LA NOTION de biofilm bactérien intègre le comportement des bactéries in vivo. Les biofilms sont des communautés de bactéries, ayant la capacité d’adhérer à une surface et de persister chez un individu en l’absence de toute infection. Sous l’influence de certains facteurs, elles peuvent réactiver une infection, qui devient chronique et/ou récidivante.
Anatomiquement, un biofilm est constitué d’une communauté de bactéries enchâssées dans une matrice d’exopolysaccharides, appelée glycocalyx, principalement composée de sucres et d’eau. La formation des biofilms bactériens débute par l’attachement à une surface de bactéries isolées, appelées « free swimming cells », qui se multiplient en microcolonies. Après une phase de prolifération, les bactéries produisent la matrice d’exopolysaccharides, structure en trois dimensions composée de galeries, agissant comme autant de voies de signalisation et permettant la circulation de nutriments et de déchets.
Cette structure particulière confère aux bactéries constituant un biofilm des propriétés différentes de celles de bactéries isolées d’une même espèce.
Résistance, colonisation, adaptation et diversité.
La première de ces propriétés est la résistance aux antibiotiques et aux défenses naturelles de l’organisme. Du fait d’un ralentissement métabolique, notamment des bactéries en profondeur du biofilm, la concentration d’antibiotique nécessaire pour les éliminer est 10 à 1 000 fois plus importante que les concentrations minimales inhibitrices mesurées sur des bactéries in vitro. La matrice forme également une barrière physique au complément et aux anticorps, protégeant les bactéries vis-à-vis des défenses de l’hôte.
Les bactéries du biofilm ont aussi des capacités de dispersion et de colonisation. Sous l’action mécanique du débit sanguin, ou chimique d’enzymes phagocytaires, certaines bactéries se détachent de la matrice et repartent à l’état planctonique (free-swimming cells), pour aller coloniser de nouvelles niches à distance.
Un biofilm est encore un lieu où se crée un mode de vie communautaire, organisé, avec des échanges et une coopération entre bactéries. Cette communication est possible grâce au « quorum sensing », un réseau de canaux aqueux au sein de la matrice, permettant la communication entre les cellules, la distribution et la circulation de nutriments et de molécules de signalisation, mais aussi de matériels génétiques. Cet échange n’existe que si la quantité de bactéries atteint un seuil critique, une concentration à partir de laquelle des régulateurs transcriptionnels agissent, pour permettre les échanges de matériels génétiques.
Ces mécanismes d’adaptation, associés à l’hétérogénéité chimique des biofilms (conditions de pH, hydratation), aboutissent à une sélection phénotypique et génotypique des bactéries. Sous la pression de l’environnement, fonction de l’individu, du site et des types de bactéries, se crée une grande diversité de biofilms, composés de différentes espèces de bactéries, mais aussi de plusieurs phénotypes et génotypes au sein d’une même espèce. Ainsi, même si presque toutes les bactéries sont capables de produire un biofilm, aucun biofilm ne ressemble à un autre.
En conséquence, cette grande diversité rend l’analyse microbiologique compliquée, d’autant plus qu’il s’y associe une difficulté de culture liée au ralentissement métabolique des bactéries du centre des biofilms, pouvant, de ce fait, conduire à méconnaître ou sous-estimer certaines populations bactériennes des biofilms.
Des bactéries pathogènes à l’état latent.
Ces différentes propriétés des biofilms en font un système dynamique, ayant une croissance privilégiée et étant capable de survivre dans divers milieux et de coloniser différents sites de l’organisme. Le comportement in vivo des biofilms va à l’encontre des principes de Koch, qui avait démontré que l’infection était liée à la présence d’une bactérie et la guérison liée à la disparition de la bactérie causale. En effet, des communautés de bactéries sont présentes à l’état latent, de façon asymptomatique, dans l’organisme et peuvent à tout moment se réactiver ou disséminer, expliquant la nature résistante et récidivante de certaines infections.
Il apparaît que les biofilms bactériens sont impliqués dans un grand nombre de pathologies infectieuses, de la carie dentaire aux infections de biomatériaux, en passant par les infections urinaires récidivantes.
En ORL, des biofilms ont été mis en évidence pour la première fois en 2006 par Hall-Stoodley (1) dans l’otite séro-muqueuse de l’enfant, confirmant la présence des principales bactéries trouvées dans l’oreille (Haemophilus, streptocoque et Moraxella). Des constatations identiques ont été faites par la suite dans la rhinosinusite chronique.
Aujourd’hui, les techniques de microscopie confocale permettent de démontrer la présence des biofilms. L’équipe de Romain Kania a réussi à marquer spécifiquement les biofilms, grâce à un marquage immunofluorescent de l’ADN bactérien et des mannoses de la matrice de glucocalyx, dans les amygdales (2) et les végétations adénoïdes (3) de l’enfant. Les biomatériaux utilisés en ORL, comme les canules de trachéotomie, les tubes endotrachéaux, les implants phonatoires ou cochléaires et les aérateurs transtympaniques, sont également des sites de fixation potentiels des biofilms bactériens.
La meilleure connaissance de ces communautés de bactéries ouvre de nombreuses voies de recherche pour le développement des nouveaux traitements. Plusieurs approches sont envisageables : utiliser des traitements locaux permettant d’augmenter la concentration en antibiotiques, lutter contre l’adhérence à une surface avec des traitements pillicides, rétablir une flore commensale non pathogène avec des probiotiques comme facteur de protection, inhiber la synthèse de la matrice ou la détruire, interrompre le quorum sensing pour couper les voies de communication…
D’après un entretien avec le Dr Romain Kania, oto-rhino-laryngologiste, hôpital Lariboisière, Paris, CNRS, LNRS 7060.
(1) Hall-Stoodley L, et al. Direct detection of bacterial biofilms on the middle-ear mucosa of children with chronic otitis media. JAMA 2006;296:202-11.
(2) Kania RE, et al. Demonstration of bacterial cells and glycocalyx in biofilms on human tonsils. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2007;133:115-21.
(3) Kania RE et al. Characterization of mucosal biofilms on human adenoid tissues. Laryngoscope 2008;118:128-34.
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