Liquide de cigarette électronique, boissons énergisantes ou cannabis… Les enfants sont de plus en plus souvent et précocement exposés à de nouvelles substances toxiques. Les spécialistes réunis aux 21es Rencontres de Pédiatrie Pratique tirent le signal d’alarme.
Les accidents domestiques ne fléchissent pas en France. Selon une étude du BEH publiée début janvier, ils ont coûté la vie à 221 enfants en 2012. Parmi les accidents domestiques fréquents, les intoxications sont la cause de nombreux signalements aux centres antipoison (CAP) et recours aux urgences. Mais les produits ménagers ne constituent plus aujourd’hui les seuls dangers potentiels ; d’autres types de toxiques à portée des plus jeunes font leur apparition, comme l’ont souligné plusieurs spécialistes lors des 21es Rencontres de Pédiatrie Pratique (Paris, 20-21 janvier).
C’est notamment le cas du liquide de cigarette électronique chez les très jeunes enfants. Dès 2013, le nombre d’intoxications impliquant la cigarette électronique s’est envolé, y compris chez les enfants. Les centres antipoison et l’Anses ont chiffré le phénomène dans une étude préliminaire présentée lors du congrès. Entre janvier 2013 et juin 2014, 1 178 cas ont été recensés dont 27 % concernaient les 0-4 ans. Les intoxications des moins de 10 ans étaient dues dans 70 % des cas au liquide de cigarette électronique (ingestion le plus souvent mais aussi projection ophtalmique, etc.). « Fort heureusement, chez les 0-4 ans comme dans les autres tranches d'âges, la gravité de l’intoxication reste modérée, rassure le Dr Antoine Villa (CAP Paris). Les manifestations d’un syndrome nicotinique apparaissent dans les 2 heures, et durent peu de temps du fait de la courte demi-vie de la nicotine (1-2 heures). » Ces symptômes sont typiques avec des nausées, vomissements, vertiges, céphalées, tremblements, sudations profuses, tachycardie, pâleur et hypertension.
Les enfants exposés à la caféine sont de plus en plus jeunes
Café latte, canettes de soda et boissons énergisantes sont des concentrés de caféine. Aujourd’hui, 3 % des enfants et 8 % des adolescents en consomment plus de 4 à 5 fois par semaine. Les jeunes, cible du marketing des fabricants de boissons énergisantes, en font les frais et « on constate une augmentation des expositions des enfants en bas âge à la caféine, précise le Dr Jérôme Langrand (CAP Paris) qui a colligé les données des CAP français. La valeur seuil, susceptible d’entraîner une augmentation de l’anxiété, est dépassée chez 2 % des 3-10 ans ».
Les cas d’exposition aux boissons énergisantes ont été multipliés par 8 dès 2008 (année de la commercialisation du Red Bull en France). Entre 2009 et 2014, les moins de 9 ans ont représenté, à eux seuls, près de 15 % des signalements. Fort heureusement, chez les enfants en bas âge, il s’agit d’intoxications bénignes.
À ce jour, chez les moins de 10 ans, aucun cas grave n’a été rapporté, contrairement aux ados et jeunes adultes chez qui des tachycardies, des troubles de l’excitabilité cardiaque, des convulsions, des épisodes d’HTA sévère ou encore d’hypokaliémie ont été rapportés.
La vaccination, un levier contre les résistances bactériennes aux antibiotiques
Les vaccins conjugués contre l’Hæmophilus influenzae b, le pneumocoque et le méningocoque C ciblant les infections invasives (méningites, bactériémies), respiratoires (pneumonies, sinusites) et ORL (otites moyennes aigües [OMA]) ont un rôle majeur à jouer dans la diminution des résistances bactériennes.
À la condition d’obtenir rapidement et sur la durée un taux optimal de couverture vaccinale (> 70-80 %) dans la population ciblée.
C’est le cas d’H. influenzae b (Hib). « Grâce à une très bonne couverture vaccinale, explique le Pr Catherine Weil-Olivier, pédiatre infectiologue (Paris VII), le volume des infections invasives à Hib a été quasiment réduit à néant, entraînant une réduction de la consommation d’antibiotiques et de la résistance. »
Couverture insuffisante En ce qui concerne le méningocoque C, même s’il ne représente qu’environ 30% des méningites à méningocoque, la couverture vaccinale actuelle reste insuffisante. Le nombre de cas de méningites à méningocoque ne baisse pas en France (augmentation en 2015 chez les moins de 1 ans et les 25-59 ans, létalité de 11 %). Point positif, « il n’y a pas de résistance pour Neisseria meningitidis même si certaines souches sont de sensibilité réduite, sans constituer pour autant un souci thérapeutique ».
La situation est plus complexe en matière d’infections à pneumocoque. Les formes invasives ont été réduites (- 40 %, tous âges confondus entre 2015 et 2009) grâce à un taux de couverture satisfaisant avec un vaccin à 13 valences. Les pneumonies et OMA ont nettement régressé chez les enfants vaccinés.
