DEUX DOGMES SONT TOMBES depuis la découverte de l’existence d’une plasticité cérébrale : « le premier est la vision du cerveau en tant que circuit fixe, sur le modèle de l’ordinateur. Et le second est qu’après la naissance, on perd des neurones de façon inéluctable et sans aucune compensation. On sait aujourd’hui qu’en réalité, le réseau de connexions du cerveau se recompose sans cesse et qu’il existe une neurogénèse, au moins au niveau de l’hippocampe et donc dans les structures de la mémoire. Ces découvertes ouvrent bien sûr des perspectives de récupération et de réparation, notamment en cas de lésion cérébrale. D’ailleurs, les médecins de réadaptation fonctionnelle travaillent déjà sur cette base pour reconstruire des réseaux, là où ils ont été détruits. Mais ces découvertes peuvent nous permettre d’aller bien au-delà : elles pourraient entre autres nous aider à mieux comprendre l’impact des psychothérapies sur le cerveau » remarque le Pr Georgieff.
Des preuves indéniables.
À Lyon, les travaux du Dr Angela Sirigu (CNRS) ont permis de montrer que chez les patients amputés des deux mains, les zones de la motricité correspondant aux mains sont très réduites à l’imagerie avant la greffe, alors qu’elles sont réactivées après la greffe. « C’est un bel exemple de plasticité et qui démontre que le cerveau est un lieu de compétition permanente puisque dès lors qu’un organe disparaît, les structures cérébrales correspondantes sont conquises par d’autres organes et par d’autres fonctions » souligne le Pr Georgieff. Pour autant, on ne sait pas si cette plasticité cérébrale est aussi opérante aux différentes périodes de la vie, ce qui ouvrirait des perspectives très intéressantes en gériatrie. Quelles sont les possibilités de transformer, modifier et créer de nouveaux réseaux de connexions à 20, 50 ou 80 ans ? Bonne question, qui intéresse tout particulièrement les cliniciens et les gériatres.
Chez le bébé, on sait déjà que les phénomènes de plasticité sont maximaux. Il se produit notamment une explosion de nouvelles synapses et un très grand nombre de connexions. Grâce aux interactions avec l’environnement, les connexions rendues actives persistent et se renforcent, alors que connexions non utilisées s’éteignent et disparaissent. Les neurones qui ne sont pas stimulés, disparaissent à leur tour (apoptose). Vue sous cet angle, la structure anatomique des connexions cérébrales reflète donc, en quelque sorte, la trace des interactions entre l’environnement et le cerveau (épigénèse).
Mais après ? « Il semble qu’aux alentours de la puberté, il y ait à nouveau une phase de transformation et des réseaux, très importante, comme si au niveau du cerveau, l’adolescence répétait le processus de la petite enfance. On observe effectivement une nouvelle vague de synaptogenèse suivie d’une sélection des connexions utiles et une disparition des connexions non utilisées. Toutefois, on ne connaît pas l’ampleur du phénomène et il est difficile de connaître le degré de reconstruction. On sait juste qu’elle se traduit concrètement par des transformations fondamentales avec entre autres, la naissance de la sexualité, la responsabilisation des actes, etc. ».
Ce phénomène se reproduit-il plus tard, même à un degré moindre ? Il serait intéressant d’y répondre, notamment pour les grandes étapes de la vie (maternité, ménopause, andropause…). L’hypothèse actuelle est que ce type de transformation se poursuit, mais de façon beaucoup plus modérée passé le cap de l’adolescence. « Or même si elle n’est pas massive et brutale pendant le reste de la vie, cette capacité de créer et de modifier des connexions, de façon permanente, ouvre des perspectives intéressantes à des moments cruciaux comme un deuil, un traumatisme psychique, une lésion cérébrale… ».
Quelles applications cliniques ?
Les pratiques de rééducation postlésionnelles, la pédagogie, les apprentissages, les psychothérapies au sens large et les processus du développement de l’enfant, s’appuient nécessairement sur la plasticité, mais sans en mesurer l’étendue des possibilités. Savoir que la plasticité cérébrale existe de façon très importante chez le jeune enfant et l’adolescent, de façon plus modérée ensuite, est donc surtout une révolution conceptuelle. Cela va-t-il pour autant changer les pratiques ? Ce n’est pas aussi simple ! « Cette preuve de la plasticité cérébrale renforce l’idée que l’on peut agir sur le cerveau pour favoriser des changements comportementaux qui à leur tour, vont induire des changements au niveau du cerveau. Mais pour l’instant, il n’y a pas d’application pratique directe » constate le Pr Georgieff.
Tout au plus peut-on tenter de mieux comprendre sur quelles bases cérébrales agissent les psychothérapies et si les changements observés varient en fonction de la durée et de l’intensité des séances. À plus longue échéance, on peut aussi imaginer affiner ces pratiques afin de mieux cibler une zone particulière du cerveau. Et bien sûr, de concevoir des médicaments qui soient capables de stimuler la formation de nouvelles connexions, ou de mieux protéger les neurones. Seule certitude : il reste encore beaucoup à faire dans le domaine de la plasticité…
D’après un entretien avec le Pr Nicolas Georgieff, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, Institut des sciences cognitives, Lyon.
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