Pr Bruno Fautrel

« La distinction entre arthrite juvénile idiopathique et maladie de Still de l’adulte est artificielle »

Publié le 31/03/2025
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De récentes recommandations, élaborées conjointement par les sociétés européennes de rhumatologie adulte et pédiatrique, harmonisent le diagnostic et la prise en charge de la forme systémique de l’arthrite juvénile idiopathique et de la maladie de Still de l’adulte (1). Elles actent le fait que ces deux entités constituent une seule et même maladie et introduisent une stratégie thérapeutique à marche forcée. Le point avec le Pr Bruno Fautrel (Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP), coordonnateur du groupe de travail.

Le Quotidien du médecin : Pour quelles raisons est-il nécessaire d’avoir une approche commune entre les rhumatologues pédiatriques et les rhumatologues de l’adulte ?

Pr Bruno Fautrel : La maladie de Still a d’abord été décrite comme l’équivalent adulte de l’arthrite juvénile idiopathique et la distinction entre les deux entités était principalement artificielle, en raison de l’organisation des services pédiatriques, avec une limite d’âge de 16 ans. Cela a conduit à la séparation des deux entités en termes de définition, de critères de classification, d’essais cliniques et dans certains cas, d’approbation d’un médicament.

En termes de prise en charge, plusieurs essais cliniques ont été menés chez des patients atteints d’arthrite juvénile idiopathique, grâce à l’efficacité des réseaux de rhumatologie pédiatrique, alors que cela n’a pas été possible pendant de nombreuses années chez l’adulte, en raison de la rareté de la maladie et sa présentation hétérogène.

Plusieurs éléments plaident aujourd’hui, en faveur de l’unification des deux entités qui partagent des caractéristiques communes telles que les quatre principaux symptômes : une fièvre supérieure à 39°C pendant au moins 7 jours, une éruption cutanée lors des pics fébriles, une arthralgie et/ou de l’arthrite et des niveaux élevés d’inflammation (VS et CRP élevées, hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles). Les interactions entre les rhumatologues pédiatres et les rhumatologues adultes ont également permis d’identifier des besoins communs importants non satisfaits dans le diagnostic et la prise en charge.

C’est ainsi que l’EULAR et la Société européenne de rhumatologie pédiatrique (PReS) ont décidé de mettre en place un groupe de travail afin d’élaborer des recommandations communes. C’est le terme de maladie de Still qui doit désormais être employé par toutes les personnes concernées (professionnels de santé, autorités de santé, universitaires, associations de patients, industriels…) et au niveau international.

Quelles sont les principales recommandations concernant le diagnostic ?

Le diagnostic rapide de la maladie de Still est un défi. Les quatre critères définis ci-dessus sont essentiels. Les éruptions cutanées sont principalement érythémateuses, mais il peut aussi s’agir d’urticaire. Concernant l’arthrite, elle apparaît plus tard et il est précisé qu’elle n’est pas nécessaire au diagnostic. Une élévation marquée de l’IL-18 et/ou des protéines S100 (par exemple la calprotectine dans le sérum) aide à la confirmation du diagnostic et doit donc être mesurée, si elle est disponible.

Les diagnostics alternatifs tels que les tumeurs malignes, les maladies infectieuses, les autres maladies inflammatoires à médiation immunitaire et les maladies auto-inflammatoires monogéniques doivent être soigneusement envisagés.

Quels sont les objectifs thérapeutiques définis ?

L’enjeu des recommandations est l’homogénéisation de la prise en charge avec deux cibles thérapeutiques bien définies. La maladie cliniquement inactive est définie comme l’absence de symptômes liés à la maladie de Still et une ESR ou une CRP normale. Quant à la rémission, elle est définie, comme une période d’au moins 6 mois pendant laquelle la maladie est cliniquement inactive.

Pour atteindre l’objectif final (rémission sans médicament), une stratégie thérapeutique à marche forcée a été introduite. Au 7ème jour, disparition de la fièvre et réduction de la CRP de plus de 50%. A la semaine 4, absence de fièvre et réduction du nombre d’articulations actives (ou gonflées) de plus de la moitié, CRP normale et évaluation globale du médecin et du patient/parent inférieure à 20 sur une échelle VAS de 0 à 100.

Au 2ème mois, maladie clinique inactive avec glucocorticoïdes inférieurs à 0,1 (pour les adultes) ou 0,2 mg/kg/jour (pour les jeunes enfants). Au 6ème mois, maladie clinique inactive sans glucocorticoïdes.

Si à chaque étape, les objectifs ne sont pas atteints, il faut envisager une alternative thérapeutique. L’objectif est d’éviter au maximum les corticoïdes et l’apparition de leurs effets secondaires délétères pour les patients.

Quelle est la place des biothérapies ?

Pour éviter l’utilisation prolongée d’une corticothérapie systémique pour atteindre et maintenir la cible thérapeutique, les inhibiteurs de l’IL-1 et IL-6 doivent être prescrits dès que possible lorsque le diagnostic est établi. On privilégie généralement l’anti IL-1, plus spécifique et avec moins de risque d’effets indésirables infectieux. Si la maladie n’est pas très agressive et avec un niveau d’inflammation faible, on peut utiliser d’emblée une biothérapie.

En cas de forme sévère, très inflammatoire, les corticoïdes restent indispensables en respectant les objectifs définis de décroissance et dans ce cas, on associe une biothérapie.

Enfin, il faut signaler que lorsque tout va dans le bon sens dans la prise en charge, il n’y a pas de raison pour que le patient soit adressé au centre de référence de la maladie de Still. En revanche, si l’évolution semble lente ou en cas de dégradation de l’état ou de complications, cela devient impératif pour ne pas faire perdre de chance au patient.

Propos recueillis par Christine Fallet

(1) Fautrel B et al. EULAR/PReS recommendations for the diagnosis and management of Still’s disease, comprising systemic juvenile idiopathic arthritis and adult-onset Still’s disease. Ann Rheum Dis 2024; 0:1-14.

 

 

 

 

 

 

 

 


Source : lequotidiendumedecin.fr