PAR DOMINIQUE WILLARD (a), YANNICK MORVAN (a, d), OLIVIER CANCEIL (b), CLAIRE CALMEJANE (c), AMIRA DAMMAK (a), YANN HODÉ (e), MARIE-ODILE KREBS (a), JEAN-PIERRE OLIÉ (a).
LES DIFFICULTÉS et les souffrances des familles confrontées à une pathologie mentale dont un de leurs proches souffre sont un phénomène connu de tous les soignants mais qui fait aujourd’hui l’objet d’une attention toute particulière. En effet, ces difficultés avec lesquelles ils vivent au quotidien peuvent représenter un poids important pour les familles dans la mesure où ils en subissent des conséquences directes et indirectes. Ces dernières peuvent être de natures diverses, tant somatiques que psychologiques, mais également sociales et financières (1). En conséquence, les aidants au sein des familles peuvent connaître une altération de leur qualité de vie (2), mais également souffrir de dépression (3).
La conférence de consensus organisée à Paris par la fédération française de psychiatrie en janvier 2003 a reconnu comme très positive et utile la guidance et l’aide par la psychoéducation auprès des familles de patients (4). Le rapport collectif de l’INSERM sur l’évaluation des psychothérapies de 2004, rapport auquel Olivier Canceil a contribué, fait état de plusieurs métaanalyses montrant un intérêt significatif des thérapies familiales comportementales et cognitives et de la psychoéducation familiale pour la diminution des rechutes et des réhospitalisations (5-7). C’est dans ce cadre que le programme ProFamille, programme psychoéducatif destiné aux proches de patients souffrant de troubles schizophréniques, a été initié.
Ce programme a été initialement développé au Québec par le Pr Hugues Cormier et ses collaborateurs de l’unité psychiatrique sociale et préventive en 1988. En 1991, il est diffusé dans le monde francophone. Depuis 2000, plusieurs utilisateurs suisses se sont organisés en réseau sous l’égide de Monique Pasche. En 2003, l’ouverture sur la francophonie se fait avec la participation de l’équipe du Dr Yann Hodé du centre hospitalier de Rouffach. Depuis, d’autres équipes, en France, se sont rapprochées de ce réseau. En 2007, cinq pays francophones se sont réunis à Lausanne (Belgique, Cameroun, France, Maroc et Suisse), afin de mettre en place un réseau et de se retrouver une fois par an pour échanger sur l’utilisation de ce programme et améliorer leurs techniques d’animation. La synthèse de ce travail collectif sur plusieurs années a conduit à modifier la version initiale (8). La rédaction et la mise en forme de la troisième version du programme, qui est actuellement utilisée dans notre service à l’hôpital Sainte-Anne, ont été assurées par Yann Hodé, Pierre et Monique Pasche.
La mise en place de ce programme Profamille s’est inscrite dans l’actuel projet d’établissement du centre hospitalier Sainte-Anne (2009-2013). C’est avec la création du C3RP (centre référent en remédiation et réhabilitation psychosociale), structure transversale réunissant le secteur 17 et le secteur 14 , en cours de labellisation par l’ARS, qui a permis d’inscrire ProFamille dans la durée, mais aussi de développer la formation et la recherche.
À l’hôpital Sainte-Anne, notre équipe d’animation du groupe ProFamille est constituée d’une psychologue, Dominique Willard, d’un psychiatre, Olivier Canceil et d’un membre de l’UNAFAM, Claire Calmejane.
Nous souhaitons continuer à développer ce programme psychoéducatif dans le cadre de la CHT. Actuellement, un partenariat existe déjà avec N. Christodoulou et son équipe à Maison-Blanche. Ainsi, à l’automne 2012, deux groupes ProFamille ont pu commencer, l’un à Sainte-Anne et l’autre à Maison-Blanche.
Nous venons de proposer la création d’un « cluster Île-de-France », qui s’intègre dans le réseau ProFamille et qui permet de regrouper les équipes proposant ce programme pour ce bassin de population très important.
La philosophie du programme est fondée sur une approche cognitivo-comportementale cherchant à modifier trois cibles : les comportements, les cognitions et le niveau émotionnel des familles. L’objectif de la démarche est d’amener progressivement le patient et sa famille d’un sentiment d’impuissance et d’une position de passivité ou de révolte face à la maladie à une position de collaboration active à travers une vision réaliste de la maladie (9).
Corriger les représentations et les erreurs d’attribution.
