Les auditions de la mission d'information sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire se poursuivent, et les mises en accusation de ce procédé s'accumulent dans les rangs des scientifiques entendus par les parlementaires.
Les nitrites sont employés dans l'industrie agroalimentaire afin de réduire le risque d'infection alimentaire, notamment par le Clostridium difficile, dans les viandes transformées. Les industriels apprécient le rendement supérieur et le gain de temps important, comparé aux procédés plus traditionnels basés sur le sel. Des chercheurs et des médecins lui reprochent une augmentation du risque de cancer colorectal déjà inhérent à la charcuterie.
« Si on avait fait une évaluation du risque dans les années soixante-dix, il n'y aurait pas de sels de nitrite dans la charcuterie aujourd'hui », juge Jérôme Santolini, chercheur en biochimie, responsable du laboratoire « Stress oxydant et détoxication » au CEA de Saclay. « On est au-delà des inquiétudes et du doute », a-t-il rapporté.
Consensus scientifique
Au cours des auditions, plusieurs organisations professionnelles ont estimé que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) était le seul organisme au monde à classer la charcuterie dans le groupe 1 des produits cancérigène avéré pour l'homme et à classer le traitement par les sels de nitrite comme cancérigènes probable (2a).
Un avis que ne partage pas Jérôme Santolini. « C’est un classement unanime, affirme-t-il. Le Fonds mondial de recherche contre le cancer (WCRF) a fait trois rapports successifs sur la question, en 1997, 2007 et en 2018, avec des protocoles très ouverts et des procédures extrêmement robustes. L'INCa a également affirmé le caractère cancérigène de la charcuterie en 2015 dans son rapport alimentation et cancer, et l'EFSA, dans sa réévaluation du nitrite en 2017, disait aussi la même chose. Enfin, l'ANSES recommande depuis 2011 de limiter la consommation de charcuterie. »
D'autres expertises citées devant la mission parlementaire ne vont pas dans le sens d'une dangerosité des nititres dans la charcuterie, en tout cas au niveau réglementaire où ils sont employés. Dans un récent rapport de l'Académie d'agriculture de France (réalisé sous le patronage du ministère de l'Agriculture), un groupe de travail a ainsi estimé que « le risque soupçonné d’augmentation du cancer colorectal lié à l’utilisation des nitrites comme additifs dans les charcuteries aux doses autorisées par la réglementation n’est pas scientifiquement établi par les études toxicologiques et épidémiologiques disponibles ».
Les rapporteurs, parmi lesquels figurent des chercheurs en toxicologie, en médecine vétérinaire, ainsi que l'INSERM et l'INRA, estiment que l'utilisation des nitrites répond à une analyse bénéfice/risque : risque de cancer, d'une part, contre bénéfice bactériologique, d'autre part. « Ce rapport ne répond pas aux critères de ce qu'est une expertise, tranche Jérôme Santolin. C’est une opinion de quelques scientifiques sur un sujet qu'ils ne comprennent pas. »
Que dit l'EFSA ?
L'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a conclu, en juin 2017, que l'exposition des consommateurs aux nitrites et aux nitrates ajoutés aux aliments se situe dans des limites sûres pour tous les groupes de population, à l'exception d'un faible dépassement chez les enfants dont le régime alimentaire est riche en aliments contenant ces additifs.
Pour Jérôme Santolin, il n'y a pas d'opposition entre les conclusions de l'EFSA et celles du CIRC et du WCRF. « L'évaluation de l'EFSA est basée sur une seule toxicité : la méthémoglobine directement induite par les nitrites, et non pas la cancérogénicité qui est disqualifiée d'emblée, argumente le chercheur. Le travail de l'EFSA consiste à travailler sur des toxicités "classiques" et pas de faire des évaluations de risque. »
Jérôme Santolini a beaucoup travaillé sur les oxydes d'azotes au cœur des inquiétudes des agences de recherche. « Ce ne sont pas les nitrites qui sont considérés comme cancérigènes, mais la soupe de composés qui naissent du traitement des viandes par les sels nitrités, et notamment les oxydes d'azote, explique-t-il. Ces molécules sont très réactives. Leur demi-vie est de moins d'une heure dans l'organisme. Ils réagissent entre eux et se modifient au fil du temps, après l'ingestion. » Le chercheur qualifie la toxicité des oxydes d'azote de « toxicité protéiforme ».
Autre argument exploité notamment dans le rapport de l'Académie d'agriculture : le risque d'un retour du botulisme en cas de retrait des sels de nitrites. « Aucune donnée épidémiologique ne soutient cet argument dans les pays où les sels de nitrites ne sont pas employés. »
Vers une signalétique spéciale sur les additifs ?
Questionnée sur la prise en compte des sels nitrités dans le calcul du Nutri-Score, Mathilde Touvier, directrice de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), a expliqué le message qui doit être délivré aux consommateurs : « 79 % des aliments ultra-transformés contentant des additifs sont classés C, D ou E, explique-t-elle. Certains aliments ultra-transformés peuvent avoir une bonne qualité nutritionnelle, mais il faut faire passer l'idée qu'il faut privilégier les aliments les moins transformés possible et les plus bio possible. »
Faut-il une signalisation en amont pour signaler un risque de cancer indépendant des qualités nutritionnelles du produit déterminé par le Nutri-Score ? S’il y a un risque cancérigène, la protection du consommateur doit intervenir en amont, répond Mathilde Touvier, « avec l'interdiction ou une réduction drastique des doses journalières autorisées. » La chercheure a en outre insisté sur le fait que l'« on ne dispose pas des informations scientifiques suffisantes pour établir une note complémentaire du Nutri-Score qui informe sur les risques de maladies chroniques ».
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