PAR LE Dr SOPHIE DUPONT*
LES EPILEPSIES de la face médiale du lobe temporal, qui constituent le syndrome le plus fréquent parmi les épilepsies du lobe temporal, sont le plus souvent associées à une anomalie structurelle, la sclérose hippocampique, dont la physiopathologie demeure débattue. Malgré la multiplication des nouvelles molécules, un grand nombre d’épilepsies de la face médiale du lobe temporal demeurent pharmacorésistantes. La chirurgie est alors une alternative thérapeutique fiable, puisque l’on estime les chances de guérison à environ 60 à 80 %. Si, dans ces circonstances, la chirurgie de l’épilepsie temporale pharmacorésistante va apporter un effet bénéfique substantiel sur les crises, les données issues de la littérature prouvent que les effets sur la mémoire ne sont pas tout aussi bénéfiques. L’hippocampe est en effet connu pour jouer un rôle clé dans les réseaux de mémoire épisodique : mémoire contextuelle de nature très autobiographique avec une marque temporelle et spatiale forte.
Evolution de la mémoire après l’intervention.
Dans la majorité des cas, en postopératoire, on assiste à un déclin des performances de mémoire épisodique verbale, les performances de mémoire épisodique visuo-spatiale étant plus fluctuantes et moins prédictibles pour un patient donné. Dans un étude longitudinale évaluant les performances mnésiques de 114 patients avant l’intervention, un an après et à plus long terme (jusqu’à 10 ans après la chirurgie), Helmstaedter et son équipe (1) ont démontré que 48 % des patients souffrant d’une épilepsie temporale gauche présentaient un déclin significatif de leurs performances en mémoire verbale un an après chirurgie. Les performances mnésiques se stabilisaient au cours du suivi postopératoire à plus long terme et l’on n’observait une aggravation ultérieure des performances mnésiques que chez 10 % des patients. Dans une étude similaire s’intéressant au devenir postopératoire immédiat et à long terme des patients épileptiques ayant eu une lobectomie temporale, Rausch et al. (2) ont observé un déclin des performances mnésiques verbales des patients opérés pour une épilepsie temporale gauche, déclin qui, dans cette étude, semblait s’accentuer avec le temps.
Pour ce qui est des répercussions cognitives des lobectomies temporales droites, les données sont plus contradictoires. Certaines études n’ont pas retrouvé de majoration du déficit de mémoire visuo-spatiale (2).
Le potentiel déclin postopératoire sera bien entendu conditionné par le niveau de fonctionnement hippocampique préalable : un bon fonctionnement mnésique préopératoire étant associé à un moins bon devenir mnésique postopératoire. De nombreux autres facteurs vont pouvoir avoir une influence sur les performances mnésiques postopératoires : âge suoérieur à 30 ans au moment de l’intervention (1) ; âge précoce de début de l’épilepsie, disparition des crises dans la période postopératoire (1).
Prédiction du déficit mnésique.
Le test de Wada, la référence. La prédiction du déficit mnésique postopératoire repose à l’heure actuelle sur des facteurs cliniques de corrélation (fréquence des crises, QI, etc.), sur les données des tests neuropsychologiques préopératoires et bien entendu sur le test de Wada. Ce dernier consiste en l’injection intracarotidienne d’amytal sodique, qui entraîne une inactivation temporaire de l’hémisphère (3). Les fonctions verbales et mnésiques de l’hémisphère controlatéral à l’injection, qui se trouve en situation d’hémisphère isolé, sont alors examinées par un certain nombre de tests qui doivent être passés rapidement. Les résultats ainsi obtenus permettent d’évaluer les capacités de langage et de mémoire de chacun des hémisphères cérébraux et d’écarter les risques éventuels d’aphasie et surtout d’amnésie qui pourraient résulter de l’exérèse de la zone épileptogène.
Le test de Wada est un examen éprouvé, fiable, mais qui présente plusieurs inconvénients. Il s’agit d’une procédure invasive, lourde et éprouvante pour le patient, pouvant poser des problèmes d’interprétation en cas de mauvaises conditions techniques ou de manque de coopération du patient et comportant un problème méthodologique de fond puisqu’une partie de l’hippocampe et du gyrus para-hippocampique n’est pas vascularisée par le territoire carotidien.
