La flore microbienne des fromages sous l’œil des chercheurs

Par
Publié le 31/10/2024
Article réservé aux abonnés

Un Livre blanc, présenté à l’Académie nationale de médecine, synthétise les connaissances sur les risques et les bénéfices sur la santé de la consommation de fromages.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Présence d’acides gras saturés, forte teneur en sel, richesse calorique : la composition des fromages les pénalise dans les recommandations nutritionnelles. Si leurs notes Nutri-Score se révèlent souvent médiocres, leur consommation est particulièrement importante en France (24 kg/personne/an). Mais qu’en est-il de l’adage populaire qui veut que le fromage soit bon pour la flore intestinale ? « Chaque morceau de fromage contient environ un milliard de bactéries, levures et moisissures », rappelle Estelle Loukiadis, directrice scientifique de VetAgro Sup.

La chercheuse a coordonné un travail d’analyse de plus de 2 500 études, réalisé pour le compte de la Fondation pour la biodiversité fromagère, synthétisant les connaissances sur les bénéfices et risques sanitaires liés à la consommation de fromages. En est ressorti un Livre blanc, présenté le 14 octobre à l’Académie nationale de médecine sous l’égide de sa Fondation, dont les conclusions invitent à développer la recherche.

La diversité microbienne des produits laitiers sous appellation d’origine protégée (AOP) est confirmée dans une étude de séquençage menée notamment par l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et le Commissariat à l’énergie atomiques et aux énergies alternatives (CEA), publiée en août dernier. Les auteurs démontrent ainsi l'existence d'un « core microbiote » spécifique qui contribue à la richesse du microbiote intestinal des consommateurs, résume Estelle Loukiadis.

Des effets potentiellement bénéfiques

Pour autant que sait-on des conséquences sur la santé ? Les données disponibles suggèrent plusieurs effets bénéfiques associés à cette diversité, d’autant plus marquée quand les fromages sont au lait cru. C’est le cas de l’influence sur la composition du microbiote intestinal et d’une consommation « source de pré- et probiotiques », indique la chercheuse.

Des études observationnelles ont également établi un lien entre la consommation de produits laitiers et une moindre prévalence des maladies allergiques chez l'enfant. L'étude européenne Pasture, menée auprès de 1 000 enfants de régions rurales de cinq pays européens (Allemagne, Autriche, Suisse, Finlande, et France/Franche-Comté), montre que la diversité microbienne et la composition physico-chimique des fromages réduisent le risque de maladies atopiques. La consommation modulerait par ailleurs la composition du microbiote intestinal et la réponse immunitaire. Mais, dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), les travaux apparaissent « contradictoires » nuance la chercheuse.

Concernant les maladies cardiovasculaires, à contre-courant des idées reçues, la consommation, dans le cadre d’une alimentation et d’une hygiène de vie saines, serait plutôt protectrice. Une méta-analyse de 2023, conclut à un effet neutre sur la mortalité cardiovasculaire.

Des défis pour la recherche

Les recommandations actuelles - deux produits laitiers quotidiens pour les enfants, trois pour les adultes - restent peu spécifiques et visent un apport nutritionnel, et non la richesse microbienne. Faut-il les faire évoluer ?

Des « études interventionnelles internationales, interdisciplinaires et intersectionnelles », adoptant une approche « une seule santé » (intégrant les enjeux liés à la santé des humains, des animaux et des écosystèmes), sont indispensables avant d’envisager d’établir des recommandations nutritionnelles, plaide Estelle Loukiadis. Le Pr Gabriel Perlemuter, gastroentérologue et nutritionniste, préconise des recherches interventionnelles sur des populations bien phénotypées et sélectionnées.

Des travaux restent à mener pour comprendre les mécanismes à l’œuvre et ce d’autant que « certains individus sont répondeurs et d'autres non », explique Sophie Nicklaus, également directrice de recherche à l'Inrae.


Source : lequotidiendumedecin.fr