PAR LE Pr BAHRAM BODAGHI*
LES STRATEGIES THERAPEUTIQUES des uvéites ont été bouleversées depuis le début du nouveau millénaire. En effet, le cahier des charges idéal du traitement associe une efficacité maximale et une excellente tolérance. Pour le moment, cet objectif n’a pas été atteint mais des avancées significatives méritent d’être soulignées. Jamais l’approche thérapeutique locale n’a été autant souhaitée que lors de ces dix dernières années.
Les uvéites infectieuses : une indication historique !
Les uvéites infectieuses ont été les premières à bénéficier de traitements intravitréens. Le foscarnet et le ganciclovir ont été largement utilisés au cours des rétinites virales chez l’immunodéprimé ou l’immunocompétent. Le dispositif intravitréen à libération prolongée de ganciclovir est d’ailleurs l’ancêtre commun d’un des implants actuellement disponibles. La prise en charge ambulatoire des rétinites est proposée dans certains cas par les équipes anglo-saxonnes. Cependant, la prudence doit rester de mise et l’administration d’antiviraux per os doit être renforcée par une ou plusieurs injections intravitréennes (IVT). Plus récemment, une étude prospsective et randomisée, portant sur 64 patients, a montré que l’efficacité de la clindamycine (1 mg) associée à la dexaméthasone (400 µg) intraoculaire était comparable à celle du traitement antiparasitaire conventionnel, au cours de la rétinochoroïdite toxoplasmique. Les auteurs proposent ainsi une alternative thérapeutique bien supportée en cas d’intolérance aux antiparasitaires systémiques (1). Il est important de garder présent à l’esprit la contre-indication de toute corticothérapie intraoculaire à effet prolongé, au cours des uvéites infectieuses, surtout lorsque l’infection n’est pas contrôlée.
Des approches prometteuses dans les uvéites auto-immunes.
Les corticostéroïdes. Les uvéites non infectieuses représentent un groupe d’affections dysimmunitaires hétérogènes mettant en jeu le pronostic visuel. Le contrôle durable de l’inflammation est un objectif principal qui n’est pas toujours facile à atteindre. Les résultats récents de l’administration de dexaméthasone par iontophorèse au cours des uvéites antérieures semblent prometteurs (2). La triamcinolone a été très longtemps utilisée par voie sous-ténonienne (sous-conjonctivale) ou intravitréenne au cours des uvéites unilatérales ou bilatérales mais très asymétriques, à prédominance intermédiaire ou postérieure. Depuis plusieurs décennies, l’incidence de l’hypertonie cortisonique, proche de 20 %, et les réactions de pseudo-endophtalmie, certes plus rares mais également préoccupantes, ont limité les indications thérapeutiques à des cas bien particuliers. L’implant d’acétonide de fluocinolone a été largement utilisé aux Etats-Unis avec une durée d’action de près de trois ans, mais sa commercialisation n’a jamais été approuvée en Europe, étant donné le développement quasi-constant de cataracte (87,8 %) et la fréquence inquiétante de glaucome cortisonique nécessitant une chirurgie filtrante (21,2 %) (3). Une étude plus récente a montré l’efficacité et la bonne tolérance d’un implant biodégradable à libération prolongée de dexaméthasone (4). L’efficacité a été évaluée sur la réduction du trouble vitréen et l’amélioration de l’acuité visuelle. Après avoir obtenu l’AMM européenne dans l’indication d’occlusion de la veine centrale de la rétine, Ozurdex a obtenu l’AMM au cours des uvéites intermédiaires et postérieures d’origine non infectieuse. Le remboursement serait disponible à partir du deuxième trimestre de cette année. Même si la prudence doit rester de mise, les études après plusieurs injections consécutives semblent indiquer un risque d’hypertonie et de glaucome moins important que ce qui est classique d’observer avec les corticoïdes. Il est capital de définir des recommandations de bonne pratique pour permettre l’utilisation optimale de cet implant. Ainsi, il est important de suivre les étapes suivantes avant de proposer une telle administration :
– éliminer une atteinte infectieuse ou une infiltration tumorale qui contre-indiquerait l’injection. Il est parfois nécessaire de réaliser une analyse de l’humeur aqueuse ou du vitré avec examen cytologique, PCR et dosage du taux d’interleukine 10 ;
– vérifier l’absence d’hypertonie ou de glaucome de toute origine ;
– exclure les uvéites pédiatriques ;
– exclure les atteintes inflammatoires associées à une pathologie systémique active méritant elle-même un traitement corticoïde ou immunosuppresseur, comme la maladie de Behçet ou la sarcoïdose ;
– privilégier les inflammations unilatérales et, en cas d’atteinte bilatérale, les formes asymétriques.
La deuxième question importante porte sur la durée d’action de l’implant. Il semblerait qu’elle se situe entre 4 et 6 mois selon l’étiologie de l’uvéite. Les études en cours permettront d’apporter plus de précisions et d’affiner l’approche thérapeutique.
Les immunomodulateurs, une stratégie en cours d’évaluation. L’efficacité de certains immunomodulateurs comme les anti-TNF alpha, utilisés par voie systémique, a été partiellement démontrée au cours des uvéites rhumatismales de l’adulte ou l’enfant. Il semblait donc tentant de les tester par voie locale intravitréenne. Contrairement à ce qui était attendu, l’efficacité de cette approche n’a pas pu être établie (5) et les spécialistes ont proposé un moratoire afin de mieux étudier le rapport bénéfice/risque d’une telle stratégie. Les propriétés pharmacologiques de ces molécules rendent leur utilisation locale difficile. Une étude multicentrique internationale sera très prochainement initiée afin d’évaluer l’intérêt du sirolimus en injection intravitréenne dans l’indication d’uvéite non infectieuse.
La thérapie cellulaire, une perspective intéressante. Une autre stratégie thérapeutique utilisant la voie intravitréenne est actuellement en cours de validation par l’AFSSAPS. Il s’agirait de purifier, d’activer et d’injecter les lymphocytes T régulateurs des patients atteints d’uvéite non infectieuse afin de moduler l’uvéite en se passant de toute molécule chimique. Les études préliminaires chez l’animal ont montré l’efficacité d’une telle approche et les études de tolérance chez l’homme vont débuter dès que les autorisations réglementaires seront obtenues.
* Service d’ophtalmologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
(1) Soheilian M, et al. Randomized trial of intravitreal clindamycin and dexamethasone versus pyrimethamine, sulfadiazine, and prednisolone in treatment of ocular toxoplasmosis. Ophthalmology 2011;118(1):134-41.
(2) Cohen AE, et al. Evaluation of dexamethasone phosphate delivered by ocular iontophoresis for treating noninfectious anterior uveitis. Ophthalmology 2012;119(1):66-73.
(3) Pavesio C, et al. Evaluation of an intravitreal fluocinolone acetonide implant versus standard systemic therapy in noninfectious posterior uveitis. Ophthalmology 2010;117(3):567-75, 75.e1.
(4) Lowder C, et al. Dexamethasone intravitreal implant for noninfectious intermediate or posterior uveitis. Arch Ophthalmol 2011;129(5):545-53.
(5) Androudi S, et al. Intravitreal adalimumab for refractory uveitis-related macular edema. Ophthalmology 2010;117(8):1612-6.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024