Première cause d’irradiation artificielle en France loin devant le nucléaire, l’imagerie médicale contribue de façon significative et croissante à l’exposition des patients aux rayonnements ionisants. Et si, pour l’heure, les risques restent théoriques, l’ASN appelle les professionnels de santé à se mobiliser dès maintenant pour maîtriser la progression des doses.
« L’augmentation des doses en imagerie médicale, et plus particulièrement du fait du scanner, constitue une préoccupation pour l’ASN ». Dans son rapport annuel*, l’Autorité de sûreté nucléaire tire la sonnette d’alarme : alors que l’effet sur la santé des rayonnements ionisants à faible doses reste incertain, l’exposition de la population à ces rayons, via l’imagerie médicale ne cesse d’augmenter. « Entre 2002 et 2007, la dose efficace moyenne par an et par individu (reçue dans le cadre de l’imagerie médicale) est ainsi passée de 0,8mSv à 1,3 mSv soit une augmentation de plus de 50 % en 5 ans », indique le Pr Michel Bourguignon, membre du collège de l’ASN.
Le scanner montré du doigt
Même si cette hausse peut être en partie artificielle, liée à une meilleure mesure de l’exposition au fil des années, elle reflète aussi, et surtout, la place croissante des techniques irradiantes en matière d’imagerie diagnostique. En cause notamment, le scanner, responsable à lui seul de 58 % de la dose efficace collective délivrée en imagerie diagnostique, avec une augmentation du nombre d’actes de plus d’un quart (+26%) entre 2002 et 2005. Ce recours de plus en plus large à la tomodensitométrie s’explique avant tout par des raisons médicales. « Les pratiques ont changé et, aujourd’hui, l’imagerie, et plus particulièrement le scanner, sont mis à contribution très facilement, non seulement pour le diagnostic proprement dit mais également pour orienter la stratégie?thérapeutique, ou pour suivre l’efficacité d’un traitement », résume le Pr Bourguignon.
L’essor du scanner va aussi de pair avec l’arrivée de nouvelles technologies comme le coroscanner ou la coloscopie virtuelle et la mise à disposition d’appareils toujours plus performants et plus simples à utiliser (scanner multibarrettes). Des progrès réels, « mais qui peuvent en contrepartie entraîner une multiplication des images produites et ainsi conduire à une augmentation importante des doses de rayonnements délivrées aux patients », alerte l’ASN. L’augmentation des doses de rayonnements délivrées aux patients serait donc, en quelque sorte, la rançon du progrès.
De nouveaux éléments d’inquiétude
Quoi qu’il en soit, « cette augmentation constitue un réel élément d’inquiétude, surtout lorsque l’on voit ce qui se passe dans les autres pays », estime le Pr Bourguignon. Aux Etats-Unis, par exemple, ou le parc de scanners compte 32 appareils/millions d’habitants (contre 18 en France), la dose efficace moyenne par an et par individu a déjà atteint 3 mSv dont la moitié pour le seul scanner. Avec certaines dérives comme la réalisation de scanners corps entier proposé à titre de check-up. Très controversées, ces pratiques délivrent en quelques secondes une dose de près de 20 mSv, soit l’équivalent de la dose annuelle maximale autorisée pour les travailleurs exposés.
Autre source d’inquiétude : alors que jusqu’à présent les lésions biologiques des radiations ionisantes restaient difficiles à appréhender en dessous d’un certain seuil, les radiobiologistes ont mis au point récemment une nouvelle technique permettant de visualiser des cassures double brin d’ADN avec une sensibilité 100 fois supérieure aux techniques antérieures. « Aujourd’hui, on visualise donc l’impact de la moindre radio et cela nous perturbe beaucoup », indique le Pr Bourguignon. Car même si ces lésions ne perdurent pas a priori, « il peut y avoir d’autres lésions, d’autres mutations… D’où l’idée de se dire que, plus que jamais, il faut renforcer les règles de radioprotection et responsabiliser les professionnels afin qu’ils maîtrisent la progression des doses. »
Principe de justification
L’ASN met notamment l’accent sur l’application du principe de justification. Selon différentes études anglo-saxonnes, aux États-Unis, près de 30 % des examens d’imagerie ne seraient pas justifiés. « Un examen est justifié s’il est capable d’établir ou de changer le diagnostic ou de changer la prise en charge du patient », rappelle le Pr Bourguignon. Cette notion est particulièrement importante lors de la répétition des examens « très souvent inutiles ». Dans ce cadre, un nouveau guide de justification des examens, destiné aux demandeurs d’examens pour les guider dans leur choix devrait être prochaînement proposé (lire p. 16).
Autre principe clé en termes de radioprotection des patients : l’optimisation de la réalisation des examens. A ce titre, « il y a tout un travail à faire avec les industriels qui ont tendance, vu notre culture française de la belle image, à régler les appareils vers le haut plutôt que de choisir les constantes adaptées pour répondre à la question posée ».
Par ailleurs, l’ASN plaide en faveur des techniques non irradiantes (échographie et IRM) et de leur substitution aux examens plus irradiants. Avec, en filigrane, la question du parc d’IRM encore largement insuffisant en France. « Il y a des examens qui devraient être réalisés par IRM et pour lesquels on utilise le scanner à défaut d’autre chose », dénonce Michel Bourguignon. Selon la Société française de radiologie, un patient allemand a, pour une même pathologie, trois fois plus de chances de bénéficier d'un examen par IRM qu'un patient français. à plus long terme, l’ASN souhaite aussi encourager le développement de nouvelles techniques d’IRM. « Par exemple on pourrait envisager des petits appareils d’IRM consacrés au sein qui pourraient se substituer à la mammographie », imagine le Pr Bourguignon.
Enfin, comme en matière d’antibiothérapie, l’éducation du public est indispensable « car les patients aussi sont demandeurs d’examens », reconnaît Michel Bourguignon. Sur ce point, l’ASN envisage de lancer une campagne de sensibilisation autour du thème « La radiologie ça se justifie ».
Agir avant qu’il ne soit trop tard
Autant de leviers qui devraient permettre de maîtriser l’augmentation des doses avant qu’il ne soit trop tard. « Aujourd’hui, personne n’est capable de dire que la radiologie médicale crée des cancers et les études qui le suggèrent sont fondées sur des calculs et non sur une réalité épidémiologique, précise le Pr Bourguignon. Le risque de carcinogénèse est réel et démontré par l’épidémiologie, au delà d’une dose efficace de 100 mSv chez l’adulte et de 50 mSv chez l’enfant. Il n’y a certes pas d’examen qui
atteigne ces doses, mais si on commence à répéter les examens trop souvent, si on laisse filer, dans 10 ou 15 ans, les épidémiologistes pourront peut-être prouver qu’il existe un excès de risque non plus
par le calcul mais par la démonstration. »