« UN MILLION de personnes se suicident chaque année dans le monde, ce qui justifie, s’il en est besoin, de mettre en œuvre des mesures de prévention adaptées, en particulier la détection précoce des troubles mentaux », rappelle le Dr Bocher. Aussi faut-il dépister les facteurs de risque et, notamment chez le patient souffrant d’un épisode dépressif majeur (EDM), évaluer le risque suicidaire. Comme l’indique la Haute Autorité de santé (HAS), il convient plutôt de parler de « crise suicidaire », définie comme « une crise psychique dont le risque majeur est le suicide, constituant un moment d’échappement ». « Celle-ci peut être représentée comme la trajectoire qui va du sentiment péjoratif d’être en échec à l’impossibilité d’échapper à cette impasse… jusqu’à l’éventuel passage à l’acte… qui lui confère sa gravité. » Il s’agit donc d’un processus, mais aussi d’une trajectoire personnelle subjective.
« Au lieu d’évaluer seulement le risque suicidaire, il s’agit d’évaluer le potentiel suicidaire, explique le Dr Bocher, c’est-à-dire le risque lui-même, mais aussi l’urgence de la crise et la dangerosité de la situation pour le patient. » En effet, « tous les patients ne sont pas égaux devant le risque suicidaire ». Des facteurs individuels, familiaux et sociaux interviennent : certains sont des facteurs de risque, d’autres, à l’inverse, des facteurs de protection.
Parmi les premiers, le Dr Bocher retient des antécédents de tentative de suicide (TS), une pathologie mentale – à détecter le plus précocement possible –, une maladie somatique – dont l’impact est trop souvent sous-estimé, notamment chez les personnes âgées –, une dépendance à l’alcool, à un ou des toxiques, à des médicaments psychotropes, un tempérament impulsif et/ou agressif, une mauvaise estime de soi et, bien entendu, une dépression. « La moitié des suicides surviennent chez des sujets dépressifs, d’où l’importance, là aussi, de ne pas méconnaître un syndrome dépressif authentique », insiste la psychiatre nantaise.
Il faut aussi rechercher des facteurs familiaux qui peuvent avoir, ou avoir eu, un impact sur la santé psychique du patient : antécédents psychiatriques ou de tentative de suicide, violence ou abus sexuel et/ou physique, carence affective, négligence parentale, maltraitance, abandon, perte, conflits, toxicomanie, alcoolisme, stress et événements de vie…
Enfin, certains facteurs psychosociaux délétères peuvent intervenir dans le risque suicidaire, notamment des difficultés professionnelles, un isolement affectif et social, une séparation récente, un deuil ou encore des difficultés économiques.
Estime de soi, liens et alliance thérapeutique sont des facteurs de protection.
L’évaluation doit également comprendre l’identification d’éventuels facteurs de protection. Là aussi, on distingue les facteurs personnels, en particulier les dispositions cognitives et psychologiques, les compétences, la capacité à faire face et la bonne estime de soi, les facteurs familiaux, au premier rang desquels la cohésion familiale et les relations privilégiées au sein de la cellule familiale, la disponibilité et l’utilisation du lien social (personnes aidantes, amis, éducateurs…), sans oublier l’existence d’une alliance thérapeutique de qualité, élément essentiel de la prise en charge.
L’évaluation de l’urgence prend en compte le niveau de souffrance, autrement dit l’intensité de la douleur morale, le degré d’intentionnalité (ambivalence, scénario), les éléments d’impulsivité et les facteurs précipitants (la « goutte d’eau » de la rupture), la présence de moyens légaux à disposition, le soutien de l’entourage proche. À cet égard, le Dr Bocher insiste sur l’importance des « personnes ressources » auxquelles le patient peut demander de l’aide et la qualité des liens qu’il a tissés avec elles.
L’impact des pathologies douloureuses et invalidantes chez le sujet âgé.
Deux populations posent des problèmes plus spécifiques, celle des personnes âgées et celle des adolescents. En ce qui concerne les personnes âgées, l’existence de maladies douloureuses et invalidantes doit être prise en compte, leur impact étant souvent sous-estimé ; or, elles constituent un facteur d’aggravation certain, tout comme l’isolement social et affectif dont souffrent bon nombre de patients âgés. L’état des ressources matérielles doit également être apprécié. Dans cette population, de plus en plus nombreuse et de plus en plus âgée, il faut aussi rechercher des antécédents psychiatriques, des ruminations anxieuses et un syndrome dépressif, particulièrement fréquent. « L’exploration de la crise suicidaire ou dépressive doit être minutieuse et répétée, insiste le Dr Bocher, avec la mise en place d’un suivi post-crise intensifié en s’appuyant sans hésiter sur la famille et les proches. » Afin d’éviter une hospitalisation classique, source de déstabilisation et de dégradation physique et mentale, l’hospitalisation à domicile (HAD) constitue une nouvelle approche intéressante.
Chez l’adolescent, une triple évaluation psycho-socio-somatique en milieu hospitalier.
À l’autre extrémité de la vie, le suicide des adolescents pose un problème de santé publique particulièrement douloureux puisqu’il représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Une adolescence dont la durée s’est encore allongée, observe le Dr Bocher, puisqu’elle s’étale à présent de 12 à 26 ans, période qui correspond à une métamorphose corporelle et psychologique pour aboutir, normalement, à l’autonomie du jeune adulte. C’est aussi la période des conduites à risque. L’ado veut « se casser », ce qui prend diverses formes, de la fugue aux différentes conduites à risque visant à « vivre une autre vie ». Les principaux signes d’appel sont l’isolement, le retrait, l’absentéisme scolaire, la chute brutale des résultats scolaires ou, au contraire, un surinvestissement brutal s’accompagnant de manifestations anxieuses ou obsessionnelles, l’abandon soudain des activités sportives, une consommation abusive d’alcool, de médicaments ou de drogues, le don récent et incongru d’objets personnels (guitare, scooter…). Fatigue, troubles du sommeil et du comportement alimentaire, apathie, désinvestissement sont autant de symptômes qui doivent attirer l’attention ainsi que le repli et le rejet des contacts amicaux et sociaux.
Chez ces jeunes en crise, « le dépistage de troubles mentaux, en particulier une dépression, un trouble phobique ou un début de psychose, est fondamental », insiste le Dr Bocher. Il faut aussi rechercher la prise d’alcool ou de toxiques. Une hospitalisation, si possible dans une unité dédiée, est généralement nécessaire afin d’effectuer une triple évaluation psycho-socio-somatique. « Il peut s’agir d’une crise sans lendemain ou, au contraire, la crise peut marquer le début d’une pathologie mentale », note le Dr Bocher. « Il faut se méfier de l’effet cathartique comme des facteurs précipitants et trouver le juste milieu entre banalisation et dramatisation. » Dans tous les cas, la famille doit être associée dès le début et tout au long de la prise en charge d’un adolescent.
D’après la présentation du Dr Rachel Bocher, CHU Saint Jacques, Nantes, dans le cadre du Forum sur la dépression organisé par « le Quotidien du Médecin » avec le soutien institutionnel des laboratoires Lündbeck.
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