Vaut-il mieux poser des aérateurs transtympaniques (ATT) dans les otites moyennes aiguës (OMA) récidivantes de l’enfant ? Une équipe de Pittsburgh répond que le traitement médical fait aussi bien au vu des résultats d’une étude randomisée publiée dans « The New England Journal of Medicine » : le nombre d’épisodes d’OMA chez des enfants de 6 à 35 mois est identique quelle que soit la méthode choisie à deux ans de suivi.
Jusque-là, en l’absence d’essais cliniques fiables comparant les deux stratégies, les recommandations américaines différaient selon qu’elles émanent des ORL qui recommandent l’ATT dans l’OMA récidivante ou des pédiatres qui le considèrent comme une option.
Aux États-Unis, l’OMA récidivante, définie par au moins trois épisodes en six mois, ou quatre en douze mois avec au moins un épisode au cours des six mois précédents, est l’indication principale de la pose d’un ATT. L’autre choix est la prise en charge médicale, qui se limite − l’antibiothérapie prophylactique ayant été abandonnée − au traitement de chaque épisode d’OMA. La réduction des épisodes infectieux est un argument avancé en faveur de l’ATT. Mais au prix, listent les auteurs, d’une intervention coûteuse, de risques liés à l’anesthésie, de la survenue fréquente d’une otorrhée ou encore de possibles complications (obstruction ou expulsion précoce de l’ATT, perforation séquellaire, baisse de l’audition de perception).
Autant d’épisodes d’OMA
Finalement, ce sont 250 enfants âgés de 6 à 35 mois atteints d’OMA récidivante qui ont été randomisés entre pose d’un ATT et traitement médical. À noter que ces petits participants avaient reçu la vaccination contre le pneumocoque dont on sait qu’elle réduit l’incidence des OMA. Étaient exclus les enfants ayant des antécédents d’ATT, d’adénoïdectomie ou d’amygdalectomie, ceux atteints de pathologies chroniques ou d’anomalie congénitale favorisant les OMA, d’une perte auditive neurosensorielle et d’otite moyenne avec épanchement.
Des prélèvements microbiens étaient effectués à chaque épisode d’OMA dans le nasopharynx ou la gorge et au niveau d’une éventuelle otorrhée, mais aussi systématiquement lors de certaines consultations de suivi, de façon à vérifier la sensibilité aux antibiotiques.
Chez les enfants porteurs d’un ATT, était considérée comme un épisode d’OMA une otorrhée accompagnée d’au moins un symptôme de l’échelle Acute Otitis Media Severity of Symptoms Scale (AOM-SOS) − fièvre, otalgie, gêne dans l’oreille, irritabilité, perte d’appétit ou du jeu. Elle était traitée par des gouttes d’ofloxacine. Puis si elle persistait au-delà de sept jours, par amoxicilline-acide clavulanique et ceftriaxone IM en cas d’échec, comme pour le groupe médical faisant un épisode d’OMA.
Dans l’analyse principale en intention de traiter, le critère principal − à savoir le nombre moyen d’épisodes d’OMA par enfant par année − pendant les deux ans de suivi était de 1,48 dans le groupe ATT et de 1,56 dans le groupe médical, soit une différence non significative (p = 0,66). De façon logique, les récidives d’OMA étaient plus nombreuses avant un an.
Mais il faut relever que 10 % des enfants du groupe ATT n’ont pas été opérés, et sur les 121 du groupe médical, 54 ont finalement bénéficié d’un ATT pour persistance de l’OMA récidivante ou à la demande des parents. Aussi a-t-il été mené une analyse per protocole, où la différence devient significative avec un taux d’OMA respectivement de 1,47 versus 1,72 (IC 95 %, 0,69-0,97).
Des critères en faveur de l’ATT
L’un des critères secondaires était l’échec thérapeutique, défini spécifiquement dans le groupe stratégie médicale (récidives d’OMA, pose d’un ATT liée à ces récidives ou à la demande des parents) et plus largement chez tous les enfants (antibiothérapies itératives, otorrhée persistante, otite séromuqueuse, perforation tympanique, hospitalisation, complications de l’antibiothérapie ou réaction indésirable lors de l’anesthésie). Dans le groupe ATT, le pourcentage d’enfants en échec thérapeutique était plus bas (45 versus 62 %), le délai d’apparition d’une récidive d’OMA plus long (4,34 versus 2,33 mois), le nombre de jours avec symptômes ou antibiothérapie réduit (respectivement 2 versus 8,33 et 9 versus 13 jours), mais augmenté pour l’otorrhée (8 versus 2,83 jours).
