C'est une confirmation qui a valeur d'alerte sur le moral des blouses blanches : les professionnels de santé à l'hôpital sont deux fois plus nombreux que les autres actifs (46 % vs 23 %) à se dire « insatisfaits » de leur travail, selon le dernier baromètre MNH-Odoxa* portant sur les conditions de travail, la santé et les attentes des personnels soignants.
Un sentiment de mécontentement que l’on retrouve toutefois nettement moins marqué dans l'échantillon des médecins (18 % d'insatisfaits) mais très marqué chez les aides-soignantes (51 %). « Plus on fait un "sale boulot", moins on est satisfait de ses conditions de travail », analyse le Dr Yann Bourgueil, membre de la chaire santé de Sciences Po, partenaire du baromètre. Pour le spécialiste en santé publique, c’est aussi parce que les médecins sont « plus autonomes » et ont « davantage de marges de manœuvre et de décision » qu’ils se sentent comparativement mieux dans leur activité professionnelle. À titre d’exemple, ils ont selon lui « plus de possibilités de contrôler leur temps de travail » que d'autres professionnels de santé.
Contraintes professionnelles
On retrouve cette différence de perception des différents métiers sur leurs contraintes professionnelles respectives. Pour 72 % des soignants interrogés, leur métier est jugé « fatiguant ». Mais ce sentiment d'usure est partagé par 56 % des médecins contre 79 % des infirmiers et même 87 % des aides-soignants. Toutefois, pour Yvan Tourjansky, président de URPS kiné Île-de-France, les résultats auraient été sensiblement différents si on avait interrogé aussi les internes ou les faisant fonction d'interne (FFI) où l'épuisement est caractéristique et le « taux de suicide est important ».
D’un point de vue général, les professionnels de santé « subissent »(70 %) et « souffrent » (56 % en sont gênés) nettement plus que les autres actifs de leurs contraintes professionnelles (travail de nuit et le week-end notamment). D’autre part, les deux tiers d’entre eux sont exposés aux risques psychosociaux et à l’agressivité physique de certains patients.
Difficultés de sommeil et somnifères
Plus inquiétant, les deux tiers des soignants ont des difficultés à dormir. Pour plus de 80 % d’entre eux, ces difficultés de sommeil sont dues à leur travail, le plus souvent en raison du stress qu’il provoque. Conséquence, « 31 % des professionnels de santé » déclarent prendre des somnifères ou des tranquillisants, soit 30 % de plus que la moyenne nationale. Quant aux psychotropes, 13 % des soignants en consomment tous les jours et 18 % au moins toutes les semaines, soit respectivement 5 et 4 points de plus que la population générale.
Autre indice, près de la moitié des professionnels (47 %) a eu un arrêt de travail au cours des 12 derniers mois, prenant en moyenne 13,6 jours d’arrêt, le plus souvent en raison d’un stress professionnel (deux fois plus que le reste de la population active).
Le baromètre illustre que les hospitaliers subissent une charge de travail plus importante que ce qui est requis, et évidemment plus important que la moyenne des autres actifs. En moyenne, ils dépassent les 40H par semaine dans toutes les catégories – soit environ trois heures de plus que le temps de travail contractuel. D’autre part, un quart d’entre eux disent travailler plus de 45H par semaine. Les moins de 35 ans sont à 44h, les soignants exerçant au moins en partie en libéral affichent à 46h et l'échantillon des seuls médecins est à 47h.
Les blouses blanches négligent leur propre santé
Côté santé au travail, les cordonniers sont les plus mal chaussés : les professionnels sont deux fois plus nombreux que les autres actifs à ne pas avoir de médecin référent (17 % contre 9 % en population générale). Un chiffre qui atteint même 64 % pour les seuls médecins interrogés ! Et une large majorité de soignants (58 %) n'ont pas pris de rendez-vous avec leur service de santé au travail au cours des deux dernières années (contre 52 % pour le reste de la population active).
Enfin, l’étude souligne les difficultés très particulières liées aux métiers du soin. Un quart des professionnels de santé estiment être en mauvaise santé (ou médiocre), soit presque deux fois plus que les Français en activité. Un ressenti toutefois moins présent chez les médecins, dont 14 % se disent en « mauvaise santé » (29 % des aides-soignants et 24 % des infirmiers).
Interrogés sur les solutions envisagées pour améliorer leur santé, les soignants évoquent en premier (35 %) l'évolution du travail en lui-même (charge, condition, durée, etc.). Viennent ensuite les effectifs (17 %) et le besoin de temps supplémentaire pour se consacrer aux patients (13 %). Seuls 4 % des professionnels mentionnent le salaire. « Cela ne signifie pas que le salaire n’est pas un sujet, recadre Yann Bourgueil, mais qu’il faut d'abord absolument améliorer les conditions de travail des soignants pour améliorer leur santé »
* Echantillon de 1 005 Français représentatif de la population âgées de 18 ans et plus. Échantillon de 1 325 professionnels de santé dont 703 infirmiers, 233 aides-soignants, 137 médecins et 252 autres professionnels (cadres de santé, personnels administratifs…).
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