La consommation d’antibiotiques aurait dû être impactée. Pourtant, il n’en est rien. Malgré tout, « la vaccination et les plans antibiotiques se sont révélés efficaces vis-à-vis de la résistance au pneumocoque, reconnait Catherine Weil-Olivier, lequel est redevenu beaucoup plus sensible (notamment aux bêtalactamines) ».
Des nourrissons intoxiqués au cannabis
Du côté des substances illicites, l’intoxication des enfants en bas âge par du cannabis est devenue si préoccupante depuis deux ans qu’elle est devenue – avec le syndrome du bébé secoué – la première cause à évoquer devant un nourrisson présentant un coma non fébrile ou un trouble de conscience. « Les formes graves avec apnées, pauses respiratoires, hypothermie et tachycardie existent et sont en augmentation », déplore le Dr Isabelle Claudet, pédiatre responsable des urgences médicales (CHU de Toulouse).
En octobre 2015, l’Ansm avait déjà pointé le problème et appelé à la vigilance. Afin de préciser les choses, l’étude Marie-Jeanne, nationale et rétrospective sur 11 ans, a été conduite en analysant les admissions pour intoxications chez les moins de 6 ans. Entre 2004 et 2014, le taux d’admission a été multiplié par 13 et les présentations comateuses par 20. Ceci est à mettre notamment sur le compte des nouveaux cannabis plus concentrés en THC. Et, surtout, « les enfants concernés sont très jeunes (71 % ont moins de 18 mois) et de plus en plus jeunes au fil des ans, ajoute-t-elle. La moyenne d’âge en 2014 était d’environ un an de vie ».
Dans ces intoxications, le cannabis se présente principalement sous forme de résine ingérée accidentellement, le plus souvent au domicile familial. L’intoxication passive peut aussi exister chez des tout-petits lorsque les parents fument beaucoup.
Le tramadol sous surveillance
En ce qui concerne les médicaments potentiellement à risque d’intoxication, le tramadol est dans le viseur des autorités. Non seulement, pour des cas d’intoxications accidentelles chez l’enfant mais aussi en raison de sa iatrogénie potentielle dans cette population. Pour le Dr Hélène Chappuy (hôpital Trousseau, Paris) « le tramadol n’est donc probablement pas une alternative très sûre à la codéine ».
Pourtant, depuis l’an passé, lorsqu’un enfant nécessite une antalgie de palier 2, la HAS préconise chez les plus de 3 ans le tramadol comme alternative à la codéine, en cas de douleur intense d’emblée ou en cas d’échec du paracétamol et de l’ibuprofène.
Si les données pédiatriques sont rares, des effets indésirables graves ont été rapportés avec des dépressions respiratoires suite à des surdosages avec des doses moyennes de 2 000 mg. Mais, parfois, les doses incriminées peuvent être bien plus basses, de l’ordre de 200 mg, soit des posologies thérapeutiques.
Plusieurs raisons expliquent ce risque d’intoxication au tramadol chez l’enfant. La première est le polymorphisme génétique lié à son métabolisme (les « métaboliseurs » ultrarapides sont très exposés, même avec des doses thérapeutiques). À ce risque personnel s’ajoutent des considérations de galénique pédiatrique : les flacons de 10 ml contiennent 1 g de tramadol par flacon.
La surveillance de l’ANSM porte sur cette forme flacon à haut risque d’intoxication et de surdosage. Le tramadol est aussi sous surveillance internationale suite à un rapport de l’OMS de juin 2014 où il est rappelé que l’antalgique peut provoquer des intoxications aux doses supra-thérapeutiques mais aussi aux doses thérapeutiques avec, à la clé, dépressions du SNC, coma, tachycardie, convulsions, collapsus cardio-vasculaire, arrêt respiratoire, décès...
Allaitement exclusif, 6 mois ne font pas mieux que 3
Plusieurs communications du congrès synthétisaient les arguments scientifiques récents sur l’allaitement et l’introduction des aliments allergisants. Tout d’abord, selon l’étude PROBIT (17 000 enfants), que l’allaitement soit conduit de façon exclusive pendant 6 mois ou seulement 3 mois, aucune différence n’apparaît à l’âge de 6 ans en termes de croissance, de développement cognitif ou d’apparition d’un asthme ou d’un eczéma.
Un débat persistant Par ailleurs, toujours en cas d’allaitement, le débat persiste sur le moment opportun d’introduire des allergènes alimentaires. La vaste étude randomisée EAT 2016 qui a étudié l’impact d’une introduction précoce des aliments réputés allergisants (œuf cuit, poisson, blé, lait de vache, arachide, sésame) chez plus de 1 300 enfants britanniques allaités y répond : la précocité d’introduction (à l’âge de 3 mois) n’apporte aucun bénéfice comparée à une introduction à l’âge de 6 mois. Par ailleurs, une méta-analyse portant sur des enfants allaités ou non, à risque ou non d’allergie, concluait que la date d’introduction du gluten (4-6 mois révolus versus après 6 mois révolus) n’impacte en rien le risque de survenue de maladie cœliaque.