L’émergence d’une symptomatologie délirante entretient, avec la notion d’incertitude, un rapport particulier. À une phase prodromale, où l’incertitude s’insinue, là où les idées et l’action étaient jusqu’alors naturellement guidée par l’habitude, succède l’émergence d’une intuition délirante, ou d’une construction secondaire, pour laquelle la certitude se fait de plus en plus forte, devenant imperméable à toute proposition d’interprétation alternative, fusse-t-elle soutenue par le reste de l’humanité. Pour certains auteurs, bien plus que le caractère supposé faux du contenu de l’idée délirante, critère dont on montre facilement les limites, c’est même ce rapport à la certitude, le fait d’ériger un sentiment subjectif de certitude en vérité objective partagée par le reste du monde, qui marque le caractère délirant d’une idée (1,2).
Superstition et scénarios conspirationnistes
Comment explorer formellement ces liens entre incertitude, ou certitude, et symptômes psychotiques ? Des travaux expérimentaux chez le sujet sain ont montré qu’induire un haut degré d’incertitude amenait des modes de pensée proche de phénomènes psychotiques, avec superstition et scénarios conspirationnistes (3). Une étude récemment publiée dans Molecular Psychiatry va plus loin, en utilisant la kétamine à faible dose pour reproduire les premiers temps de la psychose chez le sujet sain (4). À très faible dose, la kétamine produit des symptômes très semblables aux premiers temps d’un épisode psychotique. Vinckier et collaborateurs ont proposé à des sujets sains de participer à un jeu où ils devaient parier ou non sur deux symboles, l’un faisant globalement gagner de l’argent, l’autre en faisant perdre, mais en manipulant le degré de certitude, ou confiance, des sujets : d’une part parce que la règle ne s’appliquait pas systématiquement (mais seulement dans 80 % des cas) et d’autre part parce que la règle s’inversait périodiquement. Ces chercheurs ont comparé le comportement de chaque sujet sous kétamine versus sous placebo, et ont également analysé en IRM fonctionnelle les corrélas cérébraux des paramètres computationnels calculés en fonction du comportement.
Le degré de confiance
Sous placebo, les sujets sains modulent leurs choix en fonction de leur degré de confiance. Sous kétamine en revanche, la capacité à optimiser le comportement dans les phases de stabilité de la règle se trouve altérée, et ainsi les sujets n’arrivent plus à parier systématiquement sur le symbole qui les fait pourtant gagner dans 80 % des cas, comme si un doute persistant les perturbait. On observe une moindre modulation en lien avec la confiance dans un réseau frontopariétal, notamment au niveau du cortex cingulaire antérieur dorsal.
De nouveaux travaux sont en cours pour caractériser la nature de cette perturbation et en préciser la dynamique cérébrale. Une étude en cours à Sainte Anne étudie, en potentiels évoqués, le lien entre incertitude objective liée à la difficulté à décider dans des situations où l’information est partielle, et confiance dans la décision prise, sous kétamine et sous placebo. Ces résultats sont d’autant plus stimulants que la kétamine est un antagoniste des récepteurs NMDA, ce qui conforte les hypothèses sur l’implication du système glutamatergique dans la schizophrénie et a vocation à guider l’innovation thérapeutique.
(1) General psychopathology, Jaspers, 1913
(2) Spitzer M. On defining delusions. Compr Psychiatry 1990
(3) Whitson JA, Galsinsky AD. Lacking control increases illusory pattern perception. Science 2008
(4) Vinckier F et al. Confidence and Psychosis: a neuro-computational account of contingency learning disruption by NMDA blockade. Molecular Psychiatry 2015
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