PAR LE Pr PHILIPPE COURTET*
SELON l’OMS, chaque année un million de personnes meurent de suicide. Les estimations pour 2 020 sont d’un million et demi ! La France est largement touchée par ce phénomène, avec chaque année, plus de 10 000 personnes qui mettent fin à leurs jours. Principal facteur de risque, et préoccupantes en soi, les tentatives de suicide sont estimées à 200 000 en France chaque année.
Au-delà des conceptions philosophiques du suicide, il est important de rétablir une réalité. Les personnes qui réalisent une conduite suicidaire (CS) souffrent presque toujours d’une pathologie psychiatrique lors du passage à l’acte. D’autre part, les individus qui commettent des CS sont constamment soumis à des difficultés environnementales. Toutefois, si ces stress externes et internes (psychiatriques) sont des conditions nécessaires à la survenue du CS, elles ne sont pas suffisantes. Aussi, on considère actuellement que les personnes ayant des CS dans ces contextes sont porteuses d’une vulnérabilité spécifique. La rencontre de ce terrain et des facteurs de stress conduit au processus suicidaire et au passage à l’acte.
Si l’identification et la prédiction d’une CS sont l’un des plus difficiles défis de la pratique médicale, les conceptions actuelles permettent de simplifier la démarche d’évaluation des médecins par l’identification de : 1) Une crise psychiatrique et psychosociale ; 2) Des idées de suicide qui signent l’entrée dans la crise suicidaire ; 3) La vulnérabilité suicidaire organisée autour de : antécédent personnel de tentative de suicide, antécédents familiaux de CS, histoire d’abus dans l’enfance, traits de personnalité liés à l’impulsivité agressive (colère, violence, agressivité) et au désespoir (perte d’espoir en présence de difficultés existentielles). Le grand intérêt dans la recherche de ces facteurs de vulnérabilité réside dans leur stabilité dans le temps, et dans leur caractère « transnosographique » (valable quel que soit le trouble psychiatrique).
Les données de la science.
Les neurosciences, au moyen de la génétique, et de la neuro-imagerie plus récemment, ont permis d’identifier des anomalies qui apportent des éléments pour mieux comprendre la vulnérabilité suicidaire. Le but de tous ces travaux de recherche étant in fine d’apporter au patient une meilleure prise en charge, insuffisamment adaptée à l’heure actuelle.
De nombreux travaux, menés il y a une trentaine d’années et largement répliqués depuis, ont montré que les anomalies du fonctionnement du système de la sérotonine, sont un élément central de la vulnérabilité suicidaire. Depuis, il a été clairement démontré que plusieurs gènes sérotoninergiques interagissent avec les facteurs environnementaux pour moduler le risque de CS, indépendamment des maladies psychiatriques existantes. Si l’approche de départ était orientée par des gènes - candidats (gènes potentiellement impliqués dans la physiopathologie des CS), les études pangénomiques désormais possibles permettront d’identifier d’autres cibles. La génétique moléculaire doit être considérée comme un outil d’investigation des mécanismes neurobiologiques associés aux CS.
La neuropsychologie a une place grandissante dans la boîte à outils psychiatrique. Notre équipe a ainsi étudié la prise de décision, fonction exécutive permettant de faire des choix dans les situations d’incertitude de l’existence et liée au fonctionnement du cortex orbitofrontal. Ces travaux ont montré que les anomalies de prise de décision sont un trait cognitif de vulnérabilité suicidaire, liée à un défaut d’activation du cortex orbitofrontal (en IRM fonctionnelle), à certains génotypes sérotoninergiques, et à des difficultés de régulations émotionnelles.
L’imagerie cérébrale associée à la neuropsychologie permet d’aller encore un peu plus loin. En soumettant des patients à une IRM fonctionnelle pendant qu’ils visionnent des visages exprimant la colère ou la joie, on observe, chez les patients ayant fait une TS, une hyperactivité du cortex orbitofrontal face aux visages colériques, et une moindre activation du cortex cingulaire antérieur face aux visages exprimant une joie ambiguë. Ces résultats nous disent, sur un plan conceptuel, que la vulnérabilité suicidaire implique des dysfonctionnements spécifiques de certaines régions cérébrales. En outre, ils permettent d’objectiver le fait que ces sujets sont plus sensibles au rejet et la désapprobation sociale, mais aussi qu’ils ont plus de difficultés à identifier des signaux de soutien dans leur environnement.
Implications thérapeutiques.
Les travaux neuroscientifiques très récents s’ajoutent aux données épidémiologiques et cliniques qui permettent de considérer les conduites suicidaires comme une pathologie à part entière au sein de la nosologie psychiatrique, et non comme une simple complication de tel ou tel trouble. Cela permettra de développer des outils diagnostiques et de proposer des actions thérapeutiques spécifiques. Il s’agit là d’une piste sérieuse et moderne de prévention.
Pour terminer, quelles sont les implications thérapeutiques ? Concernant, l’utilisation des antidépresseurs dans le traitement dépression, certains patients présentent une augmentation du risque suicidaire lors de l’introduction du médicament. Des travaux récents suggèrent que ces sujets présentent des profils particuliers sur un plan génétique et neuro-anatomique (génotype du facteur de transcription CREB et réponse émotionnelle anormale de l’insula). Ces données ouvrent des perspectives importantes dans la compréhension des mécanismes des traitements. D’autre part, les anomalies cognitives et émotionnelles observées dans la vulnérabilité suicidaire permettent de mettre l’accent sur les modalités particulières de fonctionnement social de ces patients. Cela devrait se traduire par la proposition de nouvelles modalités d’organisation des soins, où la relation médicale devrait être envisagée selon les spécificités que présentent ces patients.
*CHU, Montpellier.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024