Aucune différence significative n’a été observée pour le nombre d’épisodes sévères et l’apparition de résistance. La qualité de vie des enfants et le retentissement de la
maladie, la satisfaction des parents et le recours au système de soins ne différaient pas non plus.
Des résultats à nuancer
Comme le reconnaissent les auteurs, une des limites de l’étude est le recours à l’ATT chez 45 % des enfants du groupe traitement médical. De ce fait, la différence dans la fréquence et la gravité des épisodes devient significative dans l’analyse per protocole. Par ailleurs, les épisodes définis comme des OMA diffèrent vraisemblablement entre les deux groupes, les épisodes étant généralement moins marqués sur le plan clinique après ATT. Ce que confirment les différences observées dans les critères secondaires en faveur du groupe ATT.
« Les résultats de cet essai sont très utiles pour la prise de décision partagée, reconnaît la Pr Ellen R. Wald (pédiatre, Wisconsin, États-Unis) dans l’éditorial. On peut rassurer les parents sur le fait que la prise en charge médicale n’expose pas à une résistance accrue aux antibiotiques. On peut raisonner aussi en fonction de l’âge : après deux ans, les récidives d’OMA tendent à diminuer et le traitement médical peut être poursuivi, tandis que chez l’enfant plus jeune, l’ATT peut limiter la fréquence et la sévérité des OMA ainsi que la prise d’antibiotiques. »
Peut-on extrapoler au contexte français ?
En France, l’indication de l’ATT la plus fréquente est l’otite séromuqueuse (OSM). Première difficulté pour la comparaison, les Anglo-Saxons ne parlent pas d’OSM mais d’Otitis Media with Effusion (OME), qui a priori étaient exclus de l’étude. Ce qui est pour le moins surprenant : l’OSM est une grande pourvoyeuse d’OMA récidivantes et il peut paraître arbitraire de séparer les deux entités.
Tout aussi déconcertant, il n’est jamais fait mention de l’audition de l’enfant : or l’hypoacousie est un des motifs de la pose d’ATT, certainement plus puissant que les OMA récidivantes. Selon la Société française d’ORL et la Société française de pédiatrie, l’audiométrie doit être faite systématiquement dans le bilan d’une OSM, et a fortiori dès que la pose d’ATT est indiquée. Certes, l’audiométrie subjective est difficile dans la tranche d’âge étudiée, mais la question mérite d’être posée : elle peut être réalisée dans un centre spécialisé. Et à défaut, une audiométrie objective peut être faite si besoin au cours de la pose de l’ATT.
En ce qui concerne les récurrences d’OMA, les experts français considèrent que la pose d’ATT offre des avantages pour les prévenir, améliorer la qualité de vie du patient et de sa famille et limiter le risque d’évolution vers une otite moyenne chronique. Ils la recommandent donc dans l’OSM avec surdité de plus de 30 dB sur la meilleure des deux oreilles, en cas de rétraction tympanique ou d’OMA à répétition chez l’enfant de moins de trois ans. Il n’est pas pour autant question de se précipiter sur la pose, puisqu’en cas d’OSM, un contrôle systématique à trois mois doit réévaluer la pertinence de cette indication chirurgicale.
Par ailleurs, s’il ne faut pas négliger les effets indésirables de l’ATT, il ne faut pas non plus les majorer, ces derniers étant rares et souvent bénins. Les épisodes d’otorrhée sont majoritairement liés à des contaminations par le conduit auditif externe et bien contrôlés par des traitements locaux, tandis que les risques de perforation séquellaire ou d’atteinte de perception peuvent aussi s’observer après OMA à répétition.
A. Hoberman et al, N Engl J Med, 2021. DOI: 10.1056/NEJMoa2027278 Recommandations de la Haute Autorité de santé, mars 2017
Recommandations de la Société française d’ORL, 2016
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