› Hélia Hakimi-Prévot
Le fœtus est capable de distinguer certains goûts. Ses papilles gustatives sont présentes dès la dixième semaine de gestation. Les pores gustatifs permettant l’accès à leurs bourgeons du goût se développent dès la seizième semaine. Le développement se poursuit en fait jusqu’au milieu de l’enfance.
« En fin de gestation, le système gustatif est fonctionnel. Le fœtus est capable de distinguer les différentes saveurs de l’environnement utérin [lire article page suivante]. Nous savons, par exemple, qu’en injectant un liquide sucré dans le liquide amniotique celui-ci présente plus de mouvements de déglutition qu’à l’ordinaire car il en apprécie le goût », précise Sophie Nicklaus, (INRA de Dijon). Dès les premières heures de vie, les cinq saveurs peuvent être appréciées distinctement. Des travaux fondés sur l’étude des mimiques faciales des nouveau-nés face à la présentation de solutions aqueuses de différentes saveurs ont, par exemple, montré qu’une stimulation sucrée ou umami provoque des signes de plaisir : léchage des lèvres, succion rythmée, relaxation du visage, sourire (1). À l’inverse, des stimulations amères ou acides engendrent des manifestations de déplaisir : abaissement des coins de la bouche, aplatissement de la langue, clignement des yeux, forte salivation…
« Si l’on considère la thèse évolutionniste, il est extrêmement utile à l’être humain, dès la naissance, de pouvoir distinguer les différentes saveurs. Car un enfant qui vivrait en pleine nature, aurait, par exemple, besoin de pouvoir détecter l’amertume pour éviter de consommer des substances toxiques. À l’inverse, si le nouveau-né apprécie déjà le goût sucré c’est parce que celui-ci est associé, dans la nature, à la présence de calories », considère Sophie Nicklaus.
Allaitement maternel.
L’allaitement maternel influencera (au moment de la diversification alimentaire) également les préférences alimentaires de l’enfant, puisque certains composés aromatiques ingérés par la mère passent dans son lait (2). « Tous les arômes ne se retrouvent pas dans le lait maternel. Cela dépend de sa structure chimique, plus elle est stable plus le passage se fait. C’est le cas, par exemple, des terpènes (contenus notamment dans les carottes) qui parfument facilement le lait maternel. La consommation de jus de carotte durant l’allaitement peut favoriser son appréciation par l’enfant lors de la diversification. Des travaux que nous avons effectués montrent, par ailleurs, que les enfants allaités longtemps développent une préférence pour la saveur umami car le lait maternel est quinze fois plus riche en glutamate que le lait artificiel (3) », explique Sophie Nicklaus.
Autre caractéristique du lait maternel : sa grande variabilité en qualité et en intensité, d’un jour à l’autre et même d’une tétée à l’autre, ce qui pourrait offrir à l’enfant le goût pour un large spectre de nouveaux aliments et de saveurs, alors que les enfants nourris au lait infantile sont exposés à une flaveur constante, ce qui facilite moins l’acceptation de nouveaux aliments lors de la diversification alimentaire (4).
Diversification.
Les préférences gustatives évoluent à la fois en fonction de la maturation du système gustatif de l’enfant et de ses prédispositions génétiques, innées. Ainsi, les enfants sensibles au PROP –6-n-propylthiouracyle, molécule proche des composés amers des légumes crucifères– refusent davantage les légumes que ceux qui n’y sont pas sensibles. Ce lien a été vérifié dans plusieurs études sur les végétaux amers : brocolis, épinards, olives et concombres (5).
Les préférences sont aussi influencées par les expériences alimentaires lors de la diversification. En effet, l’âge et l’ordre d’introduction de nouveaux aliments, mais aussi le rythme d’introduction (présentation répétée d’un même aliment ou changement quotidien) influencent le goût de l’enfant. Ces paramètres varient selon les habitudes culturelles des parents, les conseils du pédiatre et de l’entourage. Enfin, certains âges de la vie affecteraient davantage que d’autres les préférences alimentaires ultérieures.
« Plusieurs équipes travaillent sur cette question. Actuellement, le concept des mille premiers jours de la vie (de la conception à l’âge de 2 ans), période durant laquelle l’exposition sensorielle à un grand nombre d’aliments est essentielle, nous aide à comprendre le rôle des expériences précoces. Jusqu’à ses deux ans, l’enfant gagne à être exposé à une grande diversité d’arômes et de saveurs. Cette période est prédictive de son comportement alimentaire à l’âge adulte. D’après l’étude Opaline, certains légumes seraient même plus facilement acceptés s’ils sont introduits entre 5 et 7 mois que plus tard (6). Le début de la diversification est donc une période primordiale pour l’apprentissage de l’alimentation », conclut Sophie Nicklaus.
(1) Ganchrow J.R, et al. Handbook of olfaction and gustation 2003;823-46.
(2) Mennela J.A et al. Nejm.1991;325:981-5 et Mennela J.A et al. Infant behaviour and development 1996;19:13-9.
(3) Schwartz C et al. British Journal of Nutrition 2013;109(6):1154-61.
(4) Mcdaniel M.R. The analysis and control of less desirable flavors in food and beverages 1980:267-91.
(5) Turnbull B et al. Am J Clin Nutr 2002;76(5):1101-5.
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