LES INDICATIONS de l’anticoagulation sont nombreuses chez les patients insuffisants rénaux en raison de la prévalence élevée des maladies cardiovasculaires et des complications thrombotiques, du fait également de la nécessité d’accès vasculaires pour l’hémodialyse. Environ 25 % des patients en hémodialyse chronique sont sous anticoagulation permanente par antagonistes de la vitamine K (AVK), avant tout en cas de maladie thromboembolique veineuse et dans la prévention des embolies systémiques, par exemple en cas de fibrillation atriale (FA), de valve cardiaque mécanique ou pour certaines cardiopathies. Dans l’expérience du CHU de Strasbourg, les AVK sont prescrits plus de 9 fois sur 10 en raison d’une fibrillation atriale, trouble dont la prévalence se situe entre 13 et 27 % chez les insuffisants rénaux dialysés (1).
L’efficacité des AVK a été clairement démontrée et ils constituent le traitement de référence en cas de risque thromboembolique élevé. Ils présentent toutefois un certain nombre d’inconvénients, en particulier une marge thérapeutique étroite, de nombreuses interactions médicamenteuses et métaboliques (apport extrinsèque en vitamine K par l’alimentation, modification de la production endogène de vitamine K par les bactéries intestinales, prise d’alcool) enfin la nécessité d’une surveillance de l’INR (International Normalized Ratio) et d’une adaptation de la posologie. Ils ne sont pas contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale, mais sont à utiliser avec une certaine réserve. L’expérience montre en effet que la fréquence des complications hémorragiques sous AVK est particulièrement élevée. L’équilibre de l’INR est difficile à obtenir et à maintenir et les surdosages en AVK sont fréquents. Ils ne sont pas éliminés par voie rénale mais ils se lient aux protéines plasmatiques, principalement à l’albumine et une hypoalbuminémie est fréquente en cas d’insuffisance rénale, entraînant une élévation de la fraction libre des AVK et un effet anticoagulant plus marqué (2).
En cas de FA le bénéfice du traitement prophylactique des événements thromboemboliques n’est pas bien établi (1). Cela s’explique en particulier par une augmentation du risque hémorragique chez les insuffisants rénaux.
Une évaluation individuelle des risques
Pour toutes ces raisons une évaluation individuelle des facteurs de risque thromboembolique et hémorragique est souhaitable chez les insuffisants rénaux avant de poser l’indication d’un traitement par AVK. Cette évaluation utilise le score CHADS2 proposé par B. F. Gage et coll et fondé sur la combinaison de 2 classifications, AFI (Atrial Fibrillation Investigators) et SPAF (Stroke Prevention in Atrial Fibrillation) (3). Il est calculé en comptant 1 point en présence d’une insuffisance cardiaque congestive (lettre C du score), d’une hypertension artérielle même contrôlée (H), d’un âge égal ou supérieur à 75 ans (A), ou d’un diabète ( D), et 2 points en cas d’antécédents d’AVC ou d’accident ischémique transitoire (AIT) (S du score, pour « stroke »). La validité pronostique du score CHADS2 est considérée comme moindre chez les sujets à risque intermédiaire pour lesquels l’utilisation du score CHA2DS2-VASc est recommandée (4). Ce score, attribue 2 points à l’âge au-delà de 75 ans et il prend en compte 3 autres facteurs de risque : un antécédent d’infarctus du myocarde, de maladie artérielle périphérique ou de plaque aortique (V, pour maladie vasculaire), un âge entre 65 à 74 ans (A) et le sexe féminin (S).
Chez un patient présentant une FA pour laquelle un traitement antithrombotique est envisagé, pour limiter le risque d’hémorragie cérébrale, l’évaluation du risque de saignement se fonde sur le score HAS-BLED (5). Ce score prend en compte de nombreux facteurs de risque : hypertension artérielle (H), dysfonction rénale ou hépatique (A pour abnormal renal/liver function), antécédent d’AVC ou d’AIT (S pour stroke), antécédent d’hémorragie ou prédisposition aux hémorragies (B pour bleeding), INR instable (L pour labile INR), âge supérieur à 65 ans (E pour elderly), enfin traitement médicamenteux (antiagrégants plaquettaires, anti-inflammatoires non-stéroïdiens) ou consommation excessive d’alcool ( D pour drugs). Un score HAS-BLED supérieur ou égal à 3 indique un risque hémorragique élevé nécessitant des précautions particulières.
*Service de néphrologie, hôpitaux universitaires de Strasbourg
(1) Reinecke H, Brand E, Mesters R, et al. Dilemmas in the Management of Atrial Fibrillation in Chronic Kidney Disease. J Am Soc Nephrol 2009;20(4):705-11.
(2) Bachmann K, Shapiro R, Mackiewicz J. Influence of renal dysfunction on warfarin plasma protein binding. J Clin Pharmacol 1976;16:468-72.
(3) Gage BF, Waterman AD, Shannon W, et al. Validation of clinical classification schemes for predicting stroke: results from the National Registry of Atrial Fibrillation. JAMA 2001;285(22):2864-70.
(4) European Heart Rhythm Association; European Association for Cardio-Thoracic Surgery, Camm AJ, et coll. Guidelines for the management of atrial fibrillation: the Task Force for the Management of Atrial Fibrillation of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2010;31(19): 2369-429.
(5) Pisters R, Lane DA, Nieuwlaat R, et al. A Novel User-Friendly Score (HAS-BLED) To Assess 1-Year Risk of Major Bleeding in Patients With Atrial Fibrillation: The Euro Heart Survey Chest 2010;138(5):1093-100.
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