Jean-Pierre Thierry est venu avec son Curriculum vitæ. Attention ou souci de la précision, quelle qu’ait été la motivation, l’initiative est opportune. Le document compte sept pages, dont la lecture a quelque chose d’étourdissant. « Je me rends compte que j’ai des cycles courts, de quatre à cinq ans en moyenne. Je ne l’ai pas forcément voulu, mais j’y ai vu à chaque fois des opportunités pour mieux comprendre les systèmes de santé », analyse-t-il.
Médecine à l’évidence
Ce tourbillon d’expériences laisse peu de place aux récits, à l’exception de trois événements fondateurs liés à l’enfance. Fils unique, il a été élevé à Paris avec ses grands-parents maternels, sa mère ayant très tôt divorcé de son père, décédé dans un accident de la route quand il avait 4 ans. « Mon père était médecin, il a été le premier anesthésiste formé à la faculté de médecine d’Alger. Mon grand-père maternel avait été infirmier major durant la Grande Guerre. Cet homme taiseux m’a enseigné que l’homme pouvait être un loup pour l’homme. » Quant à sa vocation, elle s’est imposée : « Quand on a un père médecin, disparu trop tôt, on fait médecine ».
À cet implacable déterminisme répond l’ouverture que lui procure l’accès à la réserve de la librairie du Drugstore-Publicis, sur les Champs-Élysées. Sa mère en est la gérante. « Très jeune, j’ai pu dévorer des tas de livres très différents. Je n’étais pas tant intéressé par la littérature que par l’histoire, la sociologie, l’économie, la déconstruction et la psychiatrie. » Un fonds inépuisable et un défilé de personnalités bigger than life, à l’instar de Christiaan Barnard, le chirurgien sud-africain, auteur en 1967 de la première transplantation cardiaque, qu’il rencontre à l’occasion d’une signature. Et lorsqu’il se rend à New York, en 1972, il part tout naturellement avec l’adresse d’Anaïs Nin en poche.
L’approche systémique, sa préférence
Ce tour de l’Amérique du Nord lui vaut, couplé à une virée en Grèce comme moniteur de voile, de repiquer sa deuxième année de médecine. Parvenu à la sixième, il décide de ne pas passer l’internat. S’ensuivent deux années à l’hôpital Necker-Enfants malades, où il fait fonction d’interne en neurochirurgie, puis comme anesthésiste. « Mon arrivée coïncide avec l’installation des premiers scanners en France. Je me passionne pour la radiologie, je fais ma thèse sur la gestion de l’offre et de l’accès au scanner à l’AP-HP, ce qui m’amène à m’intéresser à l’organisation de l’hôpital. Je réalise que je ne me vois pas dans une case et que ce qui me stimule, c’est de comprendre de manière systémique comment on devrait améliorer le système de santé ».
Il creuse ce sillon, en obtenant le DIU de 3e cycle en santé publique. Nous sommes en 1982, année où s’ouvre la première grande période de sa carrière, consacrée à l’évaluation des technologies médicales, sa matrice. Pour l’Inserm, il cosigne la première étude nationale sur les risques liés à l’irradiation de la population due à l’activité de radiodiagnostic médical. En 1983, il est débauché par le Centre d’étude des systèmes et des technologies avancées (Cesta), think-tank pluridisciplinaire de la présidence Mitterrand, à l’origine du programme Eureka. « Le Cesta a été une étape déterminante, en termes de formation. Je n’étais plus dans les soins, mais au cœur du système. C’est là que je prends conscience du poids du centralisme et du corporatisme. Et parallèlement, on balaie les enjeux du développement technologique, notamment en imagerie médicale et en informatique. »
L’organisme est dissous en 1987, victime de l’alternance politique. Il capitalise sur cette expérience, monte une boîte de consulting et, à partir des années 1990, commence à développer une activité à l’international. Europe, États-Unis : il consolide son expertise. En 1992, à la demande de trois ministères (Santé, Recherche, Industrie), il rend un rapport sur la place de la télémédecine dans l’organisation des soins, l’amorce d’un nouveau virage, celui de la e-santé. Il va occuper plusieurs postes dont celui de directeur informatique de deux hôpitaux publics franciliens. En 2007, il rejoint la société belge AGFA HealthCare, leader européen du dossier médical, en tant que directeur médical. 2011, fin de l’aventure.
La démocratie en santé ou la carte des patients
S’ouvre alors la troisième et, à ce jour, dernière phase de son CV : son investissement aux côtés des usagers du système de santé, au détour d’une rencontre avec Claude Rambaud, présidente du Lien, association de défense des patients victimes d’infections nosocomiales et d’accidents médicaux. « On partageait la même vision sur la question de la qualité en santé médicale », raconte-t-elle. En 2012, il devient membre du bureau du Lien et, trois ans plus tard, conseiller médical pour France Assos Santé (FAS), sur proposition de Claude Rambaud, sa vice-présidente : « Il y avait de plus en plus de sujets médicaux qui exigeaient des compétences techniques et scientifiques, et je connaissais sa capacité d’absorption des études et des travaux de recherche internationaux ».
Durant la crise du Covid, le Dr Jean-François Thébaut, vice-président de la Fédération Française des Diabétiques, association membre de FAS a été amené à travailler en étroite relation avec le Dr Thierry. Il loue sa rigueur scientifique : « Il nous faisait chaque jour la bibliographie de toutes les études qui sortaient, assortie d’un éclairage scientifique toujours très pertinent. La distance, par exemple, qu’il a prise très rapidement vis-à-vis de l’hydroxychloroquine a permis à France Assos Santé de garder la tête froide par rapport aux polémiques qui animaient alors la sphère médiatique ».
Outre ce rôle de vigie, il siège également, depuis sept ans, à la Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, au nom de FAS. S’intéresser aux médicaments n’était pas dans son ADN, au départ. « Cela me paraissait moins structurant que les plateaux techniques ou la e-santé », dit-il. Pour autant, défendre les intérêts des patients est une façon, pour ce réformateur contrarié, de lutter contre la résignation. « On améliorera le système de santé en allant vers des indicateurs de qualité qui soient produits par les patients eux-mêmes. Et la santé mobile le permet. En fait, on y revient : le système d’information est absolument central pour définir de nouveaux critères de régulation », explique-t-il, en prenant une énième gomme à la nicotine. Vingt ans qu’il arrête de fumer.
Exergue : "On améliorera le système de santé en allant vers des indicateurs de qualité qui soient produits par les patients eux-mêmes."
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