L’IRM fonctionnelle. Plusieurs études se sont intéressées directement au remplacement du test de Wada mémoire par l’imagerie fonctionnelle (IRMf) en comparant les résultats des deux procédures chez les mêmes patients souffrant d’épilepsie temporale pharmacorésistante candidats à la chirurgie et deux d’entre elles n’ont pas retrouvé de bonne concordance entre les deux (4-7).
Nous avons, pour notre part, mis en place et validé un protocole de remplacement du test de Wada par l’IRMf (8).
Ce protocole d’évaluation de la mémoire repose sur l’apprentissage (encodage) et la reconnaissance d’objets usuels présentés sur un écran d’ordinateur. Le choix des objets est motivé par la nécessité de réaliser un double encodage dans la modalité verbale (retenir le nom de l’objet) et/ou dans la modalité visuelle (retenir l’image de l’objet). Des études précédentes ont en effet montré la spécialisation hémisphérique des tâches de mémoire épisodique dans les modalités verbales (activation des structures médio-temporales de l’hémisphère dominant) et visuo-spatiales (activation des structures médio-temporales de l’hémisphère non dominant).
Le paradigme est fondé sur une reconnaissance différée d’objets appris la veille, suivie d’un encodage nouveau d’objets avec reconnaissance immédiate de ces objets
La validation de ce protocole a été effectuée chez 25 patients souffrant d’une épilepsie de la face médiale du lobe temporal avec troubles de la mémoire épisodique verbale et visuo-spatiale nécessitant la réalisation d’un test de Wada ont bénéficié d’une étude de la mémoire en IRMf.
Nous avons démontré que l’IRMf permet de prédire correctement l’aggravation de la mémoire verbale dans 90 % des cas grâce à une équation combinant le degré d’activation du lobe temporal médial gauche pendant la tâche de rappel différé, le côté du foyer épileptique et le score global de mémoire verbale en préopératoire : T2T1 verbal = 7,62 + 7,25.LDR – 5,65.côté – 0,58.T1verbal ; où T2T1 verbal est la variation des scores globaux de mémoire entre la période pré- et postopératoire ; LDR, le degré d’activation du lobe temporal médial gauche pendant la tâche de rappel différé ; côté, le côté du foyer épileptique et T1 verbal, le score global de mémoire verbale en préopératoire.
En revanche, l’aggravation de mémoire non verbale n’était pas prédite par le degré d’activation du lobe temporal médial droit et seulement le score global de mémoire non verbale en préopératoire était statistiquement corrélé significativement avec le devenir postopératoire des patients dans le domaine de la mémoire non verbale
Le test de Wada n’était pas prédictif du devenir mnésique postopératoire, dans les domaines de la mémoire tant verbale que non verbale
Ainsi, nous avons pu démontrer que l’IRMf mémoire est supérieure au test de Wada dans la prédiction du devenir mnésique postopératoire. Cette procédure non invasive et facile à mettre en place devrait définitivement remplacer le test de Wada et doit désormais être implémentée en routine clinique dans le bilan préchirugical des patients souffrant d’épilepsie temporale.
*Université Pierre et Marie Curie-Paris 6, Centre de recherche de l’institut du cerveau et de la moelle épinière, UMR S975, Paris ; Inserm, U 975, Paris ; CNRS, UMR 7225, Paris et unité d’épileptologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
(1) Hemstaedter C, et al. Ann Neurol 2002;52(1):89-94.
(2) Rausch R, et al. Neurology 2003;60(6):951-9.
(3) Rausch et al, 1993 Rausch R, Silfvenius H, Wieser H-G, Dodrill CB, Meador KJ, Jones-Gotman M. Intraarterial amobarbital procedures. In : Engel Jr. J, ed. Surgical treatment of the epilepsies. New York : Raven Press, 1993 : 341-57.
(4) Deblaere K, et al. Radiology 2005;236(3):996-1003.
(5) Detre JA, et al. Neurology 1998;50(4):926-32.
(6) Golby AJ, et al. Epilepsia 2002;43(8):855-63.
(7) Rabin ML, et al. Brain 2004;127(Pt 10):2286-98.
(8) Dupont S, et al. Radiology 2010;255(1):128-34.
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