, ou qui étaient simplement sceptiques. La crise a fait « travailler » ces idées qui sont devenues plus visibles et qui se sont agrégées dans d'autres mouvements contestataires.
C'est dans des territoires comme la Guyane que l'on peut avancer car il y a une grande méfiance de la population. La science doit parler à la société en impliquant les associations de patients. Cela avait fonctionné pour le VIH et on n'a pas encore tenté cette approche avec le Covid-19.
Vous avez souligné dans un avis récent la difficile situation des territoires d’outre-mer. Le Conseil scientifique sera-t-il amené à formuler des recommandations ciblées sur ces territoires ?
Compte tenu de la situation de ces territoires et de la couverture vaccinale beaucoup plus faible, il est en effet possible que nos prochains avis disposent de sections spécifiques. Nous sommes en contact avec des directeurs de crise à Fort-de-France, des directeurs d'hôpitaux, et des directeurs d'ARS via Santé publique France pour suivre la situation.
On a l'impression que le Conseil scientifique n'est pas toujours très écouté par le pouvoir politique : le deuxième confinement a été lancé avec beaucoup de retard, et sur le pass sanitaire, vous vous êtes exprimés après qu'il a été décidé…
Le Conseil scientifique n'a pas vocation à prendre les décisions à la place du pouvoir politique car il se cantonne aux problématiques sanitaires. La gestion d'un pays repose sur beaucoup d'autres éléments, sociaux ou économiques, à prendre en compte. Il y a toutefois un dialogue qui reste très important et, d'une manière générale, nos avis sont largement suivis.
Le Conseil ne s'est pas encore formellement prononcé surla troisième dose ou la vaccination des enfants. Existe-t-il un consensus scientifique sur ces questions ?
Si on se réfère aux données israéliennes, datant de la fin de l'année dernière, on voit que les taux d'anticorps des personnes vaccinées baissent avec le temps et en particulier avec les personnes vulnérables. De plus, l'émergence du variant Delta s'est accompagnée d'une augmentation des patients vaccinés infectés, y compris des cas sévères. C'est ce qui est à l'origine de cette idée de troisième dose de rappel.
Mais d'un autre côté, il est anormal que les pays du Nord pensent à donner une troisième dose à leur population quand moins de 1 % de la population de certains autres pays a reçu une primo-vaccination. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est d'ailleurs prononcée contre la troisième dose pour cette raison d'équité. À partir de maintenant, nous devons nous emparer de sujets plus globaux, et notamment de ce qui se déroule dans les pays à ressources limités.
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