Violences sexuelles : à Paris, recueillir les preuves avant un dépôt de plainte pour laisser du temps à la victime

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Publié le 21/10/2024
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Une convention permettant le recueil de preuves sans dépôt de plainte préalable pour les femmes victimes de violences sexuelles a été signée le 10 octobre, entre l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le parquet de Paris et la préfecture de Police. Un dispositif original qui a fait ses preuves depuis 2023.

Crédit photo : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Figer les éléments de preuve et laisser à une victime de violences sexuelles le temps de cheminer vers un éventuel dépôt de plainte. Tel est l’objectif d’un nouveau dispositif expérimenté depuis janvier 2023 au sein de la Maison des femmes de l’Hôtel-Dieu (AP-HP) et pérennisé depuis le 10 octobre grâce à une convention signée entre l’AP-HP, le parquet de Paris et la préfecture de police. « Il s’agit de passer par le soin pour accéder au droit, lorsque l’état somatique et psychique fait obstacle », résume la Dr Sarah Dauchy, psychiatre, responsable de la Maison des femmes.

« Les quelques jours suivant une agression sexuelle sont précieux pour aider la patiente à recueillir des preuves. Mais cela suppose l’intervention d’un médecin légiste, et en dehors de ce dispositif, un dépôt de plainte préalable. Or c’est aussi le moment où la femme est le moins capable, psychologiquement, de saisir la justice, en raison de la réaction de stress, de sidération et de dissociation qui peut suivre l’agression et d’un état de confusion d’autant plus grand que l’agresseur est le plus souvent connu de la victime », explique au Quotidien la Dr Sarah Dauchy.

D’où l’idée d’un dispositif qui « aiderait la femme à traverser cette étape-là et éventuellement, à déposer plainte une fois qu’elle aura récupéré, dans le délai qui sera le sien », poursuit-elle. Sans risquer un classement sans suite, une relaxe ou un acquittement faute d’éléments matériels. Fruit d’un partenariat entre la Maison des femmes, spécialisée dans l’accueil des femmes victimes de tous types de violences, le département médico-universitaire (DMU) de psychiatrie et d’addictologie du GHU AP-HP centre et l’unité médico-judiciaire (UMJ) de Paris, le dispositif parisien permet ainsi de conserver les preuves pendant trois ans, à l’hôpital, et de proposer à la femme un parcours de soins.

D’abord les urgences médicales

Le dispositif s’adresse aux femmes majeures ayant subi une agression sexuelle à Paris. Celles-ci doivent d’abord s’adresser à un service d’urgences (à l’hôpital, ou auprès d’un Cegidd* ou d’un planning familial) pour recevoir dans les meilleurs délais les traitements préventifs (traitement post-exposition contre le VIH, contraception d’urgence…) et bénéficier d’un examen médical. « L’urgence médicale prime sur l’urgence judiciaire », explique la Dr Céline Deguette, spécialiste en médecine légale à l’UMJ. Par ailleurs, « la première recherche de preuve peut être faite dans le soin, par le constat des blessures sur le corps, par un urgentiste ou tout autre professionnel de santé compétent », précise-t-elle.

Puis il s’agit d’évaluer si la femme souhaite déposer plainte immédiatement. Ce n’est qu’en cas de refus qu’elle se verra orientée, sur rendez-vous, vers ce parcours au sein de la Maison des femmes de l’Hôtel-Dieu, qui se décline en trois temps.

La victime est d’abord reçue par la sage-femme qui l’informe de ses droits, des procédures de dépôt de plainte et des modalités de la prise en charge globale proposée, et s’assure qu’elle y consent.

Puis, elle bénéficie d’un examen médico-légal par un médecin légiste de l’UMJ (comme dans le cadre d’un dépôt de plainte classique) en binôme avec la sage-femme. « L’examen clinique permet de repérer des blessures, parfois de taille millimétrique, sur la peau, voire au niveau de l’appareil génital, avec l’accord de la patiente. Enfin, en fonction du type de faits rapportés et du temps écoulé depuis l’agression, on peut faire un prélèvement ADN, au niveau de la peau, des muqueuses ou sur les vêtements de la victime », décrit la Dr Deguette. Si la personne pense avoir été droguée, une prise de sang et un prélèvement d’urine peuvent être réalisés et conservés. L’on considère que les prélèvements peuvent être faits dans un délai maximum de cinq jours après les faits. « En pratique, c’est le temps qui permet à la victime de parler de ce qu’elle a vécu à ses proches, qui l’aident parfois à prendre conscience de ce qui lui est arrivé et souvent lui conseillent d’entamer des démarches », commente la Dr Dauchy.

Dans tous les cas, les analyses ne sont pas faites par l’hôpital, mais par le laboratoire de la préfecture de police, sur demande de la justice, une fois la plainte déposée.

Dans un troisième temps, la victime s’entretient avec un psychiatre ou psychologue. « Nous évaluons son état psychique et répondons à d’éventuelles urgences immédiates (par exemple, une crise suicidaire). Puis nous l’informons des mécanismes de protection psychique (comme la sidération, la culpabilisation, etc.) et de l’évolution possible de son état (possible survenue d’un stress post-traumatique), pour l’aider à comprendre ses réactions », détaille la Dr Dauchy.

Elle est revue une semaine après, pour faire le point sur son état de santé et sa réflexion en matière de dépôt de plainte. L’occasion, aussi, de réorienter vers des prises en charge plus longues, si besoin.

Près d’une quarantaine de victimes déjà accompagnées

En 2023, 22 victimes ont bénéficié de cette procédure ; elles sont 16 pour les neuf premiers mois de 2024. Et 11 patientes en tout (six en 2023, cinq en 2024) ont déposé plainte. « Ce pourcentage de victimes qui déposent plainte est plus important que celui de la population générale, observe Candie Grangé, sage-femme clinicienne et coordonnatrice de la Maison des femmes de l’Hôtel-Dieu, porteuse du dispositif. C’est important pour la reconnaissance en tant que victime de la femme, mais aussi pour la société, pour éviter la réitération des violences ». Et c’est d’autant plus notable que la quasi-totalité des femmes reçues à l’Hôtel-Dieu connaissent leur agresseur. « Des circonstances qui rendent difficile la démarche judiciaire, notamment en raison du phénomène d’inversion de la culpabilité, de l’agresseur vers la victime », souligne Candie Grangé.

« Nous sommes un maillon d’une chaîne de soin quand la personne ne peut ou ne veut pas porter plainte », souligne la Dr Dauchy.

Le dispositif fonctionne à moyen constant, la circulaire du 25 novembre 2021 sur lequel il s’appuie n’en prévoyant pas. « On a pu mettre en place ce parcours car la Maison des femmes de l’Hôtel-Dieu est dans le même hôpital que l’UMJ et qu’elle est portée par le département de psychiatrie », soulignent les trois responsables. Et de saluer le soutien de l’AP-HP, en particulier, de la direction du GHU AP-HP centre et de l’Hôtel-Dieu.

*Centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic


Source : lequotidiendumedecin.fr