Les familles ont souvent des conceptions erronées ou floues sur la maladie, ses causes, ses symptômes et sur la manière de les prendre en charge. Ces conceptions sont celles que l’on retrouve le plus communément au sein de la population générale et qui sont le plus souvent stigmatisantes. En effet, l’une des représentations principales consiste à penser que les troubles du comportement observés sont, soit dus à l’éducation (attribution de la responsabilité à la famille), soit à des traits de caractère du malade (attribution de la responsabilité au malade) (10).
Corriger les représentations ainsi que les erreurs d’attribution permet de diminuer le sentiment de culpabilité qui peut être éprouvé par les familles. Ainsi savoir que la maladie n’est pas le résultat d’une éducation déficiente et que les troubles schizophréniques ne sont pas le résultat d’un trait de caractère évite certains reproches vis-à-vis des comportements du malade (faire comprendre que certains comportements ou traits de caractère sont bien des symptômes et que le malade n’est pas responsable).
L’objectif est ainsi de réduire l’intensité émotionnelle et les situations de stress pouvant se produire au cours des échanges familiaux. ProFamille a également comme intention d’aider les familles à mieux comprendre le système de soins et les différents dispositifs de prise en charge. L’objectif visé est de rendre le système plus lisible, ainsi que ses différents intervenants, mieux identifiés, afin que les familles puissent les solliciter de manière plus rapide et plus efficace en cas de besoin. Enfin, une meilleure compréhension du diagnostic, de la pathologie et de l’évolution des troubles au cours du temps contribue à mieux reconnaître et appréhender les troubles.
Ainsi, la mise en œuvre pratique du programme repose sur deux principes : celui d’une information concernant les troubles, ses symptômes et leur prise en charge, et sur l’apprentissage de techniques pour mieux faire face aux situations difficiles par la gestion du stress, le renforcement des habiletés et des compétences sociales, ainsi que l’entraînement à la résolution de problèmes ou des situations rencontrées concrètement, et au jour le jour, par les familles.
Il est démontré que ce qu’on appelle la psychoéducation de la famille du malade est médicalement et économiquement pertinente et devrait être systématiquement proposée.
(a) Service hospitalo-universitaire ; faculté de médecine Paris-Descartes ; hôpital Sainte-Anne ; université Paris-Descartes ; Paris.
(b) Secteur 17, hôpital Sainte-Anne, Paris.
(c) UNAFAM, Paris.
(d) Laboratoire C2S, département de psychologie, UFR de Lettres et Sciences humaines, université Reims Champagne-Ardenne, Reims.
(e) Centre hospitalier de Rouffach.
(1) Awad AG and L.N.P. Voruganti, The Burden of Schizophrenia on Caregivers: A Review. PharmacoEconomics, 2008;26(2):149-162.
(2) Caqueo-Urizar A et coll. Quality of life in caregivers of patients with schizophrenia: A literature review. Health and Quality of Life Outcomes, 2009. 7(1): p. 84.
(3) Papastavrou E et coll. The Burdensome and Depressive Experience of Caring: What Cancer, Schizophrenia, and Alzheimer’s Disease Caregivers Have in Common. Cancer Nursing 2012;35(3):187-194 10.1097/NCC.0b013e31822cb4a0.
(4) Petitjean F, Marie-Cardine M. Texte des recommandations longues élaboré par le jury de la conférence de consensus « Schizophrénies débutantes : diagnostic et modalités thérapeutiques » organisée à Paris les 23 et 24 janvier 2003 à l’initiative de la Fédération française de psychiatrie. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 2003;161(4):329-347.
(5) Xia J, Merinder LB, Belgamwar MR. Psychoeducation for schizophrenia. Cochrane Database Syst Rev, 2011: p. CD002831.
(6) Hartmann M et coll. Effects of Interventions Involving the Family in the Treatment of Adult Patients with Chronic Physical Diseases: A Meta-Analysis. Psychotherapy and Psychosomatics 2010;79(3):136-148.
(7) Institut national de la santé et de la recherche médicale (France), psychothérapie : trois approches évaluées. Expertise collective. 2004, Paris: Éditions Inserm. xii, 553 p.
(8) Hodé Y. Prise en charge des familles de patients schizophrènes. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 2011;169(3):196-199.
(9) Hodé Y et coll. Effet d’un programme psychoéducatif sur l’humeur des familles des malades souffrant de schizophrénie. Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive 2008;18(3):104-107.
(10) Jorm AF, Christensen H, Griffiths KF, Public beliefs about causes and risk factors for mental disorders: changes in Australia over 8 years. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 2005;40(9):764-7.
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