SI CERTAINES méta-analyses ont montré un bénéfice significatif des antidépresseurs, la taille de l’effet semblait modeste, ce qui a amené des auteurs à conclure à un impact encore plus marginal lorsqu’on inclut, dans les méta-analyses, les essais cliniques non publiés. Ainsi à partir d’une méta-analyse portant sur tous les essais soumis à la FDA (Food and Drugs administration) pour quatre antidépresseurs de nouvelle génération, I. Kirsch (1) conclut qu’ils n’apportent pas de bénéfice clinique tel que le demandent les critères du NICE (National Institute for Clinical Excellence), soit un gain de 3 points sur le score de l’HDRS (échelle de dépression de Hamilton) dans la population totale de l’étude, qu’ils ne font pas mieux que le placebo dans les dépressions d’intensité légère ou modérée, et que leur supériorité dans les dépressions les plus sévères tient plus à la perte d’efficacité du placebo qu’à l’impact de l’antidépresseur.
Il est certain que la publication sélective de certains essais donne une estimation biaisée des résultats, ce qu’a critiqué E. Turner (2) : parmi 74 études sur les antidépresseurs enregistrées par la FDA, les 37 études publiées sont positives et, à trois exceptions près, 22 études considérées comme négatives n’ont pas fait l’objet de publication ou seulement de publications partielles ne reprenant que leurs aspects positifs.
Deux articles parus cette année tempèrent néanmoins les conclusions d’I. Kirsch. Ses chiffres ont été revus (3) et, selon les auteurs, « sa méta-analyse pécherait par des calculs inadaptés ayant amené à des résultats faussés et des conclusions injustifiées et surestimées. Il semblerait qu’une grande partie de la réponse au placebo soit due au hasard, ce qui n’est pas vrai avec les drogues actives qui montrent toujours un impact, quelle que soit la sévérité de la dépression ». Une autre méta-analyse (4) a revu le bénéfice relatif des antidépresseurs versus placebo à partir d’essais menés de 1980 à 2009 et publiés ; lorsque le score de Hamilton est inférieur à 23, la différence entre le bras actif et le groupe contrôle est minime ou inexistante, mais elle augmente parallèlement avec la sévérité de la dépression et marque un bénéfice substantiel prouvé lorsque la dépression est très sévère.
Analyser les méta-analyses.
« Les méta-analyses sont utiles en apportant un autre regard sur les traitements, mais elles ne peuvent pour autant contredire l’efficacité démontrée des antidépresseurs dans certaines études. Devant toute méta-analyse, il est surtout essentiel de s’interroger sur les critères présidant au choix des études » explique le Pr Poirier. Les études inclues doivent être des essais randomisés en double aveugle versus placebo et parfois versus un antidépresseur de référence, présenter des critères communs de diagnostic et un score minimal à l’admission (généralement un HDRS ≥ 17 ou 18), une durée de traitement identique, préciser si les patients ont ou non été traités auparavant, avec ou sans washout, ainsi que le nombre de patients sortis d’études. Ainsi un certain nombre d’études peuvent être exclues de la méta-analyse, si elles ne répondent pas à ces critères, si le nombre de sorties d’études est trop important, ou en cas de traitement de référence (3e bras) non supérieur au placebo dans l’étude considérée. Les méta-analyses ne distinguent pas le premier épisode dépressif des récidives, ni les médicaments entre eux, et parfois comptabilisent en effets secondaires des manifestations comme les idées noires ou les tentatives de suicide qui relèvent plutôt de l’inefficacité thérapeutique.
Toute méta-analyse suppose donc une sélection, et il est incontestablement intéressant d’étudier les dossiers complets y compris les essais considérés comme négatifs. Ce qui n’est pas facile à définir : certains essais sont comptabilisés comme négatifs à la FDA sans plus de détails et d’autres peuvent être négatifs sur un critère principal, mais positif sur des critères secondaires, plus intéressants pour le clinicien.
Des résultats plus complémentaires que contradictoires.
Statisticiens et médecins n’ont pas les mêmes attentes et il faut distinguer signification statistique et pertinence clinique. « Juger un médicament sur une réduction du score initial de dépression dans la cohorte globale peut être discutable et insuffisant, le véritable objectif pour le médecin étant la réponse au traitement (au moins 50 %), voire la rémission et le rétablissement durable » poursuit le Pr Poirier « et une méta-analyse portant sur des critères comme la réponse au traitement ou, la rémission pourrait beaucoup nous apporter ».
On remarquera aussi que des méta-analyses excluent certains antidépresseurs : ainsi celle d’I. Kirsch n’incluait pas des molécules non soumises à la FDA, mais largement utilisées en Europe ; d’autres éliminent les essais comprenant des tricycliques, car leurs effets secondaires importants entraînent plus de sorties d’étude. Or on ne peut pas dissocier efficacité et iatrogénie : quel serait l’intérêt d’un produit très actif mais avec des effets indésirables insupportables ?
Le bien-fondé des recommandations renforcé.
« Sur le plan pratique, ces méta-analyses apportent peu d’éléments nouveaux. Elles confirment ce que tous les cliniciens savent, à savoir que les antidépresseurs ont encore une efficacité insuffisante, avec un taux de patients répondeurs qui dépasse rarement 60 à 70 % et moins de la moitié des patients en rémission. Il est quand même rassurant de constater que ce sont les patients les plus sévères qui répondent le mieux aux antidépresseurs ! » commente le Pr Poirier. Les recommandations françaises et internationales précisent bien qu’il ne faut pas prescrire d’emblée un antidépresseur pour un premier épisode dépressif caractérisé d’intensité légère et de commencer par une psychothérapie. Les antidépresseurs interviennent secondairement, en l’absence d’amélioration suffisante, à condition d’être pris aux posologies et pour les durées recommandées.
D’après un entretien avec le Pr Marie-France Poirier, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris.
(1) Kirsch I et coll. “Initial Severity and Antidepressant Benefits : A Meta-Analysis of Data Submitted to the Food and Drug Administration”. PLoS Med 5 (2): e45. doi : 10.1371/journal.pmed.0050045 (2008).
(2)Turner E.H. « Selective Publication of Antidepressant Trials and Its Influence on Apparent Efficacy ». N Engl J Med 2008 ;358:252-60.
(3) Konstantinos N et coll. « Efficacy of antidepressants : a re-analysis and re-interpretation of the Kirsch data ». International Journal of Neuropsychopharmacology, doi : 10.1017/S1461145710000957.
(4) Fournier J.A. « Antidepressant Drug Effects and Depression Severity, A Patient-Level Meta-analysis ».JAMA. 2010;303(1):47-53.
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