Prise en charge de la cataracte

La chirurgie Premium ou le patient copayeur

Publié le 03/02/2011
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Crédit photo : S TOUBON

PAR LE Dr DAN ALEXANDRE LEBUISSON*

LA MERE de l’activité invasive des ophtalmologistes réside dans la chirurgie de la cataracte et les injections intravitréennes. Ces deux rostres de la dépense médicale oculaire s’appuient et sont soutenus par les fabricants et compagnies pharmaceutiques en charge de la recherche et du développement des produits employés. Il faut des années pour modifier une grille tarifaire de dispositifs ou d’honoraires médicaux. En revanche, l’imagination et la technologie permettent à l’alliance des fabricants et chirurgiens d’innover sans cesse. Ainsi, on estime à 18-24 mois la durée d’une version d’un matériel médical innovant (1). Penchons-nous sur les interventions de la cataracte. La chirurgie du cristallin ne concerne plus seulement les cataractes avérées, mais aussi celles encore peu marquées ou en gestation. L’échange de cristallin clair est la phase préliminaire de ce vaste théâtre d’indications. Désormais, on parle de chirurgie réfractive de la cataracte. Ce vocable, ici employé volontairement à l’instar des opérations laser de correction de la vision, situe bien la question.

Il n’est pas étonnant que le nombre d’opérations se monte à environ 600 000 par an, ce qui n’est plus très loin du niveau de la mortalité. Les indications augmentent régulièrement pour un nombre de patients en constante expansion. Si, en France l’âge moyen des opérés se situe toujours à 73-74 ans (71 ans pour l’ambulatoire), il apparaît évident qu’avec l’allongement de la durée de vie et des exigences, l’importance de la restauration visuelle s’accroisse. La chirurgie a fait des bonds considérables pour ne plus se contenter d’avoir anatomiquement réussi l’intervention. Elle intègre désormais l’ambulatoire, l’absence de recours à l’anesthésie générale et une morbidité quasi nulle. Nos patients, en contrepartie d’indications posées tôt, attendent un bienfait ajouté à la seule opération. Les exigences de la vie professionnelle, sociale, affective, sportive, le besoin d’autonomie renforcent la nécessité de recourir à des moyens sophistiqués de réhabilitation.

Des implants monofocaux aux multifocaux-toriques.

La correction optique de l’opéré du cristallin (la seule opération actuelle sur cet organe est son extraction) demande un dispositif médical implanté nommée lentille intraoculaire ou encore implant, terme plus connu. Pendant 35 ans, les implants étaient majoritairement monofocaux, c’est-à-dire qu’ils corrigeaient à une distance unique. Celle-ci est appréhendée par la mesure biométrique qui permet de choisir la distance qui sera privilégiée. Dans 90 % des cas, il est choisi de procurer une vision de loin totalement compensée au presque. Il est encore non rare de sous-corriger faiblement l’œil dominé de façon à permettre une meilleure profondeur de champ pour la vision de près. Les termes du choix étaient rarement l’objet d’un débat avec le patient : le loin étant l’option par défaut. Depuis deux ans, nous assistons à un l’extension des attitudes adoptées par les leaders de la chirurgie réfractive. L’opération doit non seulement réussir, mais aussi permettre une vision qui soit simultanément celle que le patient devrait avoir avec correction s’il n’avait pas une opacification du cristallin, mais aussi, et si possible, celle qui existait avant l’apparition de la presbytie. Ainsi, par exemple, un sujet de 70 ans hypermétrope, astigmate et presbyte peut espérer la disparition des trois anomalies en un seul acte opératoire. Les choses ne sont pas toujours aussi aisées mais le dessein est installé et robuste. Pour mieux comprendre l’intention, si un opticien compense tous les défauts en réalisant un verre de lunette prescrit par un ophtalmologiste, ce dernier se doit à son tour de cesser de ne corriger qu’un seul défaut au bénéfice d’une réparation optique parfaite. Cet objectif peut être atteint par l’emploi de protocoles interventionnels supprimant tout astigmatisme iatrogène et utilisant des implants toriques ou multifocaux ou multifocaux-toriques. Le tore est la forme permettant de corriger l’astigmatisme, la multifocalité est la propriété optique permettant de couvrir la réfraction en vision de loin, intermédiaire et de près. Parfois l’astigmatisme est corrigé par des incisions cornéennes réalisées au laser ou au bistouri diamant. De nombreux modèles figurent dans la panoplie apportant chacun une propriété particulière pouvant justifier un choix privilégié. Par exemple, il existe un implant ajustable après l’opération et d’autres qui utilisent une propriété type accommodatif alors que d’autres reposent sur des principes optiques réfractifs ou diffractifs. En parallèle, ces implants possèdent des conformations sophistiquées affinant la qualité visuelle : asphéricité et dessin antiprolifération cellulaire secondaire. Le chirurgien effectue des mini incisions, en fait des mini mini incisions, puisque la norme à ce jour est de ne pas ouvrir à plus de 2 mm alors que le butoir se situait à 3,5 mm il y a 5 ans.

