En juin dernier, le Pr José-Alain Sahel, fondateur de l'Institut de la vision, s'est vu remettre la médaille Ambroise Paré, la plus haute distinction de l'Académie nationale de chirurgie, pour récompenser l'ensemble de ses travaux. L'occasion pour l'ophtalmologiste, pionnier dans le domaine de la rétine artificielle et des thérapies régénératrices de l'œil, de revenir sur les principales avancées réalisées dans les maladies de la vision. « Ce domaine est en plein développement, on ne peut être qu'optimiste. Il n'y a jamais eu autant d'espoir mais le chemin reste long », estime-t-il.
Selon lui, « la thérapie génique fait partie des domaines qui ont un potentiel gigantesque ». Des traitements ont été autorisés dans des maladies ultrarares, « et on peut imaginer que des thérapies ciblant de nouvelles mutations seront développées dans les prochaines années », avance le Pr Sahel, également directeur du département d'ophtalmologie à l'université de Pittsburgh aux États-Unis.
La thérapie génique consiste à introduire des gènes dans les cellules d'un individu afin de traiter une maladie. Son développement reste toutefois long et complexe (validation de nouveaux vecteurs, sécurité…). « Il faut procéder gène par gène, alors qu'on en compte 300 rien que dans les maladies de la rétine », précise l'ophtalmologiste.
Une thérapie génique dans la neuropathie de Leber
Parmi les thérapies géniques autorisées en France, citons le Luxturna dans le traitement des enfants et des adultes présentant une perte visuelle due à une dystrophie rétinienne héréditaire liée à des mutations bi-alléliques du gène RPE65 et ayant reçu un diagnostic d’amaurose congénitale de Leber dans l’enfance.
Dans la neuropathie optique héréditaire de Leber, une autre des pathologies décrites par l'ophtalmologiste allemand Theodor Leber, une thérapie génique développée par l'équipe de Marisol Corral-Debrinski et du Pr Sahel avec la société GenSight Biologics représente un nouvel espoir pour les patients. Cette neuropathie atteint les mitochondries et le nerf optique et entraîne une perte de vision brutale au niveau d'un œil dès l'adolescence, le plus souvent chez les hommes. « Nous savons que, de façon inexorable, l'autre œil va être impacté dans les mois qui suivent et que ces patients vont généralement se retrouver en dessous du seuil de cécité légale, avec moins d'un dixième d'acuité », détaille l'ophtalmologiste.
À l'issue de 20 ans de travaux, l'équipe est parvenue à mettre au point le traitement Lumevoq, dont l'originalité est de corriger le défaut d'un gène mitochondrial (gène ND4) et non pas, comme classiquement, du noyau. Elle a dû pour cela recourir à un système d'adressage de l'ARN par les mitochondries développé par Marisol Corral-Debrinski.
Trois essais cliniques ont déjà été menés et ont montré des résultats positifs. Au total, 250 malades ont ainsi pu bénéficier de cette approche. « Notre espoir est qu'il y en ait beaucoup plus, alors qu'il y a probablement entre 500 et 10 00 nouveaux malades par an, indique le Pr Sahel. Parmi ces patients, 70 à 80 % ont récupéré une vision au-dessus du seuil légal, ce qui n’arrive que rarement sans traitement. » L'ophtalmologiste espère que le médicament deviendra disponible plus largement, probablement après une étude complémentaire.
De récents progrès dans la forme sèche de la DMLA
Du côté de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), première cause de cécité dans le monde, le Pr Sahel a rappelé la distinction entre les formes précoces (60 à 80 % des malades) et les formes compliquées (20 à 40 % des malades) qui recouvrent les formes humides et atrophiques. « En France, la DMLA, c’est un million et demi de personnes, avec une prévalence qui augmente avec l'âge ; 25 à 30 % des 75 ans sont touchés », rapporte l'ophtalmologiste.
Concernant la forme humide, l'arrivée en 2005 des anti-VEGF bloquant l'angiogenèse a été une grande avancée. « Ce médicament est très efficace chez 80 à 90 % des patients, mais aux prix d’injections répétées, précise toutefois le Pr Sahel. C'est pourquoi il existe désormais un système de réservoir qui permet la libération prolongée du médicament, ainsi que de nouvelles formulations réduisant la fréquence d’injection. » Une thérapie génique visant à faire produire l'anti-VEGF directement par la rétine est également à l'étude.
Dans la forme atrophique dite sèche, les progrès se sont fait davantage attendre. En février dernier, un premier traitement a été autorisé par la Food and Drug Administration pour l'atrophie géographique secondaire à une DMLA : le pegcetacoplan (Syfovre), sous forme injectable. Un second traitement développé par Iveric Bio pourrait bientôt être autorisé. « Ces deux traitements devraient arriver rapidement en Europe, ils représentent un espoir de ralentir la baisse de la vision, mais non pas de l’arrêter. Leur profil de sécurité reste à vérifier sur de plus larges séries de patients », souligne le Pr Sahel.
Dans les stades terminaux de la DMLA, la rétine artificielle est une approche prometteuse. L'ophtalmologiste a contribué au développement du modèle Prisma de la société Pixium Vision avec Serge Picaud, directeur de l'Institut de la vision, et Daniel Palanker de Stanford. « Un premier essai a été mené à partir des cinq premiers patients européens et américains et une étude européenne menée auprès d'une trentaine de patients dans cinq pays est en cours, présente le Pr Sahel. Les résultats seront connus l'année prochaine pour confirmer le bénéfice de la rétine artificielle en termes de récupération de l'acuité visuelle. » Autre innovation pour ces patients : la rééducation de la basse vision via la réalité augmentée.
Vers la régénération du nerf optique
Dans le glaucome, qui se caractérise par une hypertension oculaire, « une dizaine de médicaments sont disponibles pour agir sur cette pression, comme les inhibiteurs de Rho-kinases, qui constituent une nouvelle classe moléculaire, note le Pr Sahel. Le problème de cette maladie est qu'elle évolue de manière silencieuse : 50 % des glaucomes ne sont pas diagnostiqués. Il y a donc un nombre important de patients qui deviennent aveugles, alors que cette évolution est évitable avec un traitement précoce et continu. » D'où l'importance de sensibiliser à cette pathologie et de promouvoir l'éducation thérapeutique. « La France est à l'avant-garde en ayant recours à des médicaments sans conservateurs en dosette grâce aux travaux du Pr Christophe Baudouin, alors qu'aux États-Unis, par exemple, ce n'est pas encore le cas, et beaucoup de malades deviennent réfractaires au traitement », salue l'ophtalmologiste.
Le glaucome est un facteur de risque de maladie du nerf optique. « Plusieurs équipes à Paris, Pittsburgh et ailleurs travaillent sur la régénération du nerf optique, par exemple en étudiant les poissons et les amphibiens qui sont capables de le régénérer entièrement, tandis que les mammifères en sont incapables », poursuit le Pr Sahel.
D'autres approches innovantes sont en cours d'évaluation, comme l'optogénétique, une forme de thérapie génique qui consiste à modifier génétiquement des cellules afin qu'elles produisent des protéines sensibles à la lumière. La sonogénétique qui en dérive allie de son côté génétique et ultrasons. Un récent travail codirigé par Serge Picaud et publié dans « Nature Nanotechnology » a montré des résultats positifs chez l'animal*. En modifiant génétiquement certains neurones, la sonogénétique induit une réponse comportementale associée à une perception lumineuse et représente ainsi une piste pour les personnes ayant une atrophie du nerf optique.
*S. Cadoni et al, Nat. Nanotechnol., 2023. doi.org/10.1038/s41565-023-01359-6
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