SI LES MANIFESTATIONS de l’anxiété sont généralement bien connues, certains aspects peuvent être trompeurs : devant une dépersonnalisation, une perte de contact avec le réel, on évoquera beaucoup plus une crise délirante qu’une anxiété, de même des difficultés de concentration ou de mémorisation sont rarement reliées à une anxiété.
À côté des manifestations somatiques, il est tout aussi essentiel d’évaluer les dimensions psychiques (appréhension, inquiétude et, surtout anticipation anxieuse) et comportementales de l’anxiété à commencer par les conduites d’évitement et le besoin constant de réassurance.
Le Pr Jean Tignol insiste aussi sur l’importance des troubles anxieux spécifiques : attaques de panique, phobies (dont la phobie sociale qui touche, à des degrés divers, 13 à 14 % de la population), trouble anxieux généralisé (TAG)…Ou, encore les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). « Cette démarche diagnostique est essentielle pour dialoguer avec le patient, car on lui parle de ses vrais problèmes. »
Ne pas diaboliser les benzodiazépines.
« Au terme du bilan diagnostique précis on constate, dans la majorité des cas, que l’on est confronté à un trouble réactionnel et/ou de l’adaptation. On retrouve une cause dont l’importance est variable ». Dans ce cas il ne faut pas avoir peur de prescrire des BZD pendant une courte durée, d’autant que ce sont les molécules qui ont été – de loin- les plus étudiées. D’autant que les alternatives proposées n’affichent pas les mêmes niveaux de preuve, ayant pour principal avantage une très bonne tolérance. Sans parler de molécules dont l’utilisation dans le cadre de l’anxiété est à discuter (neuroleptiques) ou à proscrire (carbamate, barbituriques).
Le Pr Jean Tignol ajoute que l’on peut aussi utiliser les BZD comme traitement à moyen terme (6-12 semaines) dans les pathologies anxieuses, TAG et trouble panique et même, dans des troubles invalidants et résistants, mais de telles options ne figurent pas dans l’AMM des produits, si bien que de tels traitements ne devraient être initiés qu’avec le concours d’un spécialiste.
Enfin l’association temporaire (2-4 semaines) aux antidépresseurs est justifiée, non pas systématiquement, mais quand des symptômes (anxiété importante, insomnie) altèrent la qualité de vie des patients. En effet, les ISRS ont un début d’action retardé.
Le bon usage des benzodiazépines.
Les bénéfices des BZD ne sont réels que si ces médicaments ne sont prescrits que dans leurs indications indiscutables, en respectant les contre-indications absolues (insuffisance respiratoire avancée, apnées du sommeil) et les précautions d’emploi, en particulier chez le sujet âgé en raison d’un risque d’accumulation, lié à une diminution de l’élimination, et d’une sensibilité accrue des récepteurs. Cela conduit chez les plus de 75 ans et après 65 ans, en cas de polypathologie associée, à préconiser les BZD à demi-vie courte ou à utiliser les BZD à demi-vie longue à demi-dose.
Le plus important étant de prévenir la dépendance, ce qui impose d’évoquer ce risque dès la première prescription. Quand on le peut, on débutera avec les doses les plus faibles possibles et on n’augmentera que progressivement les doses, seulement si cela s’avère nécessaire. Surtout il faut réévaluer régulièrement le traitement en s’efforçant de ne pas dépasser les durées préconisées (4 semaines pour les hypnotiques et 12 semaines pour les anxiolytiques). Par ailleurs, poursuit le Pr Tignol, les BZD à demi-vie longue sont sur ce point préférables : moins de risque addictif et d’effet rebond, intensité moindre des symptômes de sevrage (sauf si les doses sont très importantes).
En sachant que le risque de dépendance est faible. Par contre les consommations de BZD au long cours sont entretenues par le phénomène de rebond de l’anxiété à l’arrêt inopiné du traitement ; les consommateurs sont alors persuadés qu’ils ne peuvent arrêter sous peine d’être de nouveau anxieux. Le risque de dépendance vraie n’est fréquent qu’en cas d’antécédents de dépendance ou d’abus de toxiques.
Pour prévenir la « dépendance », certains préconisent des traitements « à la demande » par les BZD, certains généralistes présents reconnaissent le faire. Le Pr J.Tignol n’y est pas favorable, « on risque des posologies inadaptées, des prises irrégulières, des petits sevrages… Cela dit, ce sont les patients qui souvent s’orientent d’eux-mêmes vers cette solution… Et, alors, on ne peut rien faire. »
La règle du sevrage.
Reste, le difficile problème du sevrage qui s’impose dans de nombreux cas, en particulier en cas de contre indication et chez le sujets âgés présentant de symptômes inquiétants fatigue croissante inexpliquée, troubles mnésiques ou cognitifs, accès confusionnels, chutes ou manifestations répétées d’incoordination. En cas de prises prolongées de petites doses qui sont bien tolérées, les généralistes, comme le Pr Tignol avouent souvent baisser les bras car l’enjeu pour la santé est peu important et les chances de succès sont très faibles.
En tout cas, poursuit le Pr Tignol, il ne sert à rien de « se ruer sur un sevrage et il faut savoir le différer si le patient traverse une période difficile ». L’arrêt de la benzodiazépine étant d’autant plus progressif que le traitement aura été prolongé et/ou utilisant les fortes doses. Le suivi et le soutien sont essentiels. Les traitements alternatifs non BZD (buspirone, antidépresseurs… sans oublier les méthodes non pharmacologiques relaxation, psychothérapie, TCC), peuvent influer sur la pathologie anxieuse, mais ne préviennent en rien le rebond ou le sevrage liés à l’arrêt des BZD car ils n’agissent pas au niveau des récepteurs en cause.
(1) Avec le soutien des Laboratoires Sigma-tau
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