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Dossier

Téléconsultation, quelles limites en soins primaires ?

Par Bénédicte Gatin - Publié le 07/06/2021
Téléconsultation, quelles limites en soins primaires ?


VOISIN/PHANIE

Absence d’examen physique, modification de la relation médecin-patient, nomadisme médical : dans un rapport publié ce lundi, le Collège de la médecine générale pointe les limites de la téléconsultation en soins primaires. Sans fermer la porte à ce type de pratique, les auteurs définissent les pré-requis pour un bon usage en médecine de ville.

Jusqu’où peut-on aller en téléconsultation ? Alors que ce mode d’exercice s’est fortement démocratisé avec la pandémie, la question se pose de plus en plus. Car même si, après le boum du printemps dernier, la part des consultations à distance semble diminuer, la dynamique enclenchée pourrait être pérenne, portée à la fois par une demande sociétale croissante, une offre commerciale « offensive » et la volonté des politiques de résoudre le problème des déserts médicaux.

Dans ce contexte, la nécessité de cadrer les choses pour limiter les dérives et éviter toute perte de chance pour les patients se fait de plus en plus sentir. En décembre, l’Ordre a mis le holà à certaines pratiques en condamnant l’exercice exclusif de la téléconsultation et en soulignant les risques déontologiques induits par certaines plateformes. Plus récemment, la mise en examen d’un médecin ayant porté un diagnostic erroné au décours d’une téléconsultation a remis la question des limites médicales de l’exercice sur le devant de la scène.

Pas d’exclusion a priori, mais…

Pour la HAS, « aucune situation clinique ne peut être exclue a priori d’un recours à la téléconsultation ». S’il n’est donc pas question de dresser une liste à la Prévert de pathologies relevant ou non de la télémédecine, les professionnels de santé s’attachent toutefois à identifier les situations cliniques à risque et à baliser les prises en charge en distanciel. À ce titre, les conseils nationaux professionnels (CNP) de différentes spécialités devraient élaborer, à la demande de la direction générale de l’Offre de soins (DGOS), différents « cas d’usage » qui précisent les choses.

De son côté, le Collège de la médecine générale (CMG) publie ce lundi 7 juin un rapport sur le bon usage de la téléconsultation en soins primaires.

En février, la société savante s’était déjà penchée sur la problématique des prescriptions d’antibiotiques à distance pour le traitement des pathologies infectieuses aiguës courantes. Avec, à la clé, des recommandations appelant plutôt à la modération.
Trois mois plus tard, le CMG reprend la plume pour proposer « un cadre qui sécurise la téléconsultation à la fois pour le médecin et le patient, pour ne pas dégrader les soins », explique le Dr Julie Chastang, co-coordinatrice de ce rapport avec le Pr Serge Gilberg. Les multiples situations qui conduisent à une demande de téléconsultation « ne permettant pas de recommander une prise en charge standardisée en téléconsultation versus consultation présentielle pour chaque plainte ou pathologie », les auteurs ont opté pour une approche générique distinguant « situations aiguës » et « situations non aiguës ».

Au travers de cet exercice, le rapport met en lumière différents écueils et plusieurs pré-requis nécessaires au bon usage de la téléconsultation.

L’écueil du patient inconnu

Premier constat : « pour certaines populations, la téléconsultation semble difficilement contributive (nourrissons et petits enfants, barrière de la langue) », souligne d’emblée le CMG. Surtout, « il est difficile de soigner un patient que l’on ne connaît pas en téléconsultation, et dans ce cas il est au minimum nécessaire que l’ancrage territorial permette de switcher vers une consultation physique si besoin à tout moment », insiste le Dr Chastang. Pour la jeune généraliste, « cela serait donc une erreur de penser régler les problèmes des déserts médicaux à travers l’utilisation de la téléconsultation, sinon au détriment des patients et de la qualité des soins ». « La non connaissance du patient, la non mise à disposition de son dossier, peuvent être très délétères pour le patient », appuie le Pr Gilberg.

Dans le même ordre d’idée, les auteurs insistent sur le respect du parcours de soins, « même dans une situation de soins aigus ou non programmés ». Si le médecin traitant n’est pas disponible dans le délai nécessaire, « l’ancrage territorial devra être respecté via les CPTS, par exemple, et inclure systématiquement la possibilité de voir physiquement le patient ». De plus, « un retour au médecin traitant sous forme d’un compte-rendu est indispensable ».

Le médecin dans une position d’analyse « limitée »

Souvent identifiée comme l’un des principaux freins à la téléconsultation, l’absence d’examen physique est aussi pointée du doigt par le CMG, notamment pour la prise en charge de problèmes aigus, où « il est le plus souvent nécessaire ».

Le rapport liste de façon plus large plusieurs autres éléments mettant le médecin dans une « position d’analyse limitée ». À savoir, l’impossibilité de réaliser des examens cliniques complémentaires rapides de pratique courante (TDR, BU, examens ORL, mesure tensionnelle), qui « restreint les possibilités diagnostiques » ; l’écran interposé, « qui modifie la relation médecin-malade ainsi que la perception de l’état de santé et de la communication non verbale du patient » ; ou encore l’absence de vision d’ensemble du patient, « qui modifie l’approche et la démarche ». Souvent, « la présentation du patient, son attitude physique, son regard – qui sont complètement biaisés en téléconsultation – peuvent permettre d’avancer dans la démarche diagnostique », insiste le Pr Gilberg.

Des motifs de consultation « secondaires » plus difficiles à décrypter

Le rapport met aussi en exergue le risque d’une prise en charge se limitant essentiellement au motif initial de consultation, en ignorant un motif caché. « Notre impression – étayée par quelques études –, c’est que l’on a finalement des consultations beaucoup plus courtes qu’en présentiel, au cours desquelles le patient va moins avoir la possibilité de s’exprimer », résume le Dr Chastang.

Or, en médecine générale, « on sait très bien qu’il y a souvent autre chose derrière une plainte, appuie le Pr Gilberg. Et même un motif simple comme la préparation d’un voyage ou un renouvellement de pilule peut être l’occasion pour le patient de parler d’autre chose ou pour nous de repérer quelque chose. »

Le rapport insiste aussi sur l’importance des conditions dans lesquelles se déroule la téléconsultation, tant côté patient que côté médecin. Avec non seulement un impératif de confidentialité mais aussi de disponibilité.

Médecine dégradée

Au total, « la télémédecine est un nouvel outil qui peut être utilisé pour améliorer les soins mais pas pour faire de la médecine dégradée et il n’est pas question d’en faire la nouvelle façon d’exercer la médecine », conclut le Dr Chastang.

Dans certains cas, « la téléconsultation permet aussi de faire une sorte de régulation que l’on faisait de façon informelle au téléphone, analyse le Pr Gilberg. Il y a également beaucoup d’actes – comme équilibrer un INR, adapter une antibiothérapie après un ECBU, refaire une ordonnance, etc. – qui se faisaient jusque-là de façon gratuite au téléphone et qui maintenant se font de façon plus officielle et rémunérée. »

Dans tous les cas, « il est essentiel de pouvoir déterminer dès les premières minutes si la situation peut être gérée ou non à distance, en ne prenant aucun risque si on s’aperçoit qu’on ne peut pas progresser ».