Travail à deux roues en ville + management par l’Intelligence artificielle (IA) + statut de travailleur indépendant = mauvais pour la santé physique et mentale, alerte l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dans une expertise publiée ce 26 mars, sur les travailleurs des plateformes numériques de livraison de repas (type Uber eat, Deliveroo, etc.), en réponse à une saisine de 2021 de la Confédération générale du travail (CGT).
Depuis les années 2010, l’essor des plateformes numériques soulève de nouvelles questions sanitaires pour les 71 000 livreurs en France, qui cumulent plusieurs facteurs de risque : la pratique du vélo en ville, le statut de travailleur indépendant et le management algorithmique, « qui joue un rôle prépondérant et disruptif dans l’organisation du travail », analyse l’Anses. Il supprime le management de proximité humain en automatisant le pilotage de l’activité (règles d’attribution des courses, évaluation des prestations par les consommateurs, évolutions des modalités de rémunération, sanctions) ; il est source d’asymétrie informationnelle exacerbée entre plateformes et livreurs, et d’opacité pour ces derniers ; il entraîne un écart important entre le travail prescrit (présenté comme simple par les plateformes) et le travail réel.
« Avec cette utilisation de technologies numériques pour attribuer des tâches de travail, les évaluer, surveiller les performances des travailleurs, les sanctionner, les livreurs n'ont pas de marge de manœuvre, de négociation possible, ni de soutien d'une personne physique qui pourrait répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain », décrit à l'AFP Henri Bastos, directeur scientifique santé et travail à l'Anses.
Des effets sanitaires à court, moyen et long terme
Malgré le manque de données épidémiologiques sur les livreurs à vélo, l’expertise de l’Anses identifie des risques à court terme pour la santé, liés à la traumatologie des accidents de la route ou des chutes pendant la livraison, et aux troubles musculosquelettiques causés par une mauvaise ergonomie « humain-vélo » (douleurs et contractures musculaires, engourdissements ou dysesthésies, au niveau des mains notamment, et tendinopathies). Plus d’un quart (26,4 %) des livreurs en région parisienne aurait déjà subi un accident dans le cadre de leur activité et plusieurs décès ont été rapportés par la presse : 17 morts et 14 blessés graves entre 2019 et 2023 en France, des données vraisemblablement sous-estimées. La pression temporelle, le temps passé sur la route, l’absence d’équipement de protection, l’utilisation du téléphone mobile lors de la conduite, majorent ces risques.
À moyen terme, les livreurs sont exposés à un risque d’épuisement physique, cognitif et émotionnel, qui découle de la pression engendrée par le management algorithmique. Celui-ci les conduit en effet à développer des stratégies « d'auto-accélération » (prise de risques sur la route, limitation du temps d’échange avec la clientèle ou le restaurateur). Ceci d’autant qu’existent une compétition intense entre livreurs, une insécurité professionnelle (les revenus sont instables), et des environnements urbains agressifs entre pollution et mauvaises conditions météorologiques, sans lieu de repos. « Il y a aussi des conséquences socio-familiales : pour s'assurer un niveau de vie décent, les livreurs vont accepter un grand nombre de courses et donc avoir des amplitudes d'horaires importantes, travailler parfois 7 jours sur 7 », relève Henri Bastos.
Enfin à long terme, ces travailleurs peuvent développer des troubles du sommeil, des maladies métaboliques, respiratoires ou cardio-vasculaires liées à l’activité exercée en horaires atypiques et à l’environnement de travail (pollution urbaine, bruit, etc.).
Limiter le temps de travail, former et équiper les livreurs
Ces travailleurs ne bénéficient pas d’une politique de prévention des risques adéquate, ni d’une protection sociale suffisante, déplore l’Anses. Il n'y a pas d'obligation de déclarer leurs accidents du travail, par exemple. La Directive européenne (UE) 2024/2831, adoptée le 11 novembre 2024, sera prochainement transposée en droit français (d’ici à novembre 2026). L’Anses veillera à ce que les données de son expertise soient prises en compte dans cette transposition, assure-t-elle. Ce texte prévoit notamment de requalifier comme salariés les livreurs aujourd’hui indépendants, charge aux États de définir leurs modalités de requalification.
L’agence préconise aussi de rendre obligatoire l’application des dispositions du Code du travail garantissant une protection de leur santé et de leur sécurité équivalente à celle des salariés. Il s’agit notamment d’imposer une limitation et un contrôle du temps de travail quotidien et hebdomadaire, toutes plateformes confondues.
Elle appelle encore à responsabiliser les employeurs, pour qu’ils fournissent aux livreurs les équipements (gants, casques…) nécessaires et une formation sur la sécurité routière, la santé et la sécurité au travail (secourisme). Enfin, elle veut rendre obligatoire la collecte et la remontée de données pour documenter la santé des livreurs des plateformes et sensibiliser les consommateurs à ces nouvelles problématiques.
Le syndicat CGT appelle, dans un communiqué publié ce 26 mars, le gouvernement à adopter « de toute urgence une législation ambitieuse en matière de protection sociale » des livreurs.
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