Le samedi, en règle générale, il y a foule dans le cabinet médical de Véronique*. Nourrissons, jeunes et personnes âgées, la généraliste installée en banlieue sud de Lyon soigne de 15 à 20 patients par demi-journée. Mais dernièrement, Véronique a reçu… un seul patient. « J’en ai profité pour faire le ménage. Même le téléphone ne sonnait pas ! » s’alarme-t-elle. Le dimanche de Pâques, même son de cloche. Véronique était de garde de 8 heures à 22 heures. Elle a vu 23 patients au total contre 60 à 70 en temps normal. Le recours à la téléconsultation ? Quasiment pas utilisée par ses patients. La généraliste ajoute : « Tous les matins, beaucoup de personnes appellent pour demander à la secrétaire si le cabinet est ouvert. Le message "restez chez vous" a été interprété littéralement ».
À Lyon comme ailleurs, et malgré les mesures prises par les médecins libéraux (limitation du nombre de personnes dans les salles d’attente, port et distribution de masques, gel hydroalcoolique, désinfection des locaux, plages horaires dédiées aux patients suspectés de Covid-19), beaucoup trop de malades préfèrent rester chez eux plutôt que d’aller se soigner. Ce respect à l'extrême des consignes gouvernementales fait craindre à Véronique une perte de chance pour ses patients, notamment les plus fragiles. « J’ai par exemple le cas d’une patiente âgée qui était tombée dans la nuit et avait réussi à ramper jusqu’à son fauteuil, raconte-t-elle. Le lendemain, en début d’après-midi, elle se plaignait de douleurs importantes. J’ai préconisé une radio. Elle a refusé, elle ne voulait pas sortir de chez elle. Après le passage d’une infirmière, sa nièce m'a rappelée car la douleur était devenue insupportable. La radio a montré qu’elle s’était fracturée le fémur, elle s’est donc rendue aux urgences… »
Les spécialistes ne sont pas épargnés, et même, dans certains cas, davantage touchés. Les opérations non urgentes ayant été déprogrammées avec le plan blanc et faute de patients trop inquiets pour s'aventurer hors de chez eux, l’activité des dermatologues, ophtalmologues, ORL, chirurgiens orthopédiques et pédiatres lyonnais tourne au ralenti. C’est également le cas de ce cardiologue qui exerce à l’ouest de Lyon : « Je reçois en moyenne 90 patients par semaine, actuellement j’en suis entre un à deux par jour en coronarographie et entre 30 à 40 pour le reste. Certaines personnes ont peur de sortir dans la rue et de venir se soigner alors que faire les courses est plus dangereux ! Il y a un risque qu’ils fassent un AVC chez eux ».
« La fin de la médecine libérale »
L'autre crainte des professionnels lyonnais est économique. L’équation est simple : moins de patients, moins de chiffre d’affaires. Un manque à gagner conséquent confirmé au niveau national devant le Sénat par Nicolas Revel : « Sur les trois dernières semaines, les médecins généralistes enregistrent une baisse de leur activité de 40 %, les spécialistes de 50 % » (toutes spécialités confondues), affirmait le patron de l'assurance-maladie (CNAM) le 15 avril. En alerte, les médecins de l'URPS Auvergne-Rhône-Alpes réclament des « mesures de sauvegarde immédiates pour les cabinets libéraux » de la région, un premier versement par l’État à tous les praticiens libéraux « sur la base d’un douzième du chiffre d’affaires de l’année 2019 » ainsi qu'un forfait pour les nouveaux installés depuis moins d’un an et pour les remplaçants. « Des cabinets vont fermer si rien n’est fait, anticipe le Dr Pierre-Jean Ternamian, président de l'URPS et radiologue à Villeurbanne. Cela aggravera la problématique de la démographie médicale. Cela augmentera les inégalités géographiques et sociales d’accès aux soins. » « Même en bénéficiant d'un report des taxes, le chiffre d’affaires va être très difficile à assurer cette année, enchérit un autre médecin lyonnais. La situation est préoccupante pour la profession et pour les patients, et le centre des impôts est injoignable… J’ai peur que cela mette un terme à la médecine libérale. »
* Le prénom a été modifié
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