Si l’égalité entre les femmes et les hommes est mieux respectée en ophtalmologie que dans d’autres spécialités, les femmes qui exercent dans cette discipline se sentent parfois freinées dans le déroulement de leur carrière, voire discriminées en raison de leur genre, surtout lors de leurs grossesses.
Interne en ophtalmologie au CHU de Strasbourg, la Dr Élodie Viinikka vient de soutenir sa thèse sur « la situation des femmes ophtalmologues en France ». Ce travail innovant permet de mieux connaître le ressenti et les attentes de ces dernières, à l’hôpital comme en libéral. Comptant 45 % de femmes, l’ophtalmologie est après la gynécologie-obstétrique et la chirurgie infantile, la spécialité chirurgicale la plus féminisée de France, avec un total de 2 156 femmes et 2 669 hommes en 2022. Majoritairement plus jeunes que leurs confrères, 53 % d’entre elles exercent en libéral exclusif, contre 61 % des hommes, mais elles sont dorénavant 8,3 % à être salariées, contre à peine 1 % en 2010. La parité est atteinte à l’hôpital, sauf au sommet de la hiérarchie, loin s’en faut – les femmes professeurs (21,5 %) étant toutefois plus nombreuses en ophtalmo que dans les autres spécialités chirurgicales.
La grossesse peut être un frein
La thèse de la Dr Viinikka présente une solide enquête fondée sur des questionnaires auxquels ont répondu 221 femmes ophtalmologues (et 153 hommes), complétés par des entretiens. Un tiers des sondées affirment avoir rencontré des difficultés liées au fait d’être une femme pendant leurs études ou leurs stages. Parmi elles, 41 % ont perçu leur grossesse comme l'obstacle principal, 29 % ont mentionné avoir été victime de sexisme, 19 % ont souffert de harcèlement et 13 % ont ressenti le besoin de se battre davantage pour atteindre les mêmes objectifs que leurs confrères. Toutefois, ces attitudes et discriminations de genre demeurent plus rares que dans les spécialités chirurgicales réputées les plus masculines, et leur fréquence diminue au fil des années. « En comparaison à d'autres spécialités comme la chirurgie, on est mieux placées, le sexisme ordinaire y est moins présent », résume une spécialiste citée. Une consœur ajoute que « le harcèlement sexuel reste trop banalisé », même s’il est « bien moindre en ophtalmologie qu’en chirurgie générale ».
Si la majorité des femmes interrogées estiment ne pas avoir subi de discriminations pour obtenir un poste hospitalier ou lors de leur exercice libéral, plusieurs soulignent en revanche que la maternité a pu nuire à l’avancement de leur carrière. « Je dirai plutôt que ma vie professionnelle a été un obstacle à ma vie de mère et j'aurais aimé consacrer plus de temps à mes enfants, surtout petits », précise l’une d’elles. D’autres déplorent « l’incompréhension des médecins hommes vis-à-vis de nos difficultés en tant que femmes dans nos pratiques médicales ». L’équilibre parfois difficile entre vie personnelle et professionnelle est donc illustré.
À l’inverse, beaucoup d’hommes ophtalmologues cités semblent minimiser les critiques de leurs consœurs, jugeant qu’il n’y a plus de différences de genre dans cette spécialité, « la compétence n’ayant pas de sexe », évacue l’un d’eux. Comme le résume le Pr David Gaucher, directeur de thèse, ce travail révèle l’importance et la pertinence de mieux connaître le ressenti des femmes ophtalmologues. Car cette spécialité – comme d’autres – devra s’adapter aux nouveaux besoins et attentes des principes, ce qui aura des effets sur l’exercice médical et même sur l’offre de soins. Au-delà, c’est la première fois qu’une thèse étudie de manière aussi fine les dimensions féminines d’une spécialité, a ajouté le jury, qui espère que ce travail « servira d’exemple ».
Du sexisme au fil de l’histoire de la spécialité
Dans sa thèse, la Dr Viinikka s’est intéressée à l’histoire des femmes ophtalmologues puis à leur situation contemporaine, évoquant les biographies parfois étonnantes de ses consœurs d’antan. Parmi elles, Franceline Ribard (1851-1886) fut la première ophtalmologue de France. Par crainte d’être soignés par une femme, ses patients boudèrent son cabinet, au point qu’elle jeta l’éponge et devint une « médecin sans frontière » avant l’heure. Elle mourut de dysenterie à 35 ans, lors d’une mission médicale au Tonkin, province de l’actuel Vietnam. Un peu plus tard, Rose Bonsignorio (1866-vers 1940) dénonça le sexisme et le paternalisme dont elle fut victime dès ses études, avant d’ouvrir un cabinet tout en militant activement dans plusieurs associations féministes. D’autres s’illustrèrent dans l’évolution des traitements et la recherche, à l’image des Prs Suzanne Schiff-Wertheimer et Suzanne Braun-Vallon, sans bénéficier toujours de la même célébrité que leurs confrères.
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