Traitements intravitréens de la DMLA

Comment faire face à l’inflation ?

Publié le 22/03/2012
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PAR LES Drs VINCENT PIERRE-KAHN* ET DAVID SAYAG**

Depuis la publication des résultats des études MARINA et ANCHOR, le traitement des néovaisseaux choroïdiens (NVC) rétrofovéolaires repose sur les injections intravitréennes (IVT) de ranibizumab (Lucentis, Novartis Pharma) en monothérapie. Ces injections s’inscrivent néanmoins dans une stratégie de soin au long cours, associant injections répétées et surveillance clinique régulière. Le nombre d’IVT de ranibizumab est passé d’environ 100 000 en 2008 à 200 000 en 2011, propulsant le ranibizumab dans le « top ten » des médicaments les plus prescrits en France.

Cette inflation se poursuit et s’explique par plusieurs facteurs.

– Une prévalence importante de la DMLA exsudative (400 000 patients en France), dont l’augmentation est corrélée avec le vieillissement naturel de la population.

– Une attraction réelle vers cette molécule qui permet des gains visuels souvent très significatifs et dont la biodisponibilité intravitréenne reste à ce jour supérieure aux autres voies explorées.

– Un diagnostic posé de plus en plus précocement (campagnes d’information grand public) qui oriente un plus grand nombre de malades vers les centres de traitement.

– Une capacité augmentée de prise en charge des patients par des praticiens dédiant une plus grande partie de leur activité à cette pathologie.

– Une efficacité toute relative des mesures de prévention primaire.

– Une demi-vie trop courte du ranibizumab exposant les maculopathies à de nombreuses récidives.

Face à cette inflation croissante, les stratégies d’adaptation sont multiples, synergiques mais encore insuffisantes.

Adapter l’offre à la demande.

Développement d’un plus grand nombre de centres de soins spécifiques englobant des plateformes non seulement d’imagerie diagnostique mais aussi de traitement. Structurer ces espaces de manière à fluidifier les circuits patients. Face à la pénurie actuelle et à venir d’ophtalmologistes, cela sous-entend une délégation accrue des tâches aux orthoptistes dans la réalisation des mesures d’acuité et d’examens d’imagerie.

Optimiser les stratégies de traitement.

L’objectif du traitement est d’obtenir une non-perfusion du NVC. Afin d’obtenir le meilleur résultat fonctionnel, le protocole recommandé par les études pivotales a été d’injecter le traitement de façon mensuelle pendant au moins deux ans. Devant la difficulté pratique de mise en place d’un tel protocole, la stratégie a évolué vers un traitement « à la demande » (étude PRONTO). Après trois IVT mensuelles, les patients sont alors suivis tous les mois par une mesure d’acuité visuelle, des rétinophotographies, des coupes OCT et, en cas de doute, une angiographie. L’indication d’un retraitement étant fondée sur la réapparition d’une exsudation et/ou d’une hémorragie maculaire. Ce protocole est logiquement devenu le plus utilisé en pratique quotidienne. Ainsi, se dégage la nécessité de six à sept IVT la première année et de quatre à six la deuxième. Les stratégies étudiées pour réduire le nombre d’injections sont nombreuses.

– Espacement de la surveillance : si la surveillance est trimestrielle et non plus mensuelle, le bénéfice initial obtenu après la phase d’induction est totalement perdu à un an (PIER).

Inject and extend : son objectif est de réduire le nombre de visites annuelles et d’améliorer l’observance thérapeutique. En pratique, le patient reçoit une IVT systématique à chaque visite. Le délai de réinjection est défini le jour de l’IVT sur les critères d’acuité et d’OCT. Ce délai est augmenté de deux semaines si les néovaisseaux restent inactifs, diminué de deux semaines dans le cas contraire sans jamais dépasser trois mois ou descendre en dessous d’un mois. Un patient idéalement répondeur verra sa quatrième injection après six semaines puis sa cinquième à huit semaines, puis une injection toutes les douze semaines. Un minimum de sept IVT et visites (concomitantes) est donc requis la première année, quatre la deuxième.

– Recourir à des molécules ayant une demi-vie augmentée : le bévacizumab (Avastin, Roche) injecté à la dose de 1,25 mg aurait une efficacité de six semaines contre quatre pour le ranibizumab. Malgré les résultats de l’étude américaine CATT qui ne retrouvait pas de non-infériorité d’Avastin sur Lucentis, il est difficile en pratique de se procurer et de conditionner le bévacizumab pour une indication hors AMM et dont l’usage est exclusivement hospitalier. Quid de demain ? Il est néanmoins certain qu’Avastin contribuerait à réduire l’inflation économique du traitement de la DMLA.

– Combiner plusieurs traitements. L’intérêt pour les thérapeutiques combinées impliquant PDT, Lucentis et corticoïdes (dexaméthasone, triamcinolone) vise à réduire le nombre d’IVT en agissant sur différents mécanismes physiopathogéniques des NVC. De nombreuses études dont EVEREST ont permis de valider la combinaison PDT-anti-VEGF versus anti-VEGF seul. A un an, les résultats montrent de faibles taux de retraitement.

– Privilégier la photocoagulation directe du NVC qui demeure le traitement de référence des (NVC) ou dilatation polypoïdale extrafovéaux. Retenons que son efficacité est durable sans récidive dans 50 % des cas.

En pratique, au fils des mois, il est souvent possible de dégager au cas par cas un rythme de suivi personnalisé en fonction des formes cliniques (nécessité d’un bilan d’imagerie initial complet) et des modes de réponses propres à chaque patient.

Fonder l’espoir sur de nouveaux produits.

De nouvelles molécules – VEGF Trap, anti-PDGF, inhibiteur du facteur C5 – visent à obtenir des résultats au moins identiques à ceux du ranibizumab avec une réduction du nombre d’IVT. La plus prometteuse est le VEGF Trap (EYLEA- aflibercept) avec une efficacité de deux mois. Sa mise sur le marché est prévue pour 2013.

Une chose est certaine : la volonté actuelle de nos organismes de tutelles, influencée par l’industrie pharmaceutique, de modifier la réglementation et les politiques de remboursement du ranibizumab en tentant de réduire la sémiologie à la simple acuité visuelle. Après une phase d’induction thérapeutique, le traitement serait arrêté dès stabilisation de l’acuité puis repris en cas d’aggravation fonctionnelle. Or la réapparition d’une exsudation maculaire précède le plus souvent la baisse d’acuité visuelle. Une baisse visuelle peut être liée à de l’atrophie, à une complication, à une cataracte évolutive, etc. Raisons qui ne constituent pas une indication de réinjection. Cette politique induirait incontestablement une paupérisation de l’examen clinique rétinien au détriment de la prise en charge de nos patients.

L’avalanche du nombre d’IVT continue de modifier nos habitudes de travail et nos modes de traitements. Cette inflation est vouée à s’accentuer puisque, après la mise sur le marché et l’obtention du remboursement de la dexaméthasone retard (Ozurdex, Allergan) dans le traitement des occlusions veineuses, ce sera prochainement au tour du ranibizumab d’obtenir un remboursement dans le traitement des œdèmes maculaires occlusifs et diabétiques. En un mot : « Il va falloir piquer plus, mais mieux ! ».

* Hôpital Foch (Suresnes), Explore Vision (Paris).

** Hôpital Intercommunal (Créteil), Explore Vision (Paris).


Source : Bilan spécialistes