Dépistage du glaucome

Une affaire de spécialistes

Publié le 22/03/2012
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Crédit photo : DR

PAR LE Dr JACQUES LALOUM*

À L’HEURE ACTUELLE, de nombreux éléments militent spectaculairement en faveur d’un dépistage systématique du glaucome, comme, en premier lieu, sa prévalence en nette augmentation. D’environ 2 % après 40 ans, elle croît de façon importante avec l’âge. Le risque de glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) bilatéral après 75 ans est cinq fois plus élevé qu’entre 55 et 75 ans. Le risque de GPAO après 80 ans pourrait atteindre 10 %. Le vieillissement de la population entraînera ainsi mécaniquement une augmentation de 50 % des cas en2020.

C’est, en outre, une pathologie souvent ignorée. Un patient glaucomateux sur deux n’est pas diagnostiqué, notamment parce que de plus en plus de patients échappent au circuit médical.

Des traitements ont fait la preuve de leur efficacité.

Chez les patients hypertones, le traitement empêche ou retarde la conversion glaucomateuse (étude OHTS), en divisant par deux la conversion périmétrique (atteinte glaucomateuse du champ visuel) à cinq ans des patients hypertones. Chez les patients présentant une altération glaucomateuse du champ visuel, il stoppe ou ralentit sa progression (étude EMGT). Chez les patients présentant un glaucome à pression normale, l’évaluation est en faveur du traitement, une fois opérées les cataractes induites par la chirurgie (étude CNTGS).

Des outils de dépistage plus performants.

Variabilité, longueur ou difficulté d’interprétation rendaient les tests peu pertinents ; de nouveaux tests plus efficaces sont apparus. De nouvelles techniques de périmétrie (Matrix) permettent une détection fonctionnelle précoce. Les analyseurs de fibres visuelles sont très rapides et permettent une détection quantitative d’altérations précoces. L’ophtalmoscopie confocale (HRT) a démontré une capacité de détection des papilles glaucomateuses égale à celle des experts. La pachymétrie, enfin, permet d’ajuster le risque pressionnel pur. Le couplage de plusieurs examens très rapides et indépendants prend un intérêt déterminant : il permet d’améliorer la « courbe ROC » (augmenter la sensibilité, à spécificité égale, ou l’inverse). La prise précoce de points de repère grâce à des examens quantitatifs, d’une part, pose les jalons d’un dépistage en deux temps et, d’autre part, permet l’identification ultérieure des formes sévères qui nécessitent un traitement d’emblée agressif.

Dépistage de masse ou dépistage ciblé.

• Les études portant spécifiquement sur l’intérêt d’un dépistage de masse du glaucome se rejoignent cependant pour démontrer qu’il n’est pas prioritaire. Les arguments mis en avant sont les suivants :

- si on les classe les patients hypertones, en fonction de l’importance des facteurs de risque, on constate que le premier tertile des patients présente un risque si faible que pour éviter une seule conversion glaucomateuse, il faut en traiter 98 pendant 13 ans !

- Un patient sur deux traité pour un glaucome n’est en fait pas glaucomateux. Or le premier inconvénient d’un dépistage de masse est le surdiagnostic, responsable d’un traitement abusif de patients indemnes. Ce surdiagnostic entraîne des dépenses inutiles pour la société et une baisse de la qualité de vie sans contrepartie pour le patient ;

- Une distinction nosologique fondamentale se fait peu à peu jour pour les GPAO : les progresseurs lents qui ne connaîtront pas de gêne visuelle, et les progresseurs rapides, dont la menace visuelle justifie un effort de dépistage bien supérieur. L’enjeu diagnostique prioritaire est de distinguer au plus vite ces progresseurs rapides en pratiquant, en cas de glaucome avéré, un suivi très resserré.

• Les études convergent en revanche pour démontrer la pertinence d’un dépistage concentré sur les populations à risque.

Pour le GPAO, ce dépistage, réalisé sur une population à prévalence élevée, aurait un rendement bien meilleur et profiterait du couplage des nouveaux tests. S’appuyant sur l’individualisation actualisée des facteurs de risque, il pourrait concerner en particulier les patients d’origine africaine, chez lesquels le début du GPAO est très précoce, et surtout les familles de sujets glaucomateux. Le dépistage des seules familles de sujets glaucomateux permettrait de dépister la moitié des sujets non diagnostiqués. Sa mise en œuvre partielle a commencé aux États-Unis. Ce dépistage nécessite d’abord de convaincre les patients glaucomateux que l’information de leur famille (fratrie) est un enjeu crucial. La mise en œuvre de cette pédagogie nous appartient.

Le glaucome par fermeture primitive de l’angle (GFPA), bien que dix fois moins fréquent que le GPAO, présente deux particularités en faveur du dépistage : un pronostic sévère et la faculté d’être dans un grand nombre de cas définitivement prévenu par une simple iridotomie. Le dépistage, là aussi réalisé au sein des populations à risque (hypermétropie, familles des sujets atteints ou à risque) pourrait être efficace. Il serait facilité par l’OCT du segment antérieur.

Ces dépistages, s’adressant à des patients à risque, doivent reposer sur un examen clinique ophtalmologique complet et la réalisation systématique d’examens complémentaires permettant de rechercher une anomalie, mais aussi d’établir une base de référence. L’ophtalmologiste seul possède les capacités nécessaires pour interpréter et corréler les atteintes fonctionnelles et structurelles.

À l’inverse, le dépistage de masse pratiqué en médecine du travail par des médecins non-ophtalmologistes cumule les inconvénients :

- il s’adresse à une population jeune, où la prévalence du GPAO est faible ;

- il utilise des tests peu sensibles (un patient présentant un GPAO à pression élevée sur deux présente un PIO normale le jour de l’examen) ;

- il manque le dépistage du risque de fermeture ;

- il risque enfin de rassurer à tort des patients qui ont eu l’impression d’être correctement examinés et qui échapperont ensuite au suivi par l’ophtalmologiste.

Le dépistage du glaucome devra cibler les patients à risque. Il ne pourra reposer que sur l’ophtalmologiste.

Le dépistage disponible aujourd’hui, c’est l’examen de routine du patient qui consulte pour une presbytie. C’est dire que la prescription des verres correcteurs par l’ophtalmologiste est, dans l’immense majorité des cas, l’unique chance pour le patient d’être diagnostiqué, non pas tant par la mesure de pression, que par l’examen soigneux de l’angle et de l’anneau neurorétinien.


Source : Bilan spécialistes