Des systèmes modernes de phacoémulsification à double ou simple courant permettent des chirurgies très peu délétères, rapide et sûres. Le laser femtoseconde pour cataracte qui frappe à la porte des blocs en 2011 élèvera encore le niveau de facilitation interventionnel. Pour que ces très petites ouvertures ne soient plus agrandies, il a fallu des implants injectables et non plus glissés à la pince. Les optiques ultrafines et des biomatériaux souples est stables autorisent des injections de très bonne qualité. Ces moyens permettent d’obtenir dès le lendemain des globes oculaires calmes et récupérant très vite le potentiel visuel désiré. Habituellement, les interventions concernent les deux yeux à faible intervalle pour permettre au couple neurovisuel de donner toute son efficacité au système visuel. Ces progrès impliquent la précision et des mesures affinées. Les nouveaux biomètres offrent une gamme de logiciels de calcul, les appareils topographiques et abérrométriques concourent à l’évaluation du choix de la meilleure option.

La multivitesse des coûts.

Ces progrès ont un prix. Non pas un prix de revient mais celui jugé acceptable par les fabricants. Clairement, ce n’est plus celui accepté par les caisses dans les forfaits en vigueur. Un nom a été inventé pour ces opérations (2) qui apportent un avantage indéniable et précieux aux patients : Premium. Cette dénomination, jusqu’ici surtout réservée à des carburants, des cartes de crédits, des colifichets, des voyages, etc. regroupe les implants multifonctions et simultanément les actes opératoires modernes. La tarification est lourde : la plupart de ces lentilles dépassent 300 € (plus que le double des monofocaux ) et souvent bien plus s’il y a trifonction. L’assurance-maladie accepte que la différence entre le prix standard et celui de l’implant Premium soit à la charge du patient, sans remboursement. Ce système est mis en place à l’instar de celui en vigueur aux Etats-Unis depuis 2005 (CMS) (3). Localement, il y a souvent des résistances, soit de la caisse, soit des établissements, mais des courriers officiels entérinent en pratique la disposition. Ainsi, s’installe une chirurgie à plusieurs vitesse qui crée inévitablement une double population d’opérés : ceux qui voient avec une focale et ceux qui ont plusieurs focales. Imaginons cette situation avec les lunettes : les uns favorisés avec des verres progressifs, les autres défavorisés avec deux paires de lunettes. Même sans caricature, l’idée est juste car elle commence à s’observer en optique pure, tant le coût des lunettes commence à dépasser les taquets mutualistes. Au demeurant, cela existe déjà en pratique puisque le vrai montant du remboursement des paires des lunettes repose sur les mutuelles. La solution est entre les mains des tutelles et des professionnels. Les arguments des uns et des autres sont connus et sans surprises (4). De surcroît, toutes ces chirurgies du cristallin ne sont pas faîtes sur des cristallins cataractés et dans ce cas le remboursement de l’assurance-maladie ne peut pas s’appliquer puisqu’il s’agit alors de chirurgie de convenance. Le coût est alors bien élevé dépassant souvent 2 000 € par œil. Mais la nature fait bien les choses et, administrativement, ces patients ne semblent pas les plus nombreux. Un autre type de chirurgie avec implants entrent dans le groupe des Premium ce sont les implants phaques pour patients forts amétropes et astigmates. Mais ces opérations sont peu nombreuses et déjà hors système social.

Marketing, technologie et attentes des patients.

La chirurgie Premium implique une bonne appréhension des attentes du patient, une parfaite connaissance de la faisabilité, puisque certains patients ne sont de bons candidats que sur le papier, une information renforcée, car un écueil opératoire peut venir ruiner le projet. Très schématiquement, les hypermétropes et emmétropes, astigmates, presbytes constituent les meilleures indications. Les effets secondaires peuvent être présents. Ils sont en nette diminution, mais il peut exister des halos, une perte de résolution ou vision des contrastes. Ces phénomènes régressent souvent mais pas toujours. Les complications ne sont pas fréquentes car ce n’est pas bien ardu d’opérer un cristallin non ou peu cataracté. Sans nul doute le Premium va devenir à court terme le standard compte tenu de la sécurité associée.

La chirurgie Premium du cristallin occupe déjà près du tiers des opérations en France. Elle est le fait des opérateurs aux plus hauts volumes et est réalisée principalement dans le secteur libéral, actuel leader du champ de la cataracte. Peu d’hôpitaux sont proposants. Premium est une brillante rencontre du marketing, de la technologie et des attentes des patients. Les ophtalmologues sont provisoirement à l’aise avec ce progrès, car il justifie une Premium rémunération ancrée dans un bénéfice patient. Attendons, comme pour les lessives, Premium plus, qui élargira encore la gamme de l’offre tout en accentuant les disparités.

*Hôpital Foch (Suresnes) et clinique de la Vision (Paris).

(1) www.eucomed.org. About the Medical Technology Industry.

(2) Scholtz S. Patient-shared billing for multifocal IOLs. Cataract Refract Surg Today 2009;4:16-17.

(3) Mc Clellan M. http://www.cms.gov/rulings/downloads/CMSR0501.pdf

(4) Maxwell W, Waycaster C, D’Souza A, Meissner B, Hileman KA. United States cost-benefit comparison of an apodized, diffractive, presbyopia-correcting, multifocal intraocular lenses and a conventional lens. J Cataract Refract Surg 2008;34:1855-1861.


Source : Bilan spécialistes