L’ultra-trail, cette discipline née dans les années 1990, attise la curiosité des chercheurs. En parcourant plus de 150 km en un ou deux jours, les corps de ces sportifs constituent une précieuse mine de données pour ceux qui s’intéressent aux effets de la déshydratation et du manque de sommeil, aux stratégies de lutte contre la perte progressive d’équilibre ou même à l’inflammation systémique.
Mais comment en tirer parti ? Se contenter de monitorer les coureurs avant et après l’épreuve n’aurait pas été très utile à en croire Benoit Mauvieux de l’université de Caen (équipe Inserm Comete). « D’une part, l’effervescence de l’arrivée fausse les résultats, explique-t-il. Et d’autre part, cela met de côté les 30 à 40 % des participants d’ultra-trail qui abandonnent. »
Avec d’autres chercheurs, Benoit Mauvieux a eu l’idée d’organiser un ultra-trail avec six boucles de 26 km et 1 000 m de dénivelé par tour à Clécy en Normandie. À chaque révolution du parcours, les participants étaient soumis à des tests. En outre, tous ont avalé une gélule en résine BodyCAP mesurant en permanence la température intestinale, qui est un bon indicateur de la capacité du sportif à se thermoréguler. Parmi les 60 sujets inclus dans ce protocole scientifique, 14 ont abandonné pour diverses raisons, dont un pour hypothermie.
Relevé transcutané de la glycémie, dosage sodium/potassium de la sueur, mesure du type d’appui du pied sur le sol, force musculaire ou encore tests de saut ne sont qu’un aperçu des examens réalisés par les 16 équipes de chercheurs sur place. « On voulait aussi connaître les profils de nos sujets : est-ce qu’il s’agit de gens qui ont des problématiques au niveau de l’estime de soi ? Comment gèrent-ils l’incertitude ? Existe-t-il des traits de personnalités communs chez ceux qui tentent l’épreuve ? Chez ceux qui la réussissent ? », complète Benoit Mauvieux.
Trop fatigués pour utiliser les yeux
Benoit Mauvieux est spécialisé dans les effets de la privation de sommeil. À l’aide d’un électroencéphalogramme à un seul capteur, le chercheur va évaluer les stratégies de récupération basées sur les microsiestes. Par ailleurs, il a déjà constaté que les douleurs musculaires empêchent un sommeil qualitatif dans la nuit qui suit l’épreuve. « Cela signifie qu’il faut conseiller aux coureurs de ne pas prendre la route seuls le lendemain », en déduit-il.
Pour sa part, le Dr Stéphane Besnard du service ORL du CHU de Caen analyse la dégradation progressive de l’équilibre et des capacités d’orientation dans l’espace. « Les capacités de maintien de la posture sont très complexes à maintenir », détaille-t-il.
L’équipe du Dr Besnard a fait passer aux coureurs des tests de perception de la
verticale, tout en faussant leurs repères visuels via un casque de réalité virtuelle. « Plus un sujet est fatigué, moins il se repose sur les signaux visuels très énergivores. La maîtrise de l’équilibre est alors plus robuste mais moins subtile », poursuit le Dr Besnard. Le chercheur a été surpris par le maintien d’une bonne posture jusqu’à la toute fin de la course par tous les participants, alors que 40 % d’entre eux n’y arrivaient plus dès la ligne d’arrivée franchie, signe de l’importance de la motivation dans ce processus.
Ces travaux pourraient permettre le développement de tests de prédiction des chutes. Un test qui pourrait sauver des vies : en 2012, un concurrent de l’ultra-trail de la « Diagonale des fous » s’est tué en chutant dans un ravin de 30 mètres. « Nos données pourraient améliorer la préparation des expéditions militaires qui peuvent être soumises à de fortes contraintes météo », espère le Dr Besnard.
Un état d’inflammation
Le Dr Romain Jouffroy, chercheur associé à l’Irmes Insep et anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Ambroise-Paré (AP-HP), s’intéresse à l’inflammation systémique des coureurs. « Dans les années 2000, les premiers coureurs de ces compétitions me faisaient part de symptômes compatibles avec un syndrome inflammatoire systémique : rythme cardiaque élevé, respiration rapide, fièvre… », se souvient le Dr Jouffroy qui fait le rapprochement avec l’état de choc septique.
Le trail du Clécy lui a donné l’opportunité de mesurer l’évolution de variables biologiques : CRP, protéine S100 (souffrance neuronale), troponine et BNP (marqueur de souffrance cardiaque), urée, créatinine et hémostase. Une application possible de ses travaux serait de fournir des outils prédictifs de l’évolution vers un choc septique dès la prise en charge en Smur, les valeurs lors de la course étant de l’ordre de celles observées en réanimation.
Mais rien n’indique en tout cas qu’un état inflammatoire répété induit par une course d’endurance ne constitue un facteur de risque. « Il faudrait suivre une cohorte de coureurs pendant des années pour en être sûr, mais les données d’impact à court terme dont on dispose nous laissent penser que cela ne représente pas un risque majeur : neuf jours après la course, les valeurs sont revenues à l’integrum », rapporte le Dr Jouffroy.
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