LE RIRE, l’humour..., on peut n’y voir qu’un seul et même sujet, mais on peut s’esclaffer grossièrement, et l’humour anglais, souvent, ne fait que vaguement sourire. Il est donc ambitieux de vouloir analyser les deux à la fois. Nous nous souvenons avec émotion des chroniques de Daniel Sibony publiées il y a pas mal de temps dans « Libération ». L’actualité, la situation analytique et le judaïsme y étaient pétris avec un rare talent. On l’attend donc au tournant.
Après nous avoir d’emblée dit que pour rire il fallait être deux – comprenez que le rire casse mon sérieux, me scinde et me dédouble, un peu comme un soupir ou un clin d’il –, Daniel Sibony ne pouvait éviter que sa petite embarcation frôle le Charybde de Bergson et aborde le Scylla freudien.
On sait que l’auteur du « Rire » s’est attaché à dévoiler le comment, la mécanique du rire, utilisant sa célèbre formule « Du mécanique plaqué sur du vivant », alors que Freud dévoile le pourquoi du mot d’esprit, symptôme par où se libère l’inconscient. S’il n’est pas toujours juste avec Bergson, le malin Sibony voit bien où les deux types d’explication peuvent se croiser.
La répétition automatique dans le mot ou l’expression ( « Et Tartuffe ? », « Le poumon », « Mais qu’allait-il donc faire dans cette galère ? ») se traduit par le retour du refoulé chez Freud, et l’inconscient qui réapparaît épouse un peu le diable à ressort comprimé qui se détend.
Aux frontières.
Ainsi, un homme venu en France veut cacher sa double qualité d’Allemand et de juif : comme il se nomme Katzman, il « se traduit » tout simplement par Cha-lom ! À la suite de beaucoup d’autres, Daniel Sibony établit que le rire n’est jamais innocent. S’il peut être un petit hoquet, un éclat du haut du corps, on le voit aussi s’engluer dans le grotesque du bas du corps. Il est en général « aux frontières » de l’angoisse, de la peur et souvent de l’agressivité, comme l’exprimait déjà clairement Bergson à la fin de son opus.
« Aux frontières », « aux contrastes », mais justement cela fait partie des modes de l’humour. La juxtaposition de deux ordres de valeur déclenche le rire. Un élève qui pète ou rote en classe au moment où le professeur évoque le sublime, Woody Allen déclarant « Je ne crois pas à l’au-delà, mais j’emporte tout de même un caleçon de rechange » constituent un comique de « dévaluation », comme l’avait bien analysé le trop oublié Charles Lalo (« Esthétique du rire », F. Alcan, 1927).
Mais Sibony ne se contente pas d’un petit va-et-vient, d’une gentillette mise en contraste et plante brutalement le rire entre le bien et le mal. Ou plutôt, il est fondamentalement du côté du mal, « mais d’un mal qui, sans le savoir, fait du bien et crée du lien ». Et d’affirmer un peu plus loin : « S’il y avait une pratique humaine pour réhabiliter le mal, pour en dire du bien, le rire serait tout désigné. »
Très à l’aise dans l’explosif, le « Witz », la blague, Sibony devient hélas un peu empesé pour aborder l’humour ( « le calvaire des définisseurs », disait Pierre Daninos). À cela une raison : même s’il s’en défend, l’auteur est lacanien, ce qui passe par quelques figures imposées qui engluent nécessairement tout propos dans un salmigondis de « symptômes », de « ça parle » et de « désir de l’autre », alors que l’humour se plaît dans le non-dit, l’allusion, l’understatement. Il lui sera beaucoup pardonné, car, à deux reprises, il a su faire passer un vrai courant d’air frais. Deux intermèdes consacrés à Raymond Devos, qui subvertit la langue mieux que l’étouffant Père sévère.
Daniel Sibony, « le Sens du rire et de l’humour », Odile Jacob, 234 pages, 23 